Dies academicus 2007: L'Anglo-américain Robin M. Hogarth honoré par la Faculté des HEC
« Le problème reste notre intelligence limitée »
Professeur Hogarth, vous allez recevoir un Doctorat honoris causa de l'UNIL. Avez-vous été surpris par cette offre et que représente-t-elle sur un plan personnel?
Robin M. Hogarth: L'annonce de ce prix a été pour moi totalement inattendue et j'estime qu'il s'agit d'un grand honneur, car la reconnaissance des pairs représente au fond l'ultime consécration. Je suis aussi particulièrement honoré qu'une institution aussi ancienne et remarquable, fondée en 1537, me remette ce prix. En effet, l'Université de Lausanne comptabilise un nombre d'années depuis son existence (470 années) qui dépasse de loin celui des cinq universités réunies où j'ai étudié et enseigné (333)!
Vous êtes l'un des pères fondateurs d'une science relativement nouvelle, l'économie comportementale, qui joint la psychologie à l'économie. Quels sont à vos yeux les problèmes majeurs pour notre société?
L'une de mes principales préoccupations concerne ce que j'appelle «le problème de l'intelligence limitée» (the small mind problem). Que signifie cette expression? Pour moi, ce problème est engendré par le décalage temporel entre les changements qui se produisent dans notre environnement et notre capacité à nous adapter au fil de l'évolution. En résumé, les capacités que l'homme possède aujourd'hui ont été développées pour subvenir aux besoins du passé et non à ceux de notre temps. C'est à dire qu'il y a encore peu (à l'échelle de l'évolution), un nombre limité de personnes vivaient en communautés relativement restreintes et isolées, et leur plus grand souci consistait à s'assurer un logis et à se procurer de la nourriture, ceci avec des moyens techniques limités. En outre, l'homme avait assez peu d'impact sur son environnement. Aujourd'hui, nous sommes bien plus nombreux. Nous vivons principalement dans des centres urbains et notre espérance de vie a considérablement augmenté. Les développements technologiques ont sensiblement réduit les problèmes liés à la nourriture et au logis. Ces avancées ont également transformé la façon dont nous communiquons, les opportunités et les dangers auxquels nous avons à faire face, de même que l'environnement dans lequel nous vivons. Nous sommes passés d'un environnement naturel, auquel l'évolution nous a laissé le temps de nous adapter, à de nouveaux mondes dont la seule constante est le changement perpétuel. De plus, et cela assez ironiquement, les problèmes complexes qui nous assaillent aujourd'hui ont été créés largement par les effets cumulés, à travers le temps, des produits de notre propre intelligence limitée.
Voilà le diagnostic, quel devrait être le remède?
C'est une chose de dire que nous souffrons de notre intelligence limitée, ou d'une vision du monde étriquée, c'en est une autre de savoir comment y remédier. Une dimension importante du problème dépend des actions que nous entreprenons. En d'autres termes, la prise de décision est cruciale. Le domaine de recherche auquel je suis fier d'appartenir contribue à apporter une solution à ce problème, en posant deux questions relatives à la prise de décision. Ces questions sont (1) "Comment les gens prennent-ils des décisions?" et (2) "Comment les aider à prendre de meilleures décisions?" Aujourd'hui, ces questions peuvent paraître raisonnables. Cependant, il est important de rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, la prise de décision était un domaine réservé à la discipline économique, et ces deux questions étaient alors en contradiction avec la logique conventionnelle de l'économie. La première question souligne le processus ou le procédé, autrement dit la façon de faire qui guide la prise de décision. La seconde question ne tient pas pour acquis le fait que les gens, automatiquement, tendent à maximiser les ressources à disposition, à les utiliser au mieux.
Pour terminer, une question plus personnelle: comment votre travail s'inscrit-il dans ce cadre?
Sur le plan scientifique, il serait illusoire de s'attendre à ce que des problèmes majeurs puissent être résolus par un projet unique ou un seul chercheur. Concrètement, l'essentiel de mon travail consacré à ces deux questionnements se décline ainsi: il s'agit d'essayer de comprendre comment les gens peuvent (1) prendre de bonnes décisions en utilisant des méthodes simples, (2) apprendre de leurs expériences, (3) parvenir à des jugements explicatifs, (4) prendre des décisions dans des situations ambiguës, (5) actualiser des croyances anciennes à l'aide d'informations nouvelles, (6) utiliser leur intuition et (7) prendre des décisions en commun. De cela, ainsi que d'autres travaux parallèles, je tire trois conclusions. Premièrement, les capacités naturelles des gens à prendre des décisions leur sont utiles quand il s'agit de décisions à court terme, pour lesquelles ils reçoivent un excellent retour. Deuxièmement, les gens ont du mal à comprendre que le monde socio-écomonique est hautement imprévisible. Troisièmement, enfin, il est possible d'apprendre aux gens à devenir de meilleurs preneurs de décision. Cela dit, la question reste ouverte de savoir si cette amélioration sera suffisante pour résoudre le problème de notre intelligence limitée.