Mesdames, Messieurs,
L'avenir de la Suisse réside dans la formation.
Le canton de Vaud, en proie à quelques doutes, a-t-il pleinement conscience qu'il détient sur son sol un potentiel
extraordinaire en matière de formation supérieure et de recherche ? Il est, avec Zurich, le seul des cantons suisses
à accueillir une Université, une Ecole polytechnique et un centre hospitalier de l'envergure du CHUV. Mais ce n'est
pas tout. A ce trio s'ajoutent des centres de recherche de renommée mondiale - l'ISREC, l'Institut Ludwig, le centre de
recherches de Nestlé -, sans oublier l'IMD, l'Institut suisse de droit comparé, la Fondation Jean Monnet pour l'Europe
et l'IDHEAP, unique institut suisse de hautes études en administration publique.
Le potentiel scientifique offert en particulier par la faculté de médecine et la faculté des sciences, l'EPFL et le CHUV est visible de loin. C'est pour l'avoir repéré qu'une multinationale américaine, Medtronic, leader en matière de technologie médicale, vient de décider de s'installer à quelques kilomètres d'ici. Pour ce type de sociétés, l'environnement scientifique, renforcé par des avantages financiers et économiques, prévaut sur toute autre considération.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais sa venue signale que l'atout le plus sûr et le plus durable dont dispose le canton pour créer ou attirer des entreprises consiste dans ses capacités de formation ainsi que dans la densité et la compétence de ses équipes de recherche.
Savez-vous, à ce propos, que dans la seule Université de Lausanne il se trouve actuellement environ 1700 personnes engagées dans des travaux de recherche et qu'une partie importante d'entre elles travaillent sur la base de contrats conclus avec des industries et fondations suisses et internationales, avec des programmes de l'Union européenne ou avec des collectivités et offices publics ?
Savez-vous que l'Université de Lausanne exerce un attrait croissant à l'intérieur du canton et plus encore sur les autres cantons suisses, ce qui lui vaut de voir ses effectifs étudiants croître dans une proportion supérieure à la moyenne nationale ?
Le Rectorat qui entre en fonction constate, après inventaire, qu'on lui a confié de bonnes cartes. Il le constate avec reconnaissance envers ceux qui, depuis plusieurs décennies, ont conçu et voulu les sites de Dorigny, du CHUV et d'Épalinges, envers ceux qui se sont succédé pour soutenir l'Université et lui donner les moyens de se développer, envers ceux bien sûr qui, en son sein, l'ont fait progresser par leur travail et leur engagement. Je pense aujourd'hui tout spécialement à l'un d'eux, Pierre Ducrey, dont l'action au Rectorat pendant douze ans a visé à moderniser et à faire rayonner l'Université.
De l'avis de certains, plusieurs de ces bonnes cartes ne pèseront pas d'un grand poids à l'avenir. La formation supérieure et la recherche, font-ils remarquer, ont cessé d'être des priorités nationales; les caisses publiques sont vides, voire percées; les Universités devront désormais former davantage d'étudiants avec moins d'argent; et la Suisse se trouvera soit exclue des programmes de l'Union européenne, soit marginalisée.
Tout cela est vrai et grave. Nul ne peut exclure, par exemple, que, pensant exercer au mieux leurs responsabilités, des parlements que nous avons élus n'en viennent, par des mesures drastiques de restriction, à détruire en quatre ou cinq ans le potentiel extraordinaire que d'autres parlements avaient patiemment élaboré en quarante ans; ce risque existe dans l'opération Orchidée si un seul de ses deux aspects est mis en uvre, à savoir le programme d'économies.
Dans les périodes de désarroi, le manque de confiance en soi est le plus sinistre des conseillers; il conduit, selon la belle formule de Paul Valéry, à "aborder l'avenir à reculons", c'est-à-dire à défaire ou à rapetisser ce que l'on a bâti, au lieu de miser sur la capacité à entreprendre et à innover.
Mesdames et Messieurs, le Rectorat qui entre en fonction est convaincu de deux choses. D'abord que les atouts qu'on lui a confiés ne sont pas frelatés. Ensuite que nous devons en construire ou en valoriser d'autres.
Avec les caractéristiques qui sont les siennes - une Université de taille moyenne, complète et pourvue d'une infrastructure qui fait l'envie de tous ses visiteurs - l'Université de Lausanne doit s'imposer comme l'un des meilleurs cadres d'études et de recherches qui existent en Europe. Elle y parviendra progressivement en exploitant de nouveaux atouts. J'en mentionnerai quatre.
Le premier est la présence, à côté d'elle, de partenaires naturels et également ambitieux. Il existe à soixante kilomètres de distance deux universités plurifacultaires de structure similaire, une Ecole polytechnique, deux ensembles hospitaliers universitaires, le tout pour un peu moins de 30'000 étudiants. Ce qui peut apparaître aujourd'hui comme un luxe quand des rivalités locales et à courte vue conduisent à maintenir des enseignements ou des équipes de recherche tout juste viables de part et d'autre se transforme en un avantage incommensurable quand se conjuguent des ambitions et des projets de développement qui ne deviennent réalisables que si l'on s'associe.
Le deuxième atout est le renforcement de l'autonomie de l'Université. C'est là le second volet de l'opération Orchidée, inséparable du premier faute de quoi Orchidée sera à coup sûr une manière d'aborder l'avenir à reculons. Le renforcement de l'autonomie de l'Université comporte un risque que le Conseil d'Etat a décidé de prendre parce qu'il a confiance en l'Université et parce que l'octroi d'une enveloppe budgétaire et de règles plus souples de gestion présente de multiples avantages. En permettant à l'Université de se diriger et de s'organiser elle-même pour tirer le meilleur parti des ressources mises à sa disposition, l'État ne lui donnera pas un chèque en blanc. Mais il adoptera un comportement nouveau qui consiste à se prononcer sur un budget global, fondé sur un programme et des objectifs pluriannuels, et à exercer a posteriori un contrôle attentif.
Le troisième atout est la recherche de financements nouveaux pour l'enseignement et la recherche. Attention, s'écrie-t-on aussitôt. L'Université pourrait perdre son âme en faisant plus largement appel à des fonds privés; en outre, les diverses facultés et disciplines n'auront pas des chances égales devant les possibilités de financement extérieur; enfin, l'État ne risque-t-il pas de se désengager s'il constate l'aptitude de l'Université à trouver par elle-même des ressources ? De fait, l'Université devra fixer des règles pour que le financement extérieur ne soit pas un facteur d'inégalité et pour qu'il ne porte pas atteinte à la liberté de l'enseignement et de la recherche; et elle ne manquera pas une occasion de souligner qu'elle est au service de la société et non d'intérêts particuliers. Cela dit, le Rectorat est convaincu qu'il n'existe aucune discipline qui ne puisse trouver des ressources nouvelles, publiques ou privées. Et surtout il considère que l'Université est bel et bien un lieu de production du savoir et de techniques et qu'à ce titre elle est un agent de la vie sociale, culturelle et économique.
Le dernier atout à construire est l'amélioration de l'enseignement de premier cycle, c'est-à-dire dans cette période décisive pour beaucoup que sont la première ou les deux premières années d'études. Le nombre de nouveaux étudiants continuera à croître dans les prochaines années. Le Rectorat estime juste que l'accès aux études reste ouvert et il est défavorable à l'institution d'un numerus clausus, fondé sur on ne sait quel critère. Le premier cycle conservera ainsi une fonction d'orientation et de sélection des étudiants. Mais comment peut-il jouer intelligemment ce rôle ? Par la transmission et le contrôle d'un flot de connaissances ? Pour une part, certainement, mais pour une part seulement. Le premier cycle doit d'abord viser à être le plus intéressant possible, à éveiller les motivations des étudiants pour la discipline qu'ils ont choisie en leur en fournissant d'entrée une vision synthétique; quant aux examens propédeutiques, ils doivent tester des aptitudes d'analyse et de jugement, et pas uniquement l'acquisition de connaissances. La réforme des premiers cycles est peut-être le plus difficile des programmes qu'une Université puisse se fixer, surtout quand ses forces d'encadrement vont en diminuant. A qui douterait de son utilité, on rappellera que la qualité d'une université se mesure notamment à la qualité de ses étudiants et de ses diplômés.
L'avenir de notre pays réside dans la formation. Le canton de Vaud et l'Université de Lausanne ont assurément un rôle majeur à jouer en même temps qu'une immense responsabilité à assumer.