Docteurs honoris causa

 

Mme Michelle Perrot

professeure à l'Université Denis Diderot (Paris VII)

Laudatio:

A l'historienne du conflit social et de ses protagonistes oubliés, en particulier les femmes; à l'écrivaine de talent; à la chercheuse humaniste et féministe


Née en 1928 à Paris, agrégée d'histoire, Michelle Perrot rédige sa thèse d'Etat, qu'elle défend en 1971, sous la direction d'Ernest Labrousse. Professeure titulaire à Paris VII - Jussieu dés 1974, elle y anime le laboratoire « Sociétés Occidentales », dirige de très nombreuses thèses et contribue à la création, en 1991, de l'Ecole Doctorale «Sociétés, Psyché, Espaces et Pouvoirs». Grand Prix d'Histoire du Ministère de la Culture en 1981, Michelle Perrot a reçu la Légion d'Honneur en 1992 et l' Ordre du Mérite en 1994.

Professeure émérite depuis quatre ans, elle a contribué à fonder l'Académie Universelle des Cultures avec Elie Wiesel et occupe actuellement la vice-présidence du Conseil National du Sida. Elle est aussi membre des comités de rédaction de plusieurs revues prestigieuses. Pour un plus large public, elle coproduit les Lundis de l'histoire sur France-Culture.

Michelle Perrot, qui êtes-vous, derrière ce florilège d'honneurs ? De son enfance dans un milieu de commerçants du quartier des Halles, elle se souvient du « Paris populaire, un peu interlope, grouillant, sonore et drôle », où elle se sent si bien. Ainsi, l'amour des villes et la sensibilité ouvrière sont-ils des thèmes récurrents de son oeuvre, comme l'atteste encore récemment sa contribution aux mélanges offerts à notre collègue, le professeur honoraire J.-P. Aguet.

De parents anticléricaux, avec un père franchement rebelle et même peut-être féministe, rien ne semblait destiner Michelle Perrot à une éducation catholique rigoureuse. Mais pouvait-on alors abandonner une jeune fille de bonne famille aux classes bondées de l'enseignement secondaire gratuit et laïc? Au cours Bossuet, elle découvre la religion et la foi, «sources de plaisirs, d'émotions, occasions de fêtes, accès au merveilleux, appels au don de soi...». Elle évoque ainsi la collégiale de Montmorency, où elle a tant prié le Christ-Roi et Notre- Dame de Boulogne pour le salut de la France pendant la guerre.

Arrive enfin l'été 1946 « J'ai dix-huit ans, se souvient-elle... Vais-je enfin pouvoir descendre de ma colline, trouver les autres, me mêler au monde pour le changer ? » En classe de philo, elle découvre Bergson, qui lui donne « la sensation d'une coulée de lave en fusion ». Elle lit le Manifeste Communiste, dont le côté prophétique et eschatologique lui rappelle les Ecritures. Les souvenirs du Front Populaire ne sont pas effacés, ainsi que ce sentiment de honte d'avoir appartenu au « camp des injustes », pour reprendre les termes de Mauriac. En ne voyant plus le pauvre, mais l'ouvrier, où plutôt la classe ouvrière, Michelle Perrot passe de la compassion à la fascination.

A contre-courant, elle décide d'étudier l'histoire, à une époque où les gens sont « occupés de la reconstruction, désireux de neuf, peu soucieux de leurs racines ». Ernest Labrousse sera son initiateur. I1 plaide alors pour l'économique et le social, les structures et les conjonctures, les classes et les crises, la statistique et les chiffres. Bref, la quête d'explications. Sous sa direction, elle étudie l'histoire ouvrière, celle des masses obscures qui la captivent, mais dont elle entend aussi arpenter, peser et mesurer la geste. Ainsi, la grève paraît concilier « la saisie de la parole ouvrière, par elle jaillie des profondeurs, et l'exigence d'une indispensable mesure ». Ouvriers en grève (France, 1871-1890), Sa thèse d'Etat consignera les résultats de cette énorme enquête, dont l'écriture est aussi marquée par les événements de 1968.

« La longue concentration de ta thèse - mère protectrice ! - achevée, j'étais disponible », avoue-t-elle. C'est le temps d'une curiosité foisonnante, de l'enthousiasme pour le travail collectif, mais aussi de l'intérêt renouvelé pour le sort des plus humiliés, dont la figure collective émerge bien de l'univers carcéral décrit par Michel Foucault, avec lequel elle collabore. Un recueil des publications de Michelle Perrot sur le monde pénitentiaire, intitulé probablement Les ombres de l'histoire devrait paraître sous peu.

Enfin, le mouvement des femmes suscite de plus en plus d'interrogations dans le champ des sciences sociales. Si Ernest Labrousse l'avait en son temps dissuadée de consacrer sa thèse au féminisme, Michelle Perrot prend alors largement sa revanche. Elle dirige le tome 4 de l 'Histoire de la vie privée, éditée par Ph. Ariès et G. Duby, parue au Seuil en 1987 et traduite depuis dans une vingtaine de langues. Il s'agit pour elle de cerner ce qu'il y a de commun à l'histoire des femmes: le rapport des sexes n'est-il pas une structure élémentaire, jusqu'ici largement refoulée, de l'histoire des hommes. Mais l'histoire des femmes est-elle possible ? Avec les 5 vols de 1'Histoire des femmes en Occident, qu'elle édite avec G. Duby au début des années 1990, elle semble répondre par oui. Mais pas une histoire des femmes pour elle-même, confinée et à nouveau marginalisée. Un recueil de ces travaux intitulé Les femmes ou les silences de l'histoire devrait sortir de presse au printemps 1998.

Michelle Perrot, par votre curiosité, par votre réflexion, par votre engagement social et éthique, par vos publications enfin, par les conseils et les encouragements que vous avez prodigués à de nombreux chercheuses et chercheurs, vous avez sans doute contribué à féconder une nouvelle génération d'historiens et de sociologues. Notre Faculté est fière de s'inscrire modestement dans cette filiation.

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