SOMMAIRE
Avant-propos d'Alain Corbellari (p. 3-6)
Étienne BARILIER - Prière pour l'Acropole (p. 7-22)
Averroès et l'averroïsme d'Ernest Renan, oeuvre de philologie rigoureuse et de profonde érudition, est d'abord une histoire des interprétations plus ou moins aberrantes dont Ibn Rushd fut la victime au cours des siècles. C'est donc l'histoire d'un mythe, autant et davantage que celle d'une doctrine philosophique: une salutaire oeuvre de critique. Notre époque accuse cependant Renan d'avoir substitué son propre mythe (rationaliste, positiviste, philhellène) à ceux qu'il combattait. Les choses ne sont peut-être pas si simples. Et qu'en est-il de notre mythe à nous?
Daniel MARGUERAT - Renan et la répugnance du miracle (p. 23-36)
L'immense succès du Jésus de Renan (1863) tient notamment à sa position sur le miracle, au carrefour du positivisme et du romantisme. L'auteur récuse le surnaturel, et rend compte des guérisons de Jésus à l'aide de catégories culturelles et psychologiques. Entre l'indéniable présence des miracles dans la tradition de Jésus et la répugnance de Renan à l'égard du surnaturel, comment l'auteur échappera-t-il au dilemme? Son argumentation est ici présentée et évaluée, puis mise en perspective dans le cadre de la quête du Jésus historique avant et après lui.
Jean KAEMPFER - La Vie de Jésus, tout un roman... (p. 37-50)
De Pär Lagerkvist à Maurice Chappaz, de Nikos Kazantzaki à Eric-Emmanuel Schmitt, on ne compte plus les romans qui se proposent de conter la vie du Christ. Cette floraison n'est pourtant pas née du seul caprice d'écrivains de plus en plus nombreux attirés par cette «matière» hors du commun. Elle s'autorise en effet d'un texte dont le succès fulgurant fit la gloire de son auteur et qui, dans son ambiguïté (que d'aucuns jugèrent hautement scandaleuse), peut être considéré comme le premier exemple d'une telle entreprise: la Vie de Jésus d'Ernest Renan.
Danielle CHAPERON - Un philosophe au théâtre... puis un autre (Ernest Renan et Henri Gouhier) (p. 51-64)
Le théâtre de Renan n'a guère séduit les praticiens et n'a pas plus retenu l'attention des critiques. Néanmoins, cette oeuvre dramatique (Caliban, L'Eau de Jouvence, Le Prêtre de Nemi, L'Abesse de Jouarre) est à l'origine d'un petit mystère historiographique. Après trois ouvrages - formant trilogie - dédiés à la définition du phénomène théâtral, le philosophe Henri Gouhier consacre aux drames de Renan sa première monographie critique. Bien sûr, ce livre permettait à son auteur d'articuler les deux volets, jusqu'alors disjoints, de son oeuvre: l'un voué au théâtre et l'autre à des figures marquantes de l'histoire des idées (Descartes, Malebranche, Pascal, Comte...). Écrire un ouvrage sur le théâtre d'un philosophe semble aller de soi dans ce contexte. En fait, le projet est loin d'être naturel et même tout à fait paradoxal, non seulement par son origine mais aussi par son résultat.
Marta CARAION - Poésie et Exposition universelle : état d'une polémique (p. 65-82)
«La poésie de l'Exposition», «La poésie de l'industrie»: la formule est en vogue autour de l'année 1855. Que de ces titres les auteurs retiennent l'oxymore, en soutenant avec ferveur que dépasser sa dimension antithétique serait sacrilège, ou, au contraire, qu'ils en fassent un projet social et intellectuel pour un XIXe siècle résolument moderne, signifie d'abord l'extrême urgence de la problématique. Que faire, en cette époque positiviste - et l'Exposition Universelle ne sera qu'un terrain de cristallisation des enjeux généraux de la période - du face à face entre les arts, les sciences et l'industrie?
Annie PETIT -: Histoire et philosophie de l'histoire de Renan (p. 83-110)
L'abondance et la diversité du travail historique de Renan ont une profonde unité philosophique dont l'essentiel est exposé dès L'Avenir de la science. En rappelant la genèse de sa vocation d'historien, on insiste ici sur la volonté de Renan de faire reconnaître l'histoire comme une science. Pour préciser sa conception philosophique de la marche de l'humanité, on s'attache aux modèles qu'il utilise et à sa conception des lois, et on montre comment Renan construit ce qu'il appelle un «dogmatisme critique» où un rationalisme décidé se conjugue avec une affirmation du rôle essentiel des passions dans le processus de l'histoire comme dans le travail de l'historien. La philosophie de l'histoire de Renan emprunte peut-être moins à Hegel qu'il revendique comme maître, qu'à d'autres philosophes contemporains pourtant fortement discutés.
Alain CORBELLARI - Renan médiéviste (p. 111-126)
On sait que l'essentiel de l'effort scientifique de Renan s'est porté sur l'Antiquité et le monde sémitique. Pourtant, à la fois parce qu'il fut l'un des introducteurs en France des méthodes philologiques allemandes et en raison de la part active qu'il prit à l'élaboration des volumes de l'Histoire littéraire de la France consacrés au XIVe siècle, il ne fut pas sans influence sur le bouleversement des connaissances sur la littérature médiévale qui allait être l'oeuvre des générations d'érudits qui le suivirent. Le thuriféraire du «miracle grec» pourrait même avoir été l'un des initiateurs de l'idée d'une «Renaissance du XIIe siècle».
Daniel MAGGETTI - Rêver à Renan (p. 127-142)
Parmi les lecteurs romands de Renan, Henri-Frédéric Amiel se signale par sa constance, et par la nature particulière de son admiration. Cet article se propose de dessiner les contours non seulement d'une réception, mais aussi d'une relation dissymétrique, en puisant dans le Journal intime du Genevois, dont la première édition a par ailleurs retenu l'attention de Renan.
Alain CORBELLARI - Une lettre inédite de Joseph Bédier sur Brunetière et Renan (p. 143-150)
En 1904, le fameux critique Ferdinand Brunetière publie ses Cinq lettres sur Ernest Renan, véritable réquisitoire contre l'auteur de L'Avenir de la Science, dont le scepticisme est vigoureusement critiqué. Le geste est pour le moins dangereux en ce moment critique de la carrière de Brunetière (on parlerait aujourd'hui d'«autogoal»): discrédité auprès des intellectuels par son antidreyfusisme, suspect aux républicains par son catholicisme, dépassé méthodologiquement par l'histoire littéraire de Lanson, Brunetière tente en effet à la même époque de se faire élire au Collège de France. Une lettre inédite de Joseph Bédier, que nous publions ici, éclaire assez crûment l'échec de sa candidature, tout en apportant un témoignage précieux sur l'aura qu'était celle de Renan au début du XXe siècle.
Maurice GASNIER - La Correspondance Générale d'Ernest Renan (p. 151-153)
Reproduction d'une lettre inédite d'Ernest Renan du 23 avril 1889 (p. 155)
Laudyce RÉTAT - Postface : Renan hier, Renan aujourd'hui (p. 157-167)