SOMMAIRE
François ALBERA – Introduction (p. 1-2)
François ALBERA - Que faut-il entendre par histoire et esthétique du cinéma? (p. 3-16)
Cette leçon d’introduction inaugurant la création d’une chaire d’Histoire et esthétique du cinéma à l’Université de Lausanne en automne 1990 vise à interroger les deux notions utilisées pour qualifier cette nouvelle discipline. Le cinéma leur donne-t-il un nouveau contenu et conduit-il à les ré-interroger, y compris dans leur acception pour l’art? L’exemple d’un film de 1943, Le Ciel est à vous, permet d’expliciter la nature particulière du texte filmique, sa nature hétérogène, ses intertextes et ses déterminations externes que dialectise la mise en forme qu’il propose.
Danielle CHAPERON - Le spectateur intersidéral. Note sur la «chronoscopie» de Camille Flammarion (1842-1925) (p. 17-28)
Un astronome, fût-il vulgarisateur et célèbre comme Camille Flammarion, ne semble guère devoir figurer dans quelque bas de page d’une histoire du cinéma. (Avec un peu d’entêtement on découvrira cependant qu’Abel Gance lui doit l’idée du scénario de La Fin du monde, en 1930). Pourtant c’est au sein même de ses méditations cosmologiques que Camille Flammarion explore, bien avant l’invention des Lumière, un imaginaire qu’on dira – pour ne pas abuser des préfixes – «cinématographique».
Iouri TSIVIANE - La réception de l’espace mobile, «Anna Karénine» et «L’Arrivée du train en gare de La Ciotat» (p. 29-44)
En partant de la manière dont on a rendu compte en Russie du premier film Lumière, L’Arrivée du train à La Ciotat, on découvre d’une part la prégnance d’un modèle culturel préalable, un «pattern», la mort d’Anna Karénine qui se jette sous un train dans le roman de Tolstoï: ce «cliché» programme la réception de la vue. D’autre part, les codes spatiaux du cinéma (perspective, profondeur, recouvrement, déplacement de l’arrière vers l’avant, etc.) se révèlent ainsi évolutifs et une distinction s’établit entre perception et réception de l’espace en mouvement.
Annette MICHELSON - «Where is your rupture?» Culture de masse et «Gesamtkunstwerk» (p. 45-62)
L’idéal romantique de l’«œuvre d’art totale» que Wagner ambitionna de réaliser dans l’opéra demeure une référence au début du siècle, y compris dans l’avant-garde (Kandinsky, Gropius). Moholy-Nagy est parmi les premiers à théoriser la sortie de ce modèle tout en prônant l’abolition des frontières entre les arts. Dans les années 60, la Factory d’Andy Wahrol reprend cette proposition dans une perspective de dérision. Le modèle du corps (organisme, tout) a entretemps été disloqué, le fragment promu et le «corps morcelé» (M. Klein) joué dans l’art contemporain (Duchamp). Le cinéma de M. Deren, A. Wahrol et S. Brakhage en témoignent.
Maria TORTAJADA et Eric EIGENMANN - Regards et pouvoirs. Entre théâtre et cinéma: l’esthétique de Roger Planchon (p. 63-78)
Qu’est ce que regarder un spectacle? Cet article, qui concilie des approches sémiologique et phénoménologique, pose la question dans le cadre de la représentation théâtrale et de la projection cinématographique. Il ne s’agit pas tant d’établir de nouveaux critères théoriques, en vue de nourrir le débat sur la spécificité des deux arts, que d’analyser des œuvres particulières: le George Dandin de Molière, dans la double réalisation, au théâtre et au cinéma, de Roger Planchon. La réflexion menée ici montre d’une part que chacune des deux œuvres met en évidence les conditions et les moyens de vision spécifiques de l’art concerné; d’autre part que cette divergence de traitement aboutit, paradoxalement, à une certaine convergence des effets sur le spectateur, dans son rapport au visible.
Mikhaïl IAMPOLSKI - L’intertexte contre l’intertexte (Un chien andalou de Luis Buñuel) (p. 79-110)
Dans Un Chien andalou, Buñuel et Dali recourent à l’un des traits de la poétique surréaliste consistant à dénier toute inscription culturelle de leur œuvre en la référant au rêve, au désir et au corps. Mais il s’agit là d’un masquage aux fins polémiques, le film se construisant sur une série d’intertextes complexes (Apollinaire, Gomez de la Serna, Benjamin Péret, etc.) mettant en jeu un certain nombre de procédés et de tropes communs au surréalisme telle que la mise en rapport d’éléments selon des critères purement extérieurs afin d’en évincer le sens et en détruire l’intertexte culturel. Or la structure syntagmatique ne peut opérer cette dé-sémantisation qu’au prix de l’édification d’un nouvel intertexte, d’une nouvelle symbolisation transformant l’image en un hiéroglyphe aux interprétations illimitées.
Rémy PITHON - Regain de Marcel Pagnol: «La terre, elle, ne ment pas» (p. 111-124)
Au regard de l’histoire, Regain de Marcel Pagnol apparaît comme une parabole du retour à la vraie civilisation, celle où l’homme s’adonne au travail de la terre ou à l’artisanat, où la femme se consacre à la maternité, où l’on refuse la ville, la technique et tous les signes de la modernité. Le succès du film en 1937 atteste combien était vivace, dès les années trente au moins, cette représentation mythique d’un âge d’or à retrouver, laquelle allait assurer en 1940 une adhésion généralisée au discours tenu par le régime de Vichy.
André CHAPERON - L’Institut de Filmologie, une tentative d’interdisciplinarité (p. 125-138)
Dans la France de l’immédiat après-guerre, l’Institut de Filmologie est créé en 1948 dans le cadre de la Sorbonne. A la fois centre de recherches interdisciplinaires sur le cinéma et lieu de formation intégré dans le cursus universitaire, cet Institut fait paraître jusqu’en 1961 la Revue Internationale de Filmologie. Cette revue articule de manière raisonnée un certain nombre de champs extérieurs au cinéma, de façon à en faire exploser la nébuleuse indifférenciée et à en hiérarchiser tant les constituants internes que les déterminations externes. Par sa posture véritablement épistémique face à l’«objet-cinéma», la filmologie annonce la sémiologie du cinéma, filiation d’ailleurs clairement reconnue par Christian Metz, initiateur et principal représentant de ce qu’il appela d’abord la filmolinguistique.
Catherine SILBERSCHMIDT - La femme visible: Germaine Dulac (p. 139-148)
Dans les années vingt Germaine Dulac a développé sa propre esthétique du film. Elle ne réalisera jamais son idéal théorique: le cinéma «pur», composé uniquement d’images abstraites. Ses films restent bien ancrés dans la représentation concrète. Mais elle a formulé une conception de la réalité filmique dans le souci d’atteindre non seulement les spectateurs, mais le spectateur et la spectatrice. Elle cesse ses recherches avec la fin du cinéma muet. En 1931 elle entre chez Gaumont et devient rédactrice en chef de Gaumont-Actualités. Avec sa mort en 1942, sa trace se perd vite. Elle est redécouverte aux Etats-Unis au début des années soixante-dix par l’analyse féministe du cinéma. Dans l’histoire du cinéma français, elle occupe une place qui reste à définir.