Avec le climat, la biodiversité apparaît comme l’autre grand enjeu environnemental global majeur. Or, les questions qui lui sont liées ne sont ni moins complexes ni moins controversées que les questions climatiques.
Au-delà des difficultés d’appréhension relevant du seul domaine de la biologie, le mot « biodiversité » a été forgé par les biologistes à l’adresse de la société civile. Et c’est encore là que le bât blesse. En effet, la biodiversité constitue un enjeu majeur pour les sociétés et leurs économies. L’objectif premier était celui de sa conservation. Pour y parvenir, il a semblé nécessaire et de la réglementer et de la valoriser. Plus récemment s’est imposée l’opportunité d’une évaluation monétaire des services écosystémiques.
Chacun de ces points est sujet à controverses. Quoi qu’il en soit, il nous incombe de devoir gérer à des échelles diverses la biodiversité.
Ce séminaire vise à mettre en lumière la biodiversité - comment la définir, la conserver, la valoriser, la réglementer et mieux la gérer – car enjeu majeur pour l’environnement mais aussi pour la société et l’économie.
Jacques Blondel, directeur de recherche émérite au CNRS, Montpellier, France
Ce qui fait sa marque de fabrique du néologisme « biodiversité », forgé en 1986 à l’occasion d’un forum sur la diversité biologique, et lui confère sa légitimité, c’est que son champ d’application ne concerne pas seulement les sciences biologiques, mais embrasse aussi une problématique explicitement anthropologique liée aux relations entre les humains et la nature. Relevant de plusieurs champs de la connaissance le concept soulève des questions épistémologiques et ontologiques. On verra que l’approche du concept relevant des sciences de la nature a pour objet de la décrire et de la connaître, celle de la philosophie de lui reconnaître ou lui attribuer des valeurs d’existence indépendamment de toute instrumentalisation, et celle des sciences sociales de réguler son appropriation et son partage par les humains. Toute réflexion sur la diversité biologique se doit donc de naviguer à la confluence de ces trois champs, ce qui n’est pas sans risques, en raison de la disparité des traditions culturelles des mondes scientifique, politique, médiatique.
Références
Barbault, R. et Chevassus-au-Louis, B. 2004. Biodiversité et Changements globaux. Enjeux de Société et défis pour la recherche. Paris, Ministère des Affaires Etrangères-ADPF.
Blandin, P. 2010. Biodiversité. Paris, Albin Michel.
Blondel, J. 2012. L'Archipel de la Vie. Essai sur la diversité biologique et une éthique de sa pratique. Paris, Buchet-Chastel.
Hawksworth, D. L. 1995. Biodiversity - measurement and estimation. London, Chapman and Hall.
Mace, G. M., Norris, K. and Fitter, A. H. 2012. Biodiversity and ecosystem services: a multilayered relationship. Trends Ecol. Evol. 27(1), 19-26.
Millenium Ecosystem Assessment 2005. Ecosystems and Human Well-being: Synthesis. Washington DC, Island Press.
Wilson, E. O. 1992. The Diversity of Life, Allen Lane, The Penguin Press.
Conserver la biodiversité en régions intertropicales
Marc Dufumier, professeur émérite en agriculture comparée et développement agricole à l'AgroParistech, France
Les régions intertropicales sont connues pour héberger la plus grande part de la biodiversité mondiale. Aussi est-il devenu commun aujourd’hui de regretter les dégâts occasionnés à leurs écosystèmes par les systèmes de production agricole dont la mise en œuvre exige le recours à des engins motorisés et/ou à des intrants chimiques de diverses natures : tracteurs, motopompes, engrais, herbicides, fongicides, insecticides, etc. Sont ainsi particulièrement dénoncées l’érosion génétique et la perte de biodiversité agricole auxquelles aboutissent l’établissement de grandes plantations mono-spécifiques, les défrichements agricoles de « front pionnier » et l’utilisation exclusive de variétés à haut potentiel de rendement. Cette simplification des agro-écosystèmes et les dommages ainsi causés à la biodiversité doivent-ils être pour autant considérés comme la conséquence inéluctable du « Progrès » dans l’agriculture ? N’existerait-il pas des voies de développement agricole plus « durables », plus respectueuses de la biodiversité ? Suite à une présentation de situations dans lesquelles la biodiversité est aujourd’hui en régression, la conférence visera à montrer qu’il existe aussi des formes d’agriculture permettant la co-habitation durable d’un grand nombre d’espèces races et variétés, domestiques et spontanées.
Conserver la nature urbaine ? Casse-tête pour les organisations de protection de la nature
Joëlle Salomon Cavin, Institut de géographie et durabilité, UNIL, Lausanne, Suisse
Il est désormais communément admis que le milieu urbain recèle une diversité biologique suffisamment digne d’intérêt pour faire l’objet de mesures de conservation. Aussi, des associations de protection de la nature, comme Pro Natura ou WWF, militent-elles désormais pour la protection et la valorisation de biotopes urbains. Cependant, la conservation de la nature urbaine se révèle parfois être un casse-tête pour ces organisations. Trois raisons peuvent l’expliquer:
La première est que traditionnellement, ces organisations ont développé un discours très hostile à la ville. Des actions en faveur de la nature urbaine contrastent et brouillent leurs discours habituels.
La seconde est que protéger et valoriser des espaces de nature en ville peut se révéler en contradiction avec des objectifs de densification du milieu bâti et de conservation des espaces naturels hors la ville.
La troisième est que la nature de la nature à protéger en ville est complexe dans la mesure où les qualités biologiques des zones à protéger interférent avec leurs fonctions sociales.
Références
J. Salomon Cavin, C. Carron, J. Ruegg (2010), « La ville des défenseurs de la nature : vers une réconciliation ? », Natures, Sciences et Sociétés, 18, pp. 113-121.
J. Salomon Cavin (2006), « La ville au secours de la nature. Une politique urbaine pour l’Angleterre rurale ». Espaces et Sociétés, 126, pp. 141-148.
L'évaluation économique des écosystèmes et de la biodiversité : quelle signification ? quelle importance ?
Jean-Michel Salles,directeur de recherche CNRS, UMR5474 LAMETA, Montpellier, France
L’évaluation économique des écosystèmes et de la biodiversité est devenue un champ de questionnement très actif depuis que le Millenium Assesment a mis en évidence que les services retiré des écosystèmes étaient précieux et menacés. La question reste cependant très controversée, notamment du fait que la notion de valeur économique et les enjeux de son application aux écosystèmes ne sont pas toujours clairement perçus. L’exposé s’efforcera de revenir sur les concepts et méthodes de ces évaluations. On mettra en évidence les problèmes posés par ces questions et travaux pour en préciser la portée et les limites dont la plus grave est sans doute l’importance donnée dans cette démarche aux préférences des agents qui ne sont pas toujours clairement fondées.
Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, à l’AgroparisTech, à Sciences Po (Paris), à l’ENS Paris, France
La biodiversité est un fait d’observation banal mais, de la systématique du XVIIIème siècle à la génétique du XXème, son interprétation a connu des périodes très différentes. La théorie de l’évolution lancée par Darwin il y a 150 ans constitue la base de la biologie contemporaine. L’écologie et l’idée de biodiversité, mais surtout la génétique sont issues de cette théorie qui affirme l’unité du Vivant, qui permet d’agir sur lui, mais qui pose de nombreux problèmes à la société, a servi de fondement à des idéologies ignobles et est refusée par les extrémistes religieux. Quant à la description et la sauvegarde de la biodiversité, elles reposent souvent sur des idées simplistes et peu convaincantes. Où en est-on de la compréhension de cette diversité ? et de nos actions sur elle ? Les biotechnologies se développent à grande vitesse et de nombreux débats concernant les risques pris mais aussi les aspects éthiques ou économiques ont vu le jour. Face au débat sur les OGM par exemple, les scientifiques ont souvent considéré les critiques comme essentiellement obscurantistes. Qu’en est-il ? Pourquoi tant d’incompréhension ? Peut-on espérer l’avènement d’un véritable échange entre science, technique et société dans le champ de la biologie ?
Brevets d'invention, souveraineté des Etats sur leurs ressources génétiques et partage des avantages liés à l'exploitation de ces ressources
Charles Joye, avocat et professeur remplaçant UNIL, Lausanne, Suisse
La biologie et la génétique ont fait leur entrée dans le domaine de la technique et de l’industrie. Leur vocation n’est plus seulement l’observation et l’exploration théorique, mais désormais aussi l’action et l’application concrètes. Autrefois objet d’étude, le matériel génétique est devenu une ressource et un potentiel de produits nouveaux. Face à ces développements scientifiques, technologiques et industriels, le droit est appelé à réaliser des objectifs parfois contradictoires. D’un côté, il doit permettre et favoriser ces développements, notamment en favorisant l’accès aux ressources génétiques et en assurant la protection des investissements nécessaires à ces développements. D’un autre, il doit assurer la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. Notre intervention se veut une contribution à cette tâche. Son sujet est d’examiner le conflit entre le droit exclusif des Etats sur leurs ressources génétiques et le droit exclusif qu’un opérateur de recherche peut acquérir sur ces mêmes ressources au moyen d’un brevet d’invention.
Regulating Access to Genetic Resources and Associated Traditional Knowledge in the 21st Century
Graham Dutfield, professor, School of Law, University of Leeds, Great Britain
It is more than 20 years since the Convention on Biological Diversity was adopted. Since then, most international initiatives have been characterised by strategic vagueness and a lack of genuine action. This is despite the 2010 protocol of the Convention on access and benefit sharing, which although well received by those advocating fair treatment of biodiversity-holding nations and indigenous peoples, is dressed up in the usual non-committal language. Elsewhere, though, much effort has gone into the adoption of laws, rules and policies concerning genetic resources and traditional knowledge, especially in Latin America and some Asian countries. Given the failure of regulation to shift the power balance to any appreciable degree, doing nothing rather than something might appear to be the most rational course of “action”. But this is not good enough. In 1992, the global community saw biodiversity loss and the lack of incentives to conserve or use it wisely as problems requiring collective action including new legal norms. Little has been achieved during this time beyond a small number of effective but geographically limited local initiatives. The importance of these, however, should not be understated. Bio-nationalism, scientific ignorance and disrespect for indigenous peoples have proved to be major obstacles. For regulators and policymakers, the task is to balance the exercise of national sovereignty with the legal recognition of non-state property rights, consistent with human rights norms and taking into account the genuine scientific and commercial potential of physical and intangible elements of biodiversity. Few would disagree with such an aspiration in principle, but vested interests intent on frustrating workable regulatory solutions are deeply entrenched in both capitals and the international forums. Ultimately, the only solutions may have to be local.
Rechercher la cohérence pour gérer la biodiversité
Evelyne Marendaz, directeur, Division Espèces, Ecosystèmes et Paysages, Office Fédéral de l’Environnement, Berne, Suisse
La communauté internationale a décidé de passer de la notion de « protéger» la biodiversité à « gérer » la biodiversité dans le but d’inspirer toutes les parties prenantes à des actions de grande envergure de soutien à la biodiversité. En toile de fonds à cette évolution se trouvent la notion des services écosystémiques et la définition de leur valeur. Pour gérer un ensemble tel que celui de la biodiversité qui va du gène aux grands écosystèmes et qui concerne une multitude d’acteurs, les règles sont les mêmes que pour d’autres domaines. Les objectifs doiven-t être définis, les actions principales et leurs règles sont décrites et les fonctions et responsabilités de chaque acteur sont connues et communiquées. Cela sous-entend que chaque pays ou région doit mettre en évidence les défis principaux liés à sa situation propre, les objectifs pertinents et les priorités valables pour l’ensemble du territoire. Les plans de mesures visant à l’atteinte des objectifs intégreront les différents niveaux de décision et responsabilités, mais aussi les différents secteurs d’activités humaines. Seule la cohérence de ces différents niveaux et secteurs permet de gérer avec efficacité et d’atteindre les objectifs fixés avec une certaine économie de moyens.
Philippe Culet, professor, School of Law, University of London, Great Britain
Il est aujourd’hui généralement reconnu qu’il n’est pas suffisant de parler de conservation de la biodiversité. Conserver est un objectif central mais il doit être conçu dans un contexte qui prend en compte la nécessité d’utiliser certaines ressources biologiques pour assurer la réalisation des droits humains, tel que le droit à l’alimentation, pour assurer la pérennité des activités de subsistance et au niveau national pour assurer le développement durable de chaque pays.
La biodiversité doit donc être gérée en fonction d’objectifs multiples qui sont parfois difficilement entièrement réconciliables. Au niveau international, la Convention sur la diversité biologique est le principal traité environnemental qui tente de concilier les objectifs de conservation et d’utilisation durable dans un contexte Nord-Sud. Cependant, les compromis nécessaires pour obtenir l’adhésion de presque tous les Etats n’ont pas permis l’adoption de mesures concrètes précises. D’autres traités comme le traité de la FAO sur les ressources phytogénétiques vont plus loin dans le domaine spécifique de l'alimentation et l'agriculture. Ce traité a une importance énorme pour la gestion de la biodiversité, étant donné que la biodiversité agricole est la base de la sécurité alimentaire. Plus loin encore de l’environnement on trouve des traités comme l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’OMC. L’ADPIC n’a pas de mandat à gérer la biodiversité mais se trouve avoir des impacts directs et importants sur sa gestion, par exemple, en prévoyant la possibilité d’introduire des brevets sur les végétaux.
Le cadre de référence pour la gestion de la biodiversité est donc largement lié à des considérations de politique économique et commerciale. Ceci soulève de nombreuses questions quant à la possibilité pour les pays du Sud, en particulier, d’avoir des politiques de gestion de la biodiversité indépendantes, durables et centrées en priorité sur des questions fondamentales comme la réalisation des droits humains plutôt que les questions commerciales. Cette présentation examine les différents éléments du cadre juridique et institutionnel international gouvernant la gestion de la biodiversité et suggère la nécessité de l’adoption de nouvelles bases réglementaires pour une gestion moins centrée sur l’utilisation économique des ressources biologiques.
Elements de bibliographie:
Claudio Chiarolla, ‘Plant Patenting, Benefit Sharing and the Law Applicable to the Food and Agriculture Organisation Standard Material Transfer Agreement’, 11/1 J. World Intell. Prop. 1 (2008).
Philippe Cullet, Intellectual Property Protection and Sustainable Development (New Delhi: Butterworths/Lexis-Nexis, 2005).
Carolina Lasén Díaz, ‘Biodiversity for Sustainable Development: The CBD’s Contribution to the MDGs’, 15/1 Rev. Eur. Community & Int’l Envtl. L. 30 (2006).
Christiane Gerstetter et al., ‘The International Treaty on Plant Genetic Resources for Food and Agriculture within the Current Legal Regime Complex on Plant Genetic Resources’, 10/3-4 J. World Intell. Prop. 259 (2007).
Aðalheiður Jóhannsdóttir, Ian Cresswell and Peter Bridgewater, ‘The Current Framework for International Governance of Biodiversity: Is It Doing More Harm Than Good?’, 19/2 Rev. Eur. Community & Int’l Envtl. L. 139 (2010).
Elisa Morgera and Elsa Tsioumani, ‘The Evolution of Benefit Sharing: Linking Biodiversity and Community Livelihoods’, 19/2 Rev. Eur. Community & Int’l Envtl. L. 150 (2010).
Gurdial Singh Nijar, The Nagoya Protocol on Access and Benefit Sharing of Genetic Resources: Analysis and Implementation Options for Developing Countries (Genève: South Centre, Research Papers 36, 2011).
Philippe G. Le Prestre ed., Governing Global Biodiversity – The Evolution and Implementation of the Convention on Biological Diversity (Aldershot: Ashgate, 2002).
Simon West, ‘Institutionalised Exclusion: The Political Economy of Benefit Sharing and Intellectual Property’, 8/1 Law, Environment and Development Journal 19-42 (2012), disponible sur internet.