Pour la troisième fois, en ce jour solennel consacré à l'Académie, je vous apporte le salut du Gouvernement vaudois. Je le fais avec une chaleur particulière - celle de la gratitude - pour toutes les personnes qui oeuvrent au rayonnement et au bon fonctionnement de notre Université. J'adresse les félicitations du Conseil d'Etat aux nouveaux docteurs honoris causa, à la lauréate du Prix de l'Etat de Berne, au lauréat du Prix de la Ville de Lausanne, ainsi qu'aux étudiants honorés. La distinction dont vous faites l'objet, Mesdames, Messieurs, témoigne de l'activité scientifique importante de notre Université et de son ouverture sur le monde extérieur - en particulier sur le monde culturel avec le Prix de Berne de cette année - ce qui me réjouit particulièrement, en ces temps de rapprochement et de meilleure collaboration entre l'Etat de Vaud et la Ville de Lausanne.
En ce jour de fête pour l'Université, je ne sacrifierai pas à la morosité ambiante qui, depuis quelques mois, caractérise trop souvent les discours politiques; je ne vous parlerai donc pas de la détérioration des finances publiques mais bien des progrès, certes lents mais perceptibles, vers l'équilibre des comptes. Je ne dirai rien non plus des conséquences fâcheuses de la baisse des salaires que certains évoquent mais à laquelle le Gouvernement est fermement opposé, parce qu'elle est signe de récession et surtout parce qu'elle serait un très mauvais exemple de l'esprit d'entreprise qui existe encore et qui seul permettra de maintenir les conditions nécessaires d'un Etat fort, capable de garantir les acquis sociaux.
Je vous parlerai en revanche de deux projets (les mêmes que Monsieur le Président du Sénat) que je crois porteurs d'avenir pour l'Université de Lausanne avant de vous livrer quelques très modestes réflexions sur un thème plus général, mais aussi essentiel : la liberté académique.
Au préalable, je veux relever les efforts déployés par le Rectorat, les Facultés et tous les membres de la communauté universitaire pour répondre aux objectifs de gestion rigoureuse auxquels est soumise toute l'administration cantonale vaudoise. Comme je l'ai souligné à différentes reprises, ces démarches offrent l'occasion de redéfinir les priorités et les pôles de développement. Je réaffirme l'engagement pris par le Conseil d'Etat de doter l'Université de moyens supplémentaires dès que le taux d'encadrement de référence de 11.3 sera atteint. Je l'ai dit récemment aux représentants du Corps intermédiaire, qui ont quelques raisons de craindre les conséquences de ces restructurations pour la pérennité des postes essentiels qu'ils occupent dans la formation, la recherche et la relève.
Quelques mots aussi à l'adresse des étudiants, que l'Université devrait d'ailleurs associer plus largement aux festivités du DIES.
Les divergences sont inévitables et nécessaires; les manifestations sont même parfois un moyen d'expression et surtout le thermomètre pour mesurer l'acuité d'un problème que l'Autorité ne perçoit pas toujours. L'essentiel dans un système démocratique est de maintenir le dialogue. Même si le combat des idées est parfois rude, il doit rester pacifique et loyal. Je sais que je peux compter à cet égard, sur la nouvelle équipe de la FAE, que je félicite publiquement de son engagement au service de la Communauté universitaire.
L'année académique qui commence constituera certainement un test de vérité de la relation entre la Cité et la communauté universitaire, que j'évoquais dans mes propos du Dies de 1994, tant par le changement des personnes que celui des institutions.
Concrètement, cela devrait se traduire par une amélioration des conditions d'octroi des bourses d'études. Un premier pas a été fait par l'indexation des montants accordés et l'adaptation consécutive à l'entrée en vigueur de la nouvelle majorité (civile!). Dans le courant de l'année, le Conseil d'Etat devrait remettre sur le métier le projet de nouveau règlement élaboré à l'époque d'entente avec les représentants de la FAE.
Dans quelques jours, avec l'accord du Conseil d'Etat, une large consultation sera lancée sur un avant-projet de nouvelle loi sur l'Université de Lausanne. Le Grand Conseil devrait se prononcer lors de sa session de juin ou de septembre 1997.
Pourquoi une nouvelle loi sur l'Université de Lausanne? La révision intervenue en 1993 ne visait qu'à régler un certain nombre de problèmes urgents (dont celui essentiel de la participation). Depuis quelques années, le monde universitaire suisse et plus largement européen, connaît une évolution importante qui se caractérise par un mouvement général de réformes ayant pour but d'améliorer les performances des institutions, de les rendre en particulier mieux aptes à affronter les nombreux défis auxquels elles sont confrontées au tournant du millénaire.
Le projet qui sera mis en consultation a été élaboré sur la base des réflexions conduites par un groupe de travail, que j'ai présidé, comprenant des représentants du Rectorat, du Sénat, des étudiants et du Conseil académique ainsi que des personnalités extérieures au monde universitaire.
Ce projet revêt la forme d'une loi cadre se limitant à énoncer les principes généraux relatifs aux structures et au fonctionnement de l'institution universitaire. La liberté académique, la composition de la communauté universitaire, la représentation équilibrée des sexes trouveront une base légale qui fait actuellement défaut. Les pouvoirs du Rectorat seront élargis; il sera dirigé par un recteur, nommé par le Conseil d'Etat, sur proposition du Conseil académique et surtout du Sénat, comme je l'avais déjà annoncé ici même en 1994. Les structures de l'Université seront adaptées afin d'asseoir l'autorité du Rectorat. Le Conseil académique verra ses compétences élargies, sans être toutefois de type décisionnel. Quant au Sénat, il restera le lieu où sont rassemblés les représentants de toute la communauté universitaire, chargés de veiller par leurs suggestions, incitations et interpellations, au respect des missions assignées à une Haute école.
La relation entre l'Etat et l'Université deviendra davantage contractuelle; un contrat de prestations pluriannuel, basé sur un système d'indicateurs permettra la mise en rapport des activités d'enseignement et de recherche avec leur financement. Associé aux outils traditionnels du contrôle parlementaire, ce contrat fera l'objet, lors de sa présentation au Grand Conseil puis de ses renouvellements successifs, d'un débat qui n'a actuellement que de façon épidosique, sur les attentes de la société et du parlement cantonaé à l'endroit de l'Université.
La mise en oeuvre d'un tel contrat de prestations aura pour corollaire d'accroître l'autonomie et l'efficacité de gestion de l'UNIL. Mais tout cela existe déjà; il s'agit d'abord de le mettre en forme, dans le souci d'une meilleure efficacité. Cela ne signifie en aucun cas qu'il faille céder aux sirènes du New Public Management ni aux incantations de certains consultants qui privilégient la forme et les procédures davantage que le développement et la transmission des connaissances.
En septembre dernier, le Grand Conseil a adopté un projet de décret instaurant un régime financier provisoire pour l'Université, appelé "conduite budgétaire par groupes". Le projet de nouvelle loi entend franchir un pas supplémentaire en mettant l'Université au bénéfice d'un système d'enveloppes budgétaires globales qu'elle pourra librement gérer.
Le système provisoire sera un bon terrain d'essai avant une mise en place définitive. Il devrait aussi permettre une amélioration des méthodes de gestion, rendant possible sans trop de dommages les économies imposées à l'Université par le budget de l'Etat.
Durant l'année académique écoulée, les rapprochements Vaud-Genève dans le domaine universitaire ont été dominés par la déclaration d'intention du 1er février 1996 des Rectorats des deux Universités et par la consultation sur la création du Réseau hospitalo-universitaire lémanique.
Dans leur action de rapprochement, les Rectorats bénéficient donc du plein soutien des Gouvernements qui examineront le rapport intermédiaire reçu hier, à la fin de ce mois déjà.
En réponse aux esprits chagrins qui voient dans ces rapprochements le signe tangible d'une perte d'identité de nos institutions universitaires, je réponds qu'il ne s'agit pas de conduire à des fusions du type de celles qui fleurissent, avec plus ou moins de succès, dans le monde économique, mais bien de mettre en commun nos ressources, nos compétences, nos spécificités afin de demeurer ou de devenir selon les domaines, des pôles de références scientifiques reconnus sur le plan international.
Chaque institution conservera son statut juridique, son identité, pour des raisons historiques bien sûr, mais aussi parce que le génie propre de chaque institution ne résisterait pas nécessairement à une fusion dans un ensemble trop grand. Il n'est pas question de brader une institution au profit d'une autre.
Au début de ce mois, les Conseils d'Etat des cantons de Vaud et Genève ont décidé de poursuivre la procédure de création du Réseau hospitalo-universitaire lémanique par l'élaboration d'un concordat entre les deux cantons.
Sur la base des résultats de la consultation organisée au printemps dernier, les Conseils d'Etat en ont arrêté les orientations principales. Le projet complet vient de nous parvenir, il sera rendu public prochainement.
Sur le plan parlementaire, il convient de relever une première importante qui consiste en la création, par les Bureaux des deux Grands Conseils, d'une commission parlementaire mixte Vaud-Genève, chargée d'examiner le projet de concordat qui lui sera soumis par les Conseils d'Etat.
Cette procédure tout à fait unique et nouvelle souligne de manière évidente l'intérêt des parlements pour ce projet porteur d'avenir pour nos universités et la prise de conscience de la nécessité de créer non seulement des espaces de collaboration intercantonaux mais, chaque fois que c'est nécessaire, des organes communs pour mettre en uvre les projets trop ambitieux pour les forces d'un seul canton.
En matière universitaire, l'enjeu est de taille; il ne s'agit rien de moins que du maintien d'un Centre universitaire performant sur les bords du Léman.
Le discours du Dies, c'est aussi l'occasion - trop rare -, pour le responsable politique de porter sa réflexion sur les questions plus fondamentales concernant l'Université.
1997 sera, entre autres, l'année consacrée à Alexandre Vinet qui aurait alors deux cents ans, cent soixante ans après avoir été appelé à l'Académie par les étudiants, plus que par les autorités, et en particulier par celui qui sera destitué avec lui au moment de la révolution radicale, Charles Secrétan.
Mais quels liens, vous demanderez-vous, entre la pensée du moraliste libéral et réformé du 19ème siècle et la réflexion du magistrat catholique et socialiste, responsable de l'Université de cette fin du 20ème siècle ?
Si, à l'époque de Vinet l'enseignement est encore partiellement conçu en terme de consécration, il fait néanmoins déjà une large part à la qualité scientifique et à l'indépendance d'esprit. C'est un besoin qu'exprimeront très clairement les étudiants, lorsqu'ils demanderont à Vinet : "Vous aimeriez sans doute à favoriser de tous vos efforts le mouvement scientifique qui commence à se manifester chez les Vaudois si longtemps et profondément endormis. L'indépendance de votre esprit et la direction que vous avez imprimée à vos recherches scientifiques répondront à des besoins que mieux qu'un autre vous sauriez contenter". La satisfaction de ce besoin d'objectivité et de sérieux scientifique est tributaire d'une condition indispensable, la garantie de la liberté académique. Celle-ci est introduite dans la loi où s'inscrivent, avec la réforme des plans d'études, les principes nouveaux de liberté des études et de liberté d'enseignement, principes qui n'auraient pas été concevables lorsque l'Académie n'était consacrée qu'à la formation des pasteurs.
Ce principe de liberté, on le trouve au cur même de la pensée vinétienne. Cette volonté de garantir contre toutes les oppressions les droits de la personne humaine, Vinet la manifestera fidèlement, et sans jamais transiger, sur tous les plans, théologique, philosophique et politique.
On ne saurait bien sûr oublier le caractère élitaire de la pensée de Vinet, conforme à l'esprit du temps et qui sera en définitive fatal au régime libéral et aux aristocrates installés par lui à l'Académie.
Mais si une part de la production et de la pensée de Vinet s'inscrit étroitement dans le débat propre à son temps, et à ce titre n'intéresse plus guère que l'histoire des idées, une large part de son oeuvre cependant reste vivifiante et nous interpelle par delà les époques. Mais si Vinet ne peut être qualifié de progressiste, force est d'admettre que sa pensée est à la charnière de deux mondes.
La part visionnaire de la réflexion de Vinet transcende ainsi les enjeux de son époque pour tendre à l'universel. C'est là d'ailleurs la marque de tout esprit et de toute uvre d'exception, que de savoir extraire des circonstances momentanées des aspirations intemporelles, capables de conserver perpétuellement intact tout leur potentiel d'interpellation.
C'est ainsi que l'on peut, et que l'on doit je crois, interpréter la notion de liberté que Vinet a voulue pour l'Académie et dont il a, à trois reprises, appliqué à lui-même les conséquences, en démissionnant de ses fonctions de pasteur, puis de professeur, en déclarant: "Qu'il me suffise aujourd'hui de vous dire que j'ai cru avoir un témoignage à rendre, non pas à un système, mais comme on me le dira peut-être, à un principe qui est en dehors de tous les systèmes".
A l'heure des profonds changements que va vivre toujours davantage l'Université de la fin du 20ème siècle, la pensée de Vinet continuera d'exercer son influence, notamment par son apport à la notion de liberté académique. Considérée comme un aspect essentiel de la liberté de conscience et d'expression, sa consécration n'est encore que partielle dans la loi vaudoise, en vigueur. Personne ne conteste pourtant son rôle de garante du sérieux de la formation et de la recherche, ainsi que des qualités humaines et scientifiques de l'élite universitaire. Aujourd'hui, elle ne saurait bien entendu être réservée aux seuls privilégiés qui, à l'époque de Vinet, avaient accès à la formation académique. Désormais - c'est du moins l'objectif de l'indispensable mais toujours imparfaite démocratisation des études, Monsieur le secrétaire de la FAE - la naissance et l'origine sociale ne sont plus des conditions nécessaires pour en bénéficier. Vinet ne la renierait pas pour autant, bien au contraire. A chaque fois qu'elle fut bafouée, l'Académie en subit durablement les effets, perdant à la fois sa renommée, ses professeurs et beaucoup de ses étudiants. Avant Vinet, le juriste Barbeyrac en fit l'expérience, préférant quitter Lausanne plutôt que de signer le Consensus, déclaration d'orthodoxie exigée par Leurs Excellences de Berne. Son départ, suivi peu de temps après par celui du Recteur de Crousaz, marqua déjà le début d'une période difficile pour l'Académie, qui sombra alors dans la médiocrité.
La prochaine révision de la loi sur l'Université ne saurait donc l'ignorer. Au même titre que l'engagement du Gouvernement vaudois pour son Université, la liberté académique en restera l'un des principes fondamentaux.
Pour que l'UNIL demeure un service public (au plein sens du terme) et reste ce lieu de convivialité que Monsieur le Président du Sénat appelle de ses voeux et de rêve, Monsieur le Secrétaire de la FAE.