Discours de M. Eric Junod,

recteur de l'Université

 

Messieurs les musiciens, je vous salue et je vous remercie de votre contribution à notre Dies au cours duquel se prononcent beaucoup de discours, mais où la musique &endash; heureusement &endash; garde le premier et le dernier mot.

Dans l'hypothèse invraisemblable, Mesdames et Messieurs, où tels d'entre vous accorderaient à la présence d'un groupe de percussionnistes une valeur symbolique, suggérée par les à-coups de l'actualité, je préciserai que ce choix fut dicté par une attirance pour des instruments superbes d'où sort une musique qui valorise le rythme.

L'Université est déterminée à améliorer à un rythme soutenu la qualité de son enseignement, de sa recherche, de ses services et aussi de son organisation et de son fonctionnement. Elle y est d'autant plus déterminée qu'elle se trouve en pleine phase de progression et que son rayonnement scientifique n'a sans doute jamais été aussi grand qu'actuellement. Divers signes et indicateurs fiables en témoignent. Les Vaudois n'ont pas à rougir de ce qu'ils ont consenti pour le développement de Dorigny, du CHUV et d'Epalinges.

L'Université bouillonne d'activités, d'ambitions et de projets. Elle est également heurtée, pour prendre un terme en rapport avec les percussions. Heurtée du dedans, heurtée du dehors.

Du dedans: ce n'est ni nouveau ni étonnant. L'Université est constituée de facultés, de disciplines, de corps, de courants de pensée dont les intérêts divergent; de surcroît, elle a pour double mission de conserver et de créer le savoir, ce qui légitime en son sein les comportements les plus traditionalistes et les plus novateurs. L'Université impassible est impensable: tant mieux.

Il est toutefois des heurts qui indiquent des malaises et des défauts auxquels il lui appartient de remédier. Les étudiants jugent que certains enseignements sont trop peu critiques, fermés à la pluralité des approches et à la dimension historique; ils signalent la discrétion des études de genre, un encadrement insuffisant ou inéquitablement réparti. Les assistants dénoncent la précarité de leur statut, leur dépendance trop étroite à l'égard d'un professeur, l'absence de définition et de valorisation de leur travail; le Rectorat proposera dans les brefs délais une amélioration de leur statut. Dans tout cela, peu importe le nombre de celles et ceux qui critiquent. Seul compte de savoir si la critique est fondée ou non. Et si elle l'est, de corriger le tir avec les ressources disponibles en cherchant des solutions dans les lieux de l'Université et des facultés où l'on réfléchit et décide en commun. Dans la communauté universitaire, le recours au dialogue reste la voie la plus efficace.

Mais c'est surtout du dehors que l'Université est heurtée. Elle ressent vivement le poids des forces et des contraintes économiques et sociales. A commencer, pour les étudiants et les jeunes chercheurs, par la menace pesante de ne pas trouver de travail au terme de leurs études ou de leurs travaux. Quelle aide l'Université peut-elle leur apporter dans la recherche d'un emploi? Elle est faible, mais pas inexistante. Je signalerai deux pistes dans lesquelles nous faisons un effort croissant : l'introduction de stages professionnels en cours d'études et la création de postgrades et de formations continues qui visent à développer ou élargir une compétence professionnelle.

De façon plus générale, l'Université est heurtée de l'extérieur par la tristesse d'une période d'économies où les desseins politiques sont floues et les projets d'avenir manquent de consistance. Elle a la conviction de représenter pour l'ensemble du pays et de son avenir un atout dont on est en train de sous-estimer l'importance parce qu'on songe davantage à moins dépenser qu'à investir. Elle constitue un atout par la tâche générale qui lui est assignée : élever le niveau de formation, creuser et développer le savoir. Or ce sont bien dans les secteurs exigeant un haut niveau de formation et de savoir que se situent les chances présentes et futures de la Suisse et notamment du canton de Vaud.

L'Université de Lausanne est une université publique, donc dépendante &endash; je dirais plutôt solidaire &endash; des décisions que prennent les parlements et les gouvernements que nous avons élus. Les autorités cantonales ont décidé d'associer l'ensemble du secteur public à un effort d'économies. Au nom de quoi l'Université se soustrairait-elle à cet effort collectif ?

Parce qu'elle est publique, l'Université est solidaire. Mais parce qu'elle est publique, elle doit aussi être en mesure de remplir sa mission dans l'intérêt de tous. Et si elle a des raisons de penser que ce n'est pas ou plus le cas, elle doit s'en expliquer.

A quoi bon, diront les sceptiques, puisque de toutes façons l'argent manque? C'est vrai que l'argent est le nerf de la guerre, mais il n'en est pas le cerveau. En partant des ressources, on prend le problème par le mauvais bout. On fait fi du rôle fondamental, décisif de la politique publique, c'est-à-dire pour ce qui nous concerne des choix et des objectifs de la Confédération et des cantons en matière de formation supérieure et de recherche.

Quels sont ces choix et ces objectifs ? En bien des cas, on peine à les discerner ou à percevoir leur cohérence. Je prendrai deux exemples qui engagent précisément l'avenir et qui ne portent pas sur des vétilles : l'accès aux études et la relève.

Avons-nous en Suisse la moindre idée du nombre de diplômés que nous voulons former d'ici dix ou quinze ans et voulons-nous élargir la base de recrutement de ces futurs diplômés? Ces questions ne sont pas saugrenues dans un pays qui se distingue par l'insigne faiblesse de son taux actuel de formation de diplômés universitaires, environ 8%. Aussi longtemps que l'on n'a pas fixé d'objectif, la question des moyens est complètement flottante; on peut les diminuer ou les accroître au gré de la conjoncture; au besoin, on pourrait même introduire le numerus clausus, ce qui constituerait le plus sinistre des paris sur l'avenir.

A défaut d'objectifs énoncés, voyons la pratique. L'Université de Lausanne a vu ses effectifs d'étudiants croître de quelque 24% entre 1990 et 1996, c'est-à-dire d'un peu plus de 1'500 étudiants. On s'en félicite pour eux et pour elle. Comme cette augmentation n'est pas uniquement due à des raisons démographiques, on supposera que le canton de Vaud et tous ceux qui nous envoient des étudiants en nombre croissant ont de fait pour ambition d'élargir l'accès aux études universitaires. Le Conseil d'Etat vaudois vient du reste d'en donner un signe clair en soumettant un projet de révision partielle de la loi sur l'aide aux études et à la formation professionnelle. Mais, dans le même temps, c'est-à-dire entre 1990 et 1996, les dépenses de l'État de Vaud pour l'Université de Lausanne ont diminué de 11% en francs constants.

Le fossé qui se creuse entre l'accroissement des charges et la diminution des budgets révèle une contradiction entre la volonté d'ouvrir l'accès aux études universitaires et celle d'économiser à tout prix. Prise entre deux feux, l'Université est menacée à terme de se consumer ou de s'embraser.

Le cas de la relève n'est pas moins déroutant.Nous devons former davantage de jeunes chercheurs pour les besoins tant de l'enseignement universitaire que de la recherche académique ou privée. D'ici dix à quinze ans, plus de la moitié des professeurs de l'Université de Lausanne seront partis à la retraite, et la situation est similaire dans toutes les Universités suisses. Les Universités ne manquent pas de jeunes chercheurs doués, elles manquent en revanche de postes dévolus à la recherche et à la relève, des postes de formation et d'attente qui permettent d'enrichir un dossier scientifique et de briguer un poste stable qui ne se libérera que dans trois, cinq ou dix ans. La Confédération a perçu le problème. Elle a pris depuis 1992 des mesures en faveur de la relève, dont nous bénéficions à hauteur d'environ 2 millions par année. Mais, en même temps, notre Université est engagée jusqu'en l'an 2000 dans un programme d'économies dont les règles et diverses circonstances la conduiront inévitablement à amputer en premier lieu les postes précaires, c'est-à-dire les postes de relève, et très spécialement ceux des assistants. Disons par euphémisme qu'il y a là une incohérence, puisque ce qui est donné d'une main en fonction de besoins reconnus est repris de l'autre. L'Université de Lausanne a pris soin, dans cette période d'économies, de constituer un fonds de réallocations qu'elle utilisera notamment en faveur de la relève. Il n'empêche qu'au bout du compte, son potentiel de relève se trouvera nettement affaibli

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Mesdames et Messieurs, les problèmes de politique universitaire, tels ceux de l'accès aux études et de la relève, font partie de la politique publique et ils engagent notre avenir; ils doivent absolument être posés et débattus dans les lieux où se construit cette politique.

Peut-être les contrats de prestations seront-ils une occasion de l'ouvrir, en permettant que s'instaure entre les autorités politiques d'une part et l'Université d'autre part une discussion sérieuse et régulière sur les principaux objectifs stratégiques. L'Université, je l'ai dit, bouillonne d'activités, d'ambitions et de projets : la constitution d'un ensemble universitaire avec l'Université de Genève, l'accroissement de la formation postgrade et de la formation continue, le développement de la biologie, et j'en passe. Elle a aussi grand besoin de savoir les attentes et les espérances qui se portent sur elle.

Vous qui nous faites l'amitié et la confiance d'assister à ce Dies, soyez convaincus que l'Université prend très au sérieux la mission générale que vous lui confiez.

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