Les sciences naturelles, le domaine environnemental en particulier, ont vite captivé Eric Verrecchia, mais c’est le monde de l’océan qui scotchait l’enfant d’alors devant les documentaires du commandant Cousteau. Chemin faisant, sa formation de géographe géologue a été couronnée en 1992 par une thèse en biogéologie sur les sols en zone aride. S’ensuit un brillant parcours de chercheur, principalement au CNRS, en poste notamment à Paris, Caen, Gand (Belgique), et Dijon. En 2000, il est nommé professeur ordinaire à l’Université de Neuchâtel où il dirige le Laboratoire de géodynamique de la biosphère avant de rejoindre, en 2008, la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL.
Aujourd’hui, parmi les études en cours, un projet éco-innovant, aux retombées déjà multiples, mobilise jusqu’en mars 2012 des étudiants et chercheurs de sa Faculté. Baptisée CO2SolStock, la recherche est financée par un subside de l’Union européenne (FP7, domaine Cooperation / Energy). «Trouver des solutions pour stocker à long terme du CO2, par des méthodes naturelles, extrêmement propres et si possible peu coûteuses », tel est le défi énoncé par le professeur Eric Verrecchia qu’ont eu à relever les scientifiques européens impliqués dans l’étude. Cette méthode inédite de stockage du CO2 consiste à utiliser des bactéries qui, en combinant le calcium avec du carbonate, transforment le CO2 en calcaire de manière naturelle. Ce processus de stockage du carbone, sous forme solide, est inscrit dans une perspective à long terme de sauvegarde des écosystèmes.
Pour le chercheur lausannois, qui travaille en tandem avec sa collègue Pilar Junier, microbiologiste à l’Université de Neuchâtel, CO2SolStock a déjà permis des réalisations concrètes. En effet, par l’intermédiaire de partenaires de la société belge Biomim-Greenloop, une PME impliquée dans le projet aux cotés des universités, et de l’ONG Biomimicry Europa, l’équipe du professeur Verrecchia a pu décrocher le soutien financier de la Fondation Yves Rocher et de l’entreprise Jean Hervé de Grenoble pour une opération de reforestation en Haïti. Certaines espèces tropicales, dont le noyer maya, peuvent capter le CO2 dans l’atmosphère et grâce à la photosynthèse, de l’acide oxalique se fixe dans les tissus de l’arbre, feuilles, arbres, racines. Des bactéries vont à leur tour consommer une partie de l’oxalate qui, suite à un enchaînement complexe de processus biochimiques, pourra se transformer en carbonate de calcium. La présence de calcaire fait baisser l’acidité des sols, améliorant ainsi leur fertilité. Les recherches menées autour des arbres oxalogènes, présents aussi en Afrique, Amazonie, Inde, ouvrent donc de multiples perspectives, en agroforesterie (mise en valeur de bois semi-précieux, fertilisation des sols) et bien sûr en piégeage écologique et durable du CO2.
Transdisciplinarité, diversité, complémentarité : CO2SolStock représente un modèle de réussite en matière de recherche selon Eric Verrecchia. Les cinq universités, Lausanne, Neuchâtel, Delft, Grenade et Edimbourg (coordinateur du projet) ainsi qu’une entreprise privée de Bruxelles, Biomim-Greenlop ont œuvré en parfaite synergie, chacun dans une discipline dont il est le détenteur. «CO2SolStock a permis d’offrir à nos étudiants une formation de très haut niveau. Quatre masters ont été réalisés», se réjouit l’enseignant. La collaboration entre le consortium européen fut si stimulante qu’il repart sur un projet commun.
L’esprit raffiné et le propos franc, le scientifique dit jongler entre des activités de chercheur et d’enseignant, parfois même de chef d’entreprise. C’est beaucoup : «On nous demande de mener de front deux métiers, avec la même puissance et efficacité, du début de la carrière à la retraite. Or, un chercheur doit oser bousculer les acquis, c’est l’apanage de la jeunesse. Mais l’appropriation du tout, la capacité d’établir des connections entre les disciplines viennent avec l’expérience. Les deux sont complémentaires. La solution ne serait-elle pas d’offrir au chercheur le choix entre ces orientations, à un moment de sa carrière», interroge le quinquagénaire, qu’on devine perfectionniste. Son maigre temps libre est consacré à sa famille, à quelques sorties cinéma et musique et l’amateur de danse évoque en fin connaisseur les spectacles du Béjart Ballet Lausanne qu’il ne manque jamais.
Marie-Françoise Macchi