Miguel Abensour (1939-2017) a incontestablement contribué à réhabiliter une manière de faire de la philosophie politique qui le place à part dans le panthéon des penseurs des dernières décennies du XXe siècle. À distance des reconstructions normatives a priori aussi bien que des histoires des idées dépolitisées, il s’est efforcé de construire, selon ses propres termes, une philosophie politique critique. De son activité éditoriale, au travers de sa célèbre collection des éditions Payot, « Critique de la politique », à ses nombreuses publications et à son activité d’enseignant, il a maintenu en vie cette double attention aux faits et aux valeurs, aux rêves et aux luttes, qui a animé les auteurs sur lesquels il a travaillés. Qu’il s’agisse de ses premiers textes sur le « nouvel esprit utopique » qu’il identifie chez William Morris, Emmanuel Levinas ou Ernst Bloch, de son analyse d’une Hannah Arendt dressée « contre la philosophie politique », de sa relecture minutieuse des manuscrits de Kreuznach, dans lesquels il repère un Marx « machiavélien », ou de son dialogue interminable avec les penseurs de « l’École de Francfort », Miguel Abensour a conduit une entreprise de pensée profondément originale et en résistance contre l’air du temps philosophique. Sa disparition ce printemps nous donne l’occasion de revenir sur cette pratique de pensée et sur ses prolongements possibles aujourd’hui.