Michael Cordey, doctorant en anthropologie à l'Institut des Sciences Sociales, donnera une conférence dans le cadre des Ateliers de THEMA.
La littérature contemporaine traitant des enjeux éthiques du soin fait souvent appel au concept d’imagination. À l’écart des débats sur le caractère subjectif et irrationnel de l’imagination, cette littérature participe le plus souvent de la restauration de l’imagination au rang de vertu. Dans cette conception, les personnes sont invitées à cultiver leur imagination et à aiguiser leur conscience morale afin de développer la sensibilité et l’esprit critique nécessaires pour comprendre le point de vue d’autrui et identifier les différends moraux. Dans cette perspective, les enjeux éthiques du soin sont notamment problématisés sous l’angle d’une capacité à imaginer, à raisonner et à délibérer sur les valeurs afin que les personnes résolvent leurs différends moraux et s’accordent sur les actions qui conviennent.
Une recherche de terrain menée aux côtés de professionnels en charge de patients en éveil pathologique de coma m’invite à faire la critique de cette conception délibérative : penser l’éthique uniquement au travers du modèle de la coordination nous fait manquer de voir l’importance des expériences et événements ordinaires. En effet, cette perspective circonscrit le plus souvent l’éthique aux moments de crise, d’épreuves critiques de justification et de délibération sur les valeurs. De ce fait, elle passe notamment à côté du fait que l’éthique se joue aussi au fil d’expériences et événements ordinaires ; que d’ordinaire, les personnes ne débattent pas sur des valeurs, mais qu’ils échangent des expériences voir des difficultés bref, qu’ils mènent une vie dans le langage; que ce qui compte dans une situation donnée et qui est susceptible de prendre de l’importance n’est jamais donné d’avance ; et que ce qui compte pour une personne est susceptible de passer inaperçu ou d’être considéré comme sans importance ou anodin pour une autre.
En m’appuyant sur une perspective éthique fondée sur l’ordinaire, je proposerai une mise en perspective de situations et expériences vécues au cours de ma recherche de terrain. Celles-ci me permettront de problématiser l’articulation entre éthique et imagination sous l’angle du scepticisme. Le scepticisme ne sera pas ici envisagé dans la perspective classique du doute quant à ce que nous sommes en mesure ou non de connaître du monde et de ses objets, mais sous l’angle de la reconnaissance. Au travers des exemples mobilisés, il s’agit en effet de donner à voir et à reconnaître les enjeux et difficultés relatifs aux esprits dans lequel nous vivons nos relations avec autrui. Pour le dire autrement, l’enjeu ici est ce qui donne vie à nos relations.
Par le détour d’une réflexion sur l’imagination et le scepticisme, il s’agit en somme de proposer un changement de focale et un déplacement de l’attention qui invitent à élargir notre conception de l’éthique à la façon dont notre vie avec autrui est affectée par nos esprits, plutôt qu’ajustée ou négociée par la médiation d’un raisonnement moral.