Vers une géopolitique du scraping

Le moissonnage de données sur Internet – le scraping ou le crawling, selon – intéresse les sciences sociales à de multiples niveaux. Un premier ordre d'intérêt est épistémologique. En interrogeant l'automatisation du recueil de données du double fait d'un équipement algorithmique et de données numériques, ou en interrogeant la « scrapabilité » d'Internet, les sciences sociales se trouvent en position d'évaluer l'espace de leurs transformations réelles ou possibles du fait premier de la transformation de l'archivable. En-dessous des problèmes de calculs et d'interprétations, qui courent de la nature des données d'Internet jusqu'aux problèmes de la maîtrise pratique aliénée par la mobilisation d'algorithmes encapsulant des complexités hyper-spécialisées et imprévisibles, le scraping interroge ce qui est susceptible de faire corpus. Il s'agira de proposer à la discussion une série d'assertions topologiques voire géopolitiques afin de contribuer à un effort synoptique de ce qui, sur Internet, au-delà des « réseaux sociaux » les plus célèbres et sur-exploités par l'information retrieval et les computational social sciences, est disposé à être pris pour terrain d'enquête par délégation aux machines algorithmiques du travail de collecte. Contre la caricaturale distinction clear web/deep web/dark net, nous insisterons sur l'invisibilité « claire », sur les visibilités « profondes » et sur les dark nets point'n'click. Nous mettrons également en question la notion de web indexable qui, confondant l'indexable avec l'indexé, tend à faire des choix actuels des moteurs de recherche dominants les limites inhérentes à la sensibilité des crawlers.
En interrogeant la portée des robots scrapers, la discussion prolongera les précédentes réflexions du séminaire quant à la cohabitation humains/robots sur Internet. En conséquence de quoi un second ordre d'intérêt est méthodologique. Si, de génération en génération, faire du terrain est devenu un art dont les ethnographes sont les maîtres, faire du terrain par algorithmes interposés ouvre un champ d'expérience et d'expériences qui reste essentiellement à construire.