4ème édition des Ateliers Lausannois d'Ethnographie
Cette quatrième édition des ALE invite à réfléchir, à partir de terrains en cours et dans le cadre de disciplines variées, aux obstacles contemporains à la démarche ethnographique. Penser les obstacles à l’ethnographie, c’est questionner les conditions de son exercice, qu’elles soient sociales, politiques ou économiques, dans un contexte académique et public toujours plus régulé. C’est aussi envisager la dimension épistémologique de ces obstacles et s’interroger aussi bien sur les usages de cette démarche d’enquête que sur les grilles théoriques qu’elle mobilise.
La déontologie de l’enquêteur ou de l’enquêtrice, le cadre éthique d’une ethnographie en amont du travail de terrain, tout comme le respect de l’intégrité des enquêté·e·s – du travail d’écriture à la restitution des résultats d’enquête – sont autant de questions clés qui participent d’un travail réflexif essentiel au déroulement d’une
recherche, et que nous souhaitons questionner à l’aide d’exemples empiriques.
La prise en charge institutionnelle de cette tension entre nécessité de l’enquête et respect des enquêté·e·s, s’est principalement cristallisée dans des questionnements relatifs au statut de l’anonymat des enquêté·e·s et de la confidentialité des matériaux recueillis. Cette réflexion propre au travail de recherche s’est traduite par une incitation croissante à élaborer des chartes éthiques ou des plans de gestion des données, conditionnant de plus en plus le financement des recherches en particulier au niveau européen. Dans la même perspective, les comités d’éthique, composés de représentant·e·s de différentes disciplines scientifiques, au sein des organismes de recherche et à l’université, jouent un rôle accru pour définir et sélectionner les objets, thèmes et terrains de recherche. L'existence d’un filtre éthique en amont de l’ouverture d’une recherche n’est pas exempt de contraintes. Elle apparaît en effet susceptible de restreindre le spectre des recherches de terrain jugées les plus sensibles ou controversées, mais aussi d’exercer un effet de dissuasion sur des chercheur·e·s préoccupé·e·s par la faisabilité d’une enquête, et souvent confronté·e·s à des contraintes pratiques et temporelles importantes, notamment au
niveau post-doctoral.
Plus simplement la diversité des disciplines représentées dans ces comités d’éthique peut faire craindre aux chercheur·e·s en sciences sociales mobilisant la méthode ethnographique que, par méconnaissance, ces comités ignorent la spécificité de leur travail et rendent alors impossible toute enquête. Par exemple, l’exigence de faire signer des formulaires de consentement ou de fournir une liste des personnes enquêtées avant que l’enquête ne commence à se heurter à la réalité de la temporalité de l’approche ethnographique. De même, l’implication totale de l’enquêteur ou de l’enquêtrice auprès des enquêté·e·s - qui peut parfois aller jusqu’à se positionner en faveur de tel ou tel mouvement politique, objet par ailleurs d’enquête - est susceptible de réactiver les interrogations
quant à la nécessité de faire un découpage de la réalité sociale entre le légitimement et l’illégitimement scientifique.
Enfin, la tradition de l’ethnographie au long cours est susceptible de rentrer en tension avec certaines incitations à publier très régulièrement, situées au cœur de l’évaluation contemporaine de la recherche et des universités.
A ces contraintes internes au travail de recherche se conjuguent des contraintes externes, à savoir les résistances au travail ethnographique posées par des organisations ou des individus souhaitant exercer un contrôle continu sur le déroulé du projet, ou rétifs à toute forme d’investigation. La judiciarisation du mécontentement des enquêté·e·s conduit les chercheur·e·s adeptes de la méthode ethnographique à anticiper les moyens de se défendre face à certain·e·s enquêté·e·s, en particulier ceux et celles détenant des capitaux culturels et symboliques leur permettant de convoquer le droit pour faire valoir leur point de vue. Ce qui relevait d’interactions fâcheuses, signalant la méconnaissance de la démarche ethnographique ou le désaccord envers les résultats de la recherche
de la part d’enquêté·e·s occupant des positions dominantes dans l’espace social, se concrétise désormais par la menace de procès. Ainsi, les chercheur·e·s sont dès lors amené·e·s à interroger, adapter, ou réformer leur façon
d’enquêter, d’écrire et de réfléchir aux formes de diffusion de leurs travaux et d’interventions dans le débat public.
Ces formes combinées d’obstacles à la démarche ethnographique posent la question du rapport de force entre les chercheur·e·s, quelle que soit la discipline à laquelle ils et elles se réfèrent, et les individus, organisations qui font l’objet de leurs enquêtes. Cette relation de pouvoir symbolique est matériellement constituée par ce qu’elle induit sur la subvention de la recherche et l’obtention de contrats. Elle se décline aussi sur la définition même des objets de recherche à présenter auprès de l’institution académique avec quelques chances de succès d’être financé·e·s. C’est donc la légitimité même de la méthode ethnographique qui est questionnée dans cette combinaison d’obstacles qui remettent en cause la capacité des chercheur.e.s à rendre compte de ce que font les individus en tant que sujets uniques et des raisons de leurs actes au sein d’un espace social déterminé.
Aborder la question des obstacles à l’ethnographie, c’est finalement poser des questions sur les liens entre
cette méthode et les appareillages théoriques qu’elle mobilise. La démarche est en effet prise dans les débats épistémologiques qui traversent les sciences sociales, ce qui se traduit par différentes conceptions de ce qu’est l’ethnographie et de ce qu’elle donne à voir. Selon les choix théoriques opérés, les questions d’anonymat, de confidentialité et de réaction des enquêté·e·s ne se posent pas de la même manière et avec la même acuité. On peut ainsi se demander si cette concurrence définitionnelle n’est pas un obstacle à l’ethnographie, et si les transformations contemporaines du monde académique n’encouragent pas une certaine façon de faire de l’ethnographie au détriment d’autres. Pour le dire autrement, une ethnographie s’appuyant sur une démarche critique est-elle encore possible ? Comment être ethnographe aujourd'hui ? Dans quelles conditions d’enquêtes, sur quels types d’objets, sous quelles formes d’écritures ? Comment penser la formation des futur·e·s
ethnographes ?
Les Ateliers Lausannois d’Ethnographie proposent d’explorer l’ethnographie et ses obstacles à partir de
terrains de recherche, selon plusieurs axes :
• Obstacles bureaucratiques : Les comités d’éthique et les injonctions à la création de chartes éthico- légales sont-elles un frein à l’ethnographie, et si oui, comment s’en accommoder ? De même, comment faire face à l’avènement de normes standardisées du travail universitaire et comment y former les futur·e·s chercheur·e·s ?
• Obstacles déontologiques : Face à la réaction des enquêté·e·s au regard de la violence de l’objectivation, ou plus fondamentalement à l’exercice de l’ethnographie, quelles adaptations, postures ou relations peuvent être entretenues ?
• Obstacles épistémologiques : Dans un contexte marqué par une réglementation accrue et une montée des contentieux, une ethnographie critique ou engagée est-elle encore possible ? Comment défendre et/ou articuler la primauté d’une épistémologie et d’un appareil théorique face à ces nouveaux impératifs
procéduriers ?
Comité d’organisation : Soline Blanchard, Arnaud Frauenfelder, Mélody Pralong, Marie Sautier, Pierre- Emmanuel Sorignet, Armelle Weil
Comité scientifique : Agnès Aubry, Martina Avanza, Sébastien Chauvin, Alexandre Dafflon, Annahita Ehsan, Solène Froidevaux, Morgane Kuehni, Frédérique Leresche, Michaël Meyer, Laurent Paccaud, Marc Perrenoud, Laure Scalambrin, Isabelle Zinn.
Entrée libre sur inscription : ateliers2019@gmail.com