Rire ou ne pas rire…Telle est l’injonction

Si l’anthropologie est capable de déchiffrer les manières de table, ou encore les techniques de marche, ne pourrait-elle pas également déchiffrer les manières de rire ? Tel est l’objectif du travail d’Inès Pasqueron de Fommervault, y compris dans son livre Je ris donc je suis (2013): faire du rire un objet anthropologique « total ». Le rire est à double face, tout à la fois conforme et transgressif. D’une part, il est appris et domestiqué par des règles éthiques et esthétiques qui contiennent ses débordements et contrôlent ses modes d’apparition. Ainsi, en terre Haya en Tanzanie, le rire des femmes est sévèrement disqualifié et jugé indigne de figurer dans certains espaces publics; ce sont les hommes qui définissent qui a le droit de rire de quoi et de qui. Mais le rire peut aussi être un moyen de subversion politique redoutable: quand il ne relève plus de la conformité mais de la connivence, il menace l’ordre du genre en traçant d’invisibles frontières, des liens ténus mais intenses de sociabilité féminine qui pallient les interdits de la parole et disent ce qui ne peut être exprimé. C’est à cette formidable enquête sur ce que rire veut dire que nous emmène Inès Pasqueron de Fommervault. 

Résumé: Tout le monde apprend à rire, mais rares sont ceux qui en ont conscience. En effet, contrairement à d’autres comportements sociaux le rire fait rarement l’objet d’un apprentissage explicite, c’est pourquoi il peut être vécu comme une habitude quasi automatique. Pour autant, les manières de rire résultent toujours de l’intériorisation d’une certaine grammaire affective. Elles rendent compte d’un programme social, institué plus ou moins formellement, qui vise à déterminer les cadres du rire, définissant ses acteurs, ses contextes, ses objets et même, ses caractéristiques physiques et acoustiques. Dans les villages de la Kagera, en Tanzanie, les pratiques du rire s’apprennent et se transmettent dès le plus jeune âge selon différentes formes d’apprentissage. Cette discipline affective s’opère également dans des cadres cérémoniels où la canalisation des corps infantiles s’effectue cette fois via l’exacerbation normée et institutionnalisée du rire et du faire-rire.