Autour de son récit «Géographie des ténèbres. Bucarest – Transnistrie – Odessa, 1941–1981»
Dans la mémoire des crimes de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses « pages de honte » ont été arrachées des livres d’Histoire. C’est le cas pour la Roumanie, dont le rôle dans le génocide des Juifs sous la dictature fasciste de Ion Antonescu entre 1940 et 1944 reste largement occulté, tapi dans les silences imposés d’un totalitarisme à l’autre.
Avec Géographie des ténèbres (Fayard, 2024), Marta Caraion jette une lumière essentielle sur la Shoah roumaine, en retraçant son histoire familiale. À l’automne 1940, devant la montée de l’antisémitisme, son grand-père Isidor, sa femme Sprința et leur fille unique Valentina fuient Bucarest. Rattrapé·es en 1941, il et elles seront déporté·es d’Odessa vers la Transnistrie, territoire alors utilisé comme zone d’extermination des populations juives roumaines. Isidor mourra exécuté au bord d’une fosse commune ; Sprința et Valentina, par un mélange de hasards favorables, d’instinct, de résilience et d’une étincelle d’humanité, parviendront à survivre. Valentina attendra cinquante ans avant de livrer ses souvenirs.
Tissant le témoignage de sa mère à un impressionnant corpus d’archives, en équilibre maîtrisé et bouleversant entre étude historique, enquête finement documentée et questionnements intimes, Marta Caraion restaure la mémoire collective par le chemin de la mémoire familiale. Sans jamais étoffer le réel, l’écrivaine affronte l’atrocité des vécus avec vigueur, la confronte, l’interroge, ne craignant ni les failles, ni l’inconfort des ambiguïtés. Une puissante transmission, de femme en femme, de génération en génération.