Styliste de talent, Edward Gibbon (1737-1794) est vu, dans le monde anglo-saxon, comme le plus grand historien du XVIIIe siècle. Cet auteur, célèbre en Europe de son vivant et tout au long du siècle suivant, fait l'objet du colloque international Gibbon et Lausanne, qui aura lieu à l'UNIL les 20 et 21 novembre. L'évènement, précédé par une soirée de conférences au Cercle littéraire, est ouvert au public.Vie d'étudiant«Les trois longs séjours d'Edward Gibbon à Lausanne ont toujours été considérés comme importants par les spécialistes», relève Béla Kapossy, professeur associé en Section d'histoire et co-organisateur du colloque. Ce dernier constitue l'occasion, pour les chercheurs venus de France et du Royaume-Uni, de rencontrer leurs homologues de l'UNIL, fins connaisseurs de la vie sociale, culturelle et intellectuelle lausannoise du XVIIIe. «Au-delà d'un enrichissement mutuel, il s'agit aussi de montrer que les débats qui agitaient l'Angleterre et les Pays-Bas à l'époque, par exemple autour de l'historiographie ou du protestantisme, avaient cours au bord du Léman», poursuit Béla Kapossy.Vie d'étudiantEn 1753, alors qu'il étudiait à Oxford, Edward Gibbon se convertit au catholicisme. Contrarié, son père l'expédia à Lausanne, en terres réformées, auprès du pasteur Daniel Pavillard. Ce premier voyage dura cinq ans, au cours desquels, dans une tradition encore vivante de nos jours, le jeune homme se forma dans de nombreuses disciplines, se reconvertit, maîtrisa la langue française et vécut une idylle brève avec Suzanne Curchod. Cette dernière fut plus tard l'épouse de Jacques Necker et la mère de Madame de Staël. Au-delà de l'anecdote, ces années d'apprentissage constituent un matériau passionnant pour comprendre comment Edward Gibbon devint historien et érudit.Il revint en 1763-1764, puis au faîte de sa célébrité européenne, entre 1783 et 1793. Féru de jeu, l'Anglais se plongea dans la vie locale, au fil d'invitations, de dîners, de concerts, de bals ou de théâtre. Cet esprit vif compta de nombreux amis, comme Catherine Charrière de Sévery et le docteur Samuel Auguste Tissot. Ces aspects seront explorés lors du colloque.Lors de son dernier séjour, il écrivit une partie importante de sa grande oeuvre, Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain (1776-1788), dans la propriété «La Grotte». Cette demeure fut remplacée par l'Hôtel des postes de Saint-François en 1896. Plusieurs passages de ce texte, fort connu déjà à l'époque, firent alors scandale. «Edward Gibbon se pose en historien sceptique quant aux questions religieuses, explique Béla Kapossy. Ainsi, il ne défend pas la cause des Chrétiens dans ses chapitres sur les persécutions. Il adopte un point de vue de sociologue, ou d'anthropologue.»Lettre inéditeLes Archives cantonales vaudoises, et celles de la Ville, conservent de nombreuses lettres de Gibbon datant justement de sa dernière période lausannoise. A l'occasion de son travail de master, Damiano Bardelli a découvert et édité un billet inédit de l'historien, adressé à Wilhelm de Charrière de Sévery, fils de Catherine. Daté du 29 septembre 1788, ce document mentionne - déjà - les émois sentimentaux de Benjamin Constant, le cousin de Wilhelm. La riche plateforme Lumières.Lausanne présente cette charmante trouvaille en détail.Touristes et lettrés«S'il est trop tôt pour développer l'héritage intellectuel laissé à Lausanne par Edward Gibbon après sa mort à Londres, sa contribution à l'image de la ville dans le monde est connue», ajoute Damiano Bardelli, assistant diplômé, qui fait partie de l'équipe organisatrice du colloque, avec les historiennes Séverine Huguenin, Béatrice Lovis et Nicole Staremberg. Ainsi, entre 1839 et 1921, un hôtel Gibbon trônait sur la place Saint-François. Des guides de voyage du XIXe siècle s'ouvraient avec un portrait et une biographie de l'historien. «Dans le jardin de La Grotte, des touristes et des lettrés anglais venaient revivre les scènes décrites par l'auteur dans ses mémoires», note Béla Kapossy. Percy Shelley et Lord Byron firent ainsi ce pèlerinage en 1816.Edward Gibbon a légué de nombreux objets, comme un billard, de la porcelaine, des bustes ou des cartes à jouer. Cette «histoire matérielle» va figurer dans un ouvrage à paraître en 2017. Un an plus tard, le Musée historique de Lausanne, rénové, accueillera une grande exposition sur l'historien. Au travers d'évènements publics comme le colloque, et plus particulièrement des deux conférences données le 19 novembre au Cercle littéraire, Béla Kapossy espère entrer en contact avec des familles qui pourraient posséder des objets ayant appartenus au plus lausannois des Anglais.Enfin, au-delà du personnage de Gibbon et l'intérêt qu'il présente, le portrait d'une ville ancrée dans les débats d'idées et la vie intellectuelle de son époque apparaît.