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L'entretien de la FBM: Eric Giannoni

Néonatologie, la médecine d’avant, pendant et après la naissance.

Published on 20 Mar 2019
Eric Giannoni © Gilles Weber, SAM
Eric Giannoni © Gilles Weber, SAM

Eric Giannoni a effectué une grande partie de sa formation à Lausanne, au CHUV, qu’il a complétée d’un séjour de trois ans en clinique et en recherche dans un service de référence internationale à l’Université de Californie, à San Francisco (UCSF). Il a obtenu trois spécialisations FMH, en pédiatrie, en néonatologie et en médecine intensive. Aujourd’hui médecin associé au Service de néonatologie du CHUV, il est également Privat-docent et Maître d’enseignement et de recherche (MER) à l’UNIL et poursuit ses recherches sur les infections bactériennes, au sein du Département femme-mère-enfant et du laboratoire du Service des maladies infectieuses du CHUV. A cet égard, il a obtenu en 2018 un soutien décisif de la Fondation Leenaards, une bourse de relève clinique lui permettant de bénéficier d’un temps protégé pour la recherche.

La néonatologie est une spécialité assez mal connue. Pouvez-vous précisez son champ d’action, ses spécificités?

Dans l’esprit des gens, y compris chez certains professionnels de la santé, nous sommes souvent exclusivement associés aux nouveau-nés prématurés. C’est, il est vrai, une de nos missions, mais la moitié des patients pris en charge par notre service sont nés à terme et présentent des difficultés d’adaptation à la vie extra-utérine. C’est une période d’adaptation critique, où les organes se développent, les systèmes se mettent en place; elle correspond aux 28 premiers jours de la vie, dans la définition de l’OMS. 28 jours, c’est un laps de temps très bref: la néonatalogie est peut-être la seule discipline qui concerne une période aussi courte de la vie! Nuançons tout de même puisque, bien évidemment, notre fenêtre d’intervention est plus longue dans le cas des nouveau-nés prématurés, et s’étend alors jusqu’à quatre semaines après le terme prévu. Dans certaines situations à haut risque, notre implication débute avant la naissance, avec des consultations conjointes avec les obstétriciens, et se poursuit au-delà de la période néonatale, avec un suivi à long terme en particulier du développement neurologique. Heureusement, pour la majorité des nouveau-nés, tout se passe bien, et dans ce cas, ce sont les sages-femmes qui sont en charge. Néanmoins, tous les nouveau-nés sont examinés par un néonatologue à leur sortie de la Maternité.

Quels sont les problèmes principaux qui peuvent survenir pendant la période d’adaptation?

Nous intervenons surtout pour des problèmes respiratoires, cardio-circulatoires, métaboliques et nutritionnels, des infections ou encore des malformations congénitales. Prenons un exemple, les poumons: in utero, voici un organe qui ne sert à rien, puisque que l’oxygène est fourni au fœtus à travers le placenta. Mais à la naissance, les poumons deviennent des organes vitaux, un changement radical et une adaptation qui ne va pas sans problèmes, sans pathologies. C’est une période de grande vulnérabilité pour l’enfant. Les organes sont en plein développement, ils sont fragiles; si en plus une infection s’en mêle, les choses peuvent aller très vite: les nouveau-nés ont très peu de réserves fonctionnelles, ils peuvent passer en quelques heures d’un état de bonne santé apparent à une situation de danger vital. Ce qui nous amène à une autre spécificité de la néonatologie: nous fonctionnons de manière très autonome et assurons une prise en charge globale du patient. En effet, nous assumons à la fois le rôle de généralistes, d’internistes, de réanimateurs; nous sommes aussi fréquemment confrontés à des questions éthiques, avec des situations à haut risque de mortalité ou de handicap permanent.

Justement, avec la présence des parents, vous avez beaucoup de pression: comment éviter de surréagir?

Nous devons en effet éviter de surmédicaliser, et aussi «désescalader» rapidement pour laisser la place aux familles, ne pas perturber le lien. Nous devons apprendre à accepter certaines variations de la norme: certains enfants vont avoir une couleur un peu particulière, d’autres vont respirer un peu vite, et dans beaucoup de cas, la situation va se normaliser en quelques heures. N’oublions pas que la naissance est un processus physiologique! «Surveiller sans intervenir» pourrait être notre mot d’ordre. Une autre clé, bien sûr, c’est la recherche qui, en faisant progresser nos connaissances, nous aide à prendre des décisions plus informées.

Vous travaillez sur les infections bactériennes: pouvez-vous nous en dire plus sur vos recherches?

Mon premier axe de recherche concerne les mécanismes de vulnérabilité: je cherche à comprendre pourquoi certaines bactéries qui colonisent pacifiquement les adultes peuvent devenir pathogènes chez le nourrisson. Je travaille notamment sur les streptocoques du groupe B, bactéries présentes chez 20% des adultes. Elles sont parmi les premières à coloniser les enfants à la naissance, avec parfois des conséquences extrêmement néfastes, puisque cela peut dégénérer en sepsis, soit une infection qui met en danger la vie. La réponse de l’hôte à la colonisation est une partie du problème: si elle est excessive, elle peut se retourner contre l’hôte – on parlera de réponse «disrégulée» -, provoquant inflammation, mort cellulaire, etc. Dans cet axe d’étude basée sur des modèles in vitro, je cherche à comprendre ces interactions entre hôtes et bactéries, les mécanismes qui peuvent favoriser la transition entre colonisation et infection.

Votre second axe de recherche porte lui sur les antibiotiques…

Tout à fait. Certes les antibiotiques sauvent des vies, mais ils sont trop souvent utilisés à mauvais escient. Avec des effets indésirables connus, comme la perturbation de la colonisation microbienne. Un nouveau-né est potentiellement à risque de surtraitement: parmi les enfants que nous traitons, moins de 10% ont une infection avérée. Il faut donc parvenir à mieux caractériser cette population pour éviter de prescrire inutilement des antibiotiques. Mais il est difficile de distinguer ceux qui ont une infection de ceux qui n’en ont pas. Au niveau physiologique, le patient a peu de moyens de nous dire ce qu’il a: les nouveau-nés font rarement de la fièvre, et les signes cliniques de problèmes respiratoires et d’infections peuvent être identiques. Je fais partie des investigateurs de la cohorte Swiss Pediatric Sepsis Study, une étude clinique multicentrique nationale. Nous cherchons notamment à identifier des facteurs de risque, ainsi que des biomarqueurs de l’infection mais aussi de sa sévérité. Toutefois, je ne pense pas que la science high-tech résoudra tout, il faut au contraire mettre plus de poids sur le jugement clinique.

Vous partagez votre temps entre la clinique et la recherche, vous enseignez… Quand trouvez-vous le temps de vous ressourcer?

Je le dis franchement, je ne ferais pas ce métier s’il n’y avait que ça dans ma vie! Bien sûr, c’est un métier où il faut être passionné, les horaires sont lourds, les responsabilités énormes, il faut de l’engagement. C’est gratifiant aussi, j’ai l’impression d’être utile. Mais pour le faire bien, il faut un équilibre, il faut avoir autre chose dans la vie. Pour moi, c’est ma famille, ma femme et mes deux filles. Et le sport aussi, même si j’ai moins de temps à y consacrer: je fais du kayak en rivière. J’aime ce contact avec les éléments.


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