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Des abeilles ultra-connectées grâce à leur microbiote

Une étude réalisée par les laboratoires des professeurs Philipp Engel et Laurent Keller de l’UNIL et publiée dans «Nature Ecology & Evolution» montre pour la première fois que la flore bactérienne de l’intestin modifie les réseaux sociaux des abeilles.

Published on 22 Aug 2022
Les scientifiques ont installé sur le dos des abeilles des codes-barres individuels pour suivre l’évolution de leurs réseaux sociaux. © Bart Zijlstra | www.bartzijlstra.com
Les scientifiques ont installé sur le dos des abeilles des codes-barres individuels pour suivre l’évolution de leurs réseaux sociaux. © Bart Zijlstra | www.bartzijlstra.com

Des organismes, comme les fourmis ou certaines abeilles, sont capables de créer de véritables sociétés complexes et structurées. Au sein de ces types de colonies, les membres, divisés en castes, se partagent les tâches et prennent collectivement soins des jeunes. La majorité d’entre eux sont mêmes stériles et consacrent leur vie à travailler pour la communauté.

De plus en plus de données mettent en évidence l’existence d’un lien entre le microbiote intestinal et des altérations du comportement social. Ce phénomène n’avait jusqu’alors pas été observé à l’échelle de la vie en groupe, soit plus de deux individus, chez des animaux «hypersociaux». Une lacune que vient combler la découverte faite par le DrSc. Joanito Liberti, postdoctorant aux départements de microbiologie fondamentale (DMF) et d’écologie et évolution (DEE) de l’UNIL, et Tomas Kay, doctorant au DEE, tous deux premiers auteurs de l’article paru dans Nature Ecology & Evolution.

Un microbiote simple et maniable

L’abeille est un modèle animal très avantageux, car elle abrite un microbiote simple composé d’une quinzaine d’espèces de bactéries identiques dans le monde entier, «une stabilité plus élevée que celle de la flore de la majorité des insectes sociaux», précise Joanito Liberti. Ces microbes sont tous cultivables en laboratoire et l’équipe de Philipp Engel, co-dernier auteur de la publication et professeur associé au DMF, dispose de collections de souches bactériennes prêtes à être testées. De plus, il est assez aisé d’obtenir ces insectes mellifères appauvris en microbiote intestinal, et ceci sans l’utilisation d’antibiotiques qui pourraient avoir des effets secondaires et biaiser les résultats des expériences. Comment? À partir d’un cadre de ruche, il suffit d’extraire avec minutie et patience les apidés au stade de pupe, encore enfermés dans leurs alvéoles et dépourvus de germes, juste avant l’état adulte. Les abeilles peuvent ensuite être colonisées expérimentalement avec des bactéries connues, ce qui permet d’étudier l’impact précis de celles-ci sur la santé des animaux.

Le fruit d’une collaboration entre scientifiques… et entre abeilles

Le postdoctorant travaillant au sein de deux laboratoires a bénéficié d’un équilibre d’expertises entre les incollables du microbiote des abeilles du DMF et les professionnel·le·s du système d’étude comportementale par traçage automatisé des fourmis de l’équipe de Laurent Keller, professeur ordinaire au DEE. «Une communauté d’environ 200 abeilles, déficitaires en bactéries, a été divisée en deux groupes, l’un colonisé par un mélange représentatif de microorganismes intestinaux et l’autre laissé tel quel, c’est-à-dire 100 à 1000 fois moins abondant en microbes que le premier», détaille Joanito Liberti. Et d’ajouter: «Ces expériences ont été reproduites sur neuf colonies». «À l’instar de ce qui se fait déjà chez les fourmis, chaque adulte a été équipé d’un code-barres personnel, permettant ainsi un suivi individuel et automatique», indique Tomas Kay (voir les nombres dans la vidéo). Épiées pendant plus de 150 heures, leurs interactions sont enregistrées et celles «tête contre tête» (via leurs antennes ou via leurs trompes buccales, appelées proboscis) comptabilisées (voir les lignes jaunes représentant tous types d'interactions dans la vidéo). Les chercheurs ont découvert que les abeilles ayant un microbiote appauvri communiquent moins que celles ayant été colonisées expérimentalement. De plus, ces dernières présentent des interactions plus structurées que les premières. «Chaque animal possède des meilleurs amis avec lesquels il interagit préférentiellement», illustre Philipp Engel, ce qui favorise la réalisation des tâches au sein du groupe.

L’axe «cerveau-intestin»

Restent à élucider les mécanismes sous-jacents. Les biologistes ont déjà trouvé quelques éléments de réponses. Dans les cerveaux des sous-colonies possédant une flore intestinale enrichie, certaines molécules fondamentales pour le fonctionnement cérébral sont plus abondantes que dans les groupes contrôles. Par exemple, plus il y a de sérine et d’ornithine, plus les abeilles interagissent «tête contre tête». Par ailleurs, leurs bactéries influencent l’expression de certains gènes à la fois dans l’intestin et dans la région du cerveau responsable de la perception des stimuli olfactifs (via les antennes) et gustatifs (via la bouche). «Ces données laissent à penser qu’il y aurait une relation entre les fonctions cérébrales essentielles aux comportements sociaux des abeilles et leur microbiote intestinal», s’enthousiasme Joanito Liberti.

Une urgence environnementale

Le microbiote intestinal des abeilles peut être entravé par l’exposition aux pesticides (par exemple les néonicotinoïdes) ou aux herbicides (par exemple les glyphosates). L’utilisation de ces produits toxiques pourrait donc perturber le bon fonctionnement du cerveau et finalement l’organisation sociale naturelle des colonies. «En effet, les interactions "tête contre tête" sont primordiales pour la transmission d’informations vitales», explique le professeur Engel. «L’intérêt général pour l’axe “cerveau-intestin” est de plus en plus grand et cette piste doit continuer à être explorée», conclut le premier auteur de l’article.

 

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