Le dernier numéro de la revue Politics and Governance examine comment les idées des citoyen·es désabusé·es par le système démocratique actuel et celles des populistes, ainsi que les alternatives qu’iels proposent à la démocratie représentative, se rejoignent. Les articles présentés explorent ces points en proposant des contributions conceptuellement et/ou méthodologiquement innovantes. Retour sur l’éditorial co-écrit par Oscar Mazzoleni, Prof. à l’Université de Lausanne et Reinhard Heinisch, Prof. à l’Université de Salzburg.
La revue rassemble des études menées dans différents pays européens pour comprendre le profil des citoyen·nes attiré·es par le populisme. Une enquête dans huit pays européens, menée par Jean-Benoit Pilet et ses collègues, révèle que les partisan·es de partis populistes aspirent à un modèle gouvernemental alternatif qui accorde une place plus grande aux citoyen·nes, mais aussi aux expert·es, ce qui diverge des préférences affichées par les partis populistes eux-mêmes.
Une autre étude, conduite par Simon D. Brause et Lucy Kinski, explore dans quelle mesure l'arrivée au pouvoir des partis populistes satisfait les attentes démocratiques de leur électorat. Les données indiquent que l’électorat des partis populistes n’est pas nécessairement plus satisfait de la démocratie lorsque ces partis sont en place, ce qui pose la question de l’efficacité réelle des partis populistes pour combler le fossé démocratique.
Le rôle des émotions et de la méfiance dans le soutien à la démocratie directe
Plusieurs études de ce numéro mettent également en lumière le rôle des émotions, de la confiance, et de la polarisation affective dans le soutien des citoyen·nes pour des réformes démocratiques radicales. Par exemple, Nina Wiesehomeier et Saskia P. Ruth-Lovell, en s’appuyant sur des données provenant d’Europe et d’Amérique latine, montrent que la confiance des citoyen·nes envers les institutions ou la société influe sur leur soutien pour des formes de démocratie directe. En parallèle, des chercheur·euses comme Sergiu Gherghina et ses collègues montrent que les partis politiques et les citoyen·nes ont rarement des approches congruentes à l'égard des référendums et des pratiques délibératives.
Populisme, technocratie et rejet de la démocratie libérale
Les articles révèlent par ailleurs que les défis à la démocratie représentative viennent non seulement des populistes, mais aussi d’une combinaison de populisme et de technocratie. Caramani et Bickerton décrivent une tendance « technopopuliste », où les populistes pourraient également recourir à des solutions technocratiques, contournant ainsi le débat démocratique pour imposer des décisions qu'iels présentent comme bénéfiques au peuple. Par ailleurs, Zsolt Enyedi théorise des voies d'accès à l'illibéralisme (une doctrine qui défend la majorité au détriment de l’Etat de droit), mettant en lumière neuf trajectoires idéologiques qui incluent l’autoritarisme, le nationalisme, et un certain matérialisme technocratique.
La remise en question démocratique au prisme de la pandémie
Enfin, l’impact de crises globales comme la pandémie de Covid-19 sur les conceptions démocratiques est exploré par Annika Werner et Reinhard Heinisch. Leur recherche démontre que la pandémie n’a pas directement accentué les tendances illibérales des citoyen·nes, sauf pour celles et ceux déjà enclins à des valeurs autoritaires. En somme, le numéro appelle à une réévaluation des moyens d’adhésion à la démocratie et des configurations idéologiques qui pourraient transformer les démocraties occidentales.
Conclusion
Cette compilation d’articles met en lumière un paysage démocratique fragmenté où les aspirations populistes et celles des citoyen·nes désabusé·es s’entrecroisent et révèlent une demande de modèles alternatifs de gouvernance. Le numéro soulève des questions fondamentales sur l’avenir de la démocratie représentative en Europe et sur les moyens de satisfaire un public de plus en plus sceptique et désillusionné.