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La chasse aux interactions médicamenteuses grâce à la simulation

La pharmacologue Catia Marzolini, professeure associée de l’UNIL, est une spécialiste du VIH. Elle utilise une méthode novatrice, la PBPK, visant à simuler des scénarios cliniques quand les données font défaut.

Published on 29 Jan 2025
Catia Marzolini, professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine.
Catia Marzolini, professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine. © Nuno Coimbra

Catia Marzolini a bâti toute sa carrière dans la pharmacologie du VIH, au point de devenir une experte des interactions médicamenteuses liées aux traitements antirétroviraux. Au niveau mondial : dans le cadre d’une collaboration avec l’Université de Liverpool, elle contribue au développement de plusieurs sites recensant les interactions médicamenteuses, dans le domaine VIH et du Covid notamment. Des outils utilisés mondialement, avec plus de 17 millions de requêtes chaque année.

À Lausanne, la nouvelle professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, élargit son champ d’action : arrivée en 2024, elle a pris les rênes de l’unité de suivi thérapeutique des médicaments (TDM) au sein du Service de pharmacologie clinique du CHUV. Dans une optique de médecine de précision, le TDM, pour Therapeutic Drug Monitoring, vise à adapter au plus près le dosage des médicaments administrés aux patients. Créée il y a une trentaine d’années, l’unité assure aujourd’hui l’analyse par spectrométrie de masse et l’interprétation clinique d’une centaine de médicaments, faisant de Lausanne un centre de référence en Suisse et au niveau international.

Dans le même temps, Catia Marzolini poursuit une recherche dont l’objectif est de « remplir les blancs », autrement dit de simuler, pour les traitements anti-infectieux, les dosages optimaux dans les scénarios cliniques pour lesquels les données manquent. Interview.

Les interactions médicamenteuses liées aux traitements du VIH sont-elles toujours un problème en 2025 ?

On a beaucoup parlé des interactions médicamenteuses avec l'introduction, il y a plus d’une vingtaine d’années, des inhibiteurs de la protéase dans l’arsenal thérapeutique. Or la pharmacopée a beaucoup progressé ces dernières années : nous sommes maintenant passés à une nouvelle ère d’antirétroviraux, les inhibiteurs de l'intégrase, qui présentent un risque beaucoup plus faible. Mais une autre évolution brouille un peu les cartes : la disponibilité de thérapies antirétrovirales efficaces a transformé l'infection par le VIH en une maladie chronique, de sorte que les personnes vivant avec le virus ont une espérance de vie normale. D’un côté, on a désormais accès à des agents antirétroviraux avec un risque réduit d'interaction médicamenteuse, de l’autre on assiste au vieillissement de la population vivant avec le VIH, avec davantage de comorbidités chroniques liées à l'âge, ce qui entraîne une plus grande consommation de médicaments et, par conséquent, un risque plus élevé d'interactions.

Par ailleurs, nous avons observé d'autres problèmes fréquents de prescription dans la population VIH vieillissante, tels que l'utilisation de médicaments anticholinergiques qui peuvent contribuer à une déficience neurocognitive. L'analyse des listes de médicaments, en quête d’effets secondaires ou d’interactions délétères, prend beaucoup de temps, notamment chez des personnes âgées, qui ont souvent un pilulier bien chargé. C’est pourquoi nous travaillons au développement, en collaboration avec Liverpool, d’une application web basée sur l’IA afin d'aider les cliniciens à identifier les erreurs de prescription, au-delà des seules interactions médicamenteuses avec les antirétroviraux.

Vous travaillez sur la prédiction du risque d'interactions médicamenteuses en l'absence de données cliniques. Comment procédez-vous ?

Il n'est pas possible de réaliser une étude clinique pour chaque interaction médicamenteuse potentielle, que ce soit pendant le développement du médicament ou après sa mise sur le marché. Cependant, la capacité à prédire le risque d’une interaction médicamenteuse est essentielle. C’est là notamment qu’intervient la modélisation pharmacocinétique basée sur la physiologie, ou PBPK, pour Physiologically based pharmacokinetic modelling : cette approche permet de simuler des scénarios cliniques encore non étudiés en recourant à des « populations virtuelles ». Depuis quelques années, la PBPK est de plus en plus reconnue par les agences d’enregistrement comme alternative aux études en conditions réelles.

La modélisation PBPK combine des données in vitro et des données observées cliniquement pour simuler la pharmacocinétique d'individus virtuels. La population virtuelle utilisée pour alimenter les modèles PBPK est générée sur la base des poids des organes, des flux sanguins, du taux de filtration du rein et d'autres paramètres physiologiques importants pour la prédiction de la pharmacocinétique des médicaments. Bien sûr, nous devons valider notre modèle, comparer les simulations aux données cliniques observées avant d’extrapoler les résultats à des scénarios cliniques inconnus.

Nous avons appliqué cette approche dans le cadre d'un projet financé par le FNS : il visait à évaluer la pharmacocinétique et la gestion des interactions médicamenteuses avec des antirétroviraux à longue durée d’action administrés par voie intramusculaire, le cabotégravir et la rilpivirine. Un développement important, puisque ces traitements, injectés chaque deux mois, permettent d’alléger le traitement des personnes vivant avec le VIH. Nous avons développé un modèle PBPK intramusculaire pour simuler les interactions médicamenteuses entre ces deux molécules et les médicaments antituberculeux qui induisent ou, autrement dit, accélèrent l’élimination d’autres médicaments – des médicaments qu’on qualifie d’« inducteurs » . Nous avons pu démontrer qu'un raccourcissement de l'intervalle entre les doses n'est pas suffisant pour surmonter l'interaction avec les inducteurs forts, alors qu'il permet de contrôler l'interaction avec les inducteurs modérés. Étant donné que le développement de nouveaux agents antirétroviraux pour le traitement et la prévention du VIH s’oriente vers des agents à longue durée d'action et que de longs intervalles entre les doses rendent la conduite d'études difficile, notre objectif est de développer des modèles PBPK pour répondre aux questions pharmacologiques concernant ces nouveaux traitements.

Vous avez mentionné le vieillissement de la population vivant avec le VIH. Que pouvez-vous dire de la pharmacocinétique des médicaments chez les personnes âgées ?

Il s'agit d'une autre question importante qui a été sous-étudiée. En effet, les essais cliniques portent sur des populations dites « standards » - ni trop vieilles, ni trop malades - et ne représentent donc pas toutes les populations susceptibles de recevoir un médicament. Particulièrement dans un hôpital, avec une patientèle souvent âgée et polymorbide. Résultat, de nombreux médicaments sont commercialisés sans qu’on sache vraiment comment les doser dans certaines des populations ciblées, telles les personnes âgées.

Concernant plus spécifiquement les traitements contre le VIH, le TDM des antirétroviraux, ici à Lausanne, est utilisé à l'échelle nationale pour surveiller les concentrations de médicaments notamment dans des populations particulières, comme les personnes âgées, les femmes enceintes ou les personnes obèses, ou afin de vérifier l'observance du traitement ou monitorer les interactions médicamenteuses. Cette base de données du monde réel est une plateforme unique qui peut être utilisée en combinaison avec la modélisation PBPK pour simuler la pharmacocinétique dans des populations spéciales. Ce que nous avons fait chez les personnes âgées, dans le cadre d'un projet financé par le FNS. Nous avons pu démontrer que la mesure des concentrations dans l’intervalle de temps entre deux doses ou, autrement dit, l'exposition aux antirétroviraux oraux, mais aussi à d’autres médicaments, augmente progressivement avec l'âge en raison d'une diminution, avec le vieillissement, du débit sanguin hépatique et du taux de filtration glomérulaire. En outre, nous avons pu démontrer que le vieillissement n'affecte pas la pharmacocinétique des médicaments antirétroviraux oraux dans une mesure cliniquement significative, de sorte qu'aucun ajustement de la dose n'est a priori nécessaire en l'absence de comorbidités sévères. Nous sommes arrivés à une conclusion similaire pour les traitements antirétroviraux à longue durée d'action. Toutefois, il convient de souligner que les résultats observés se rapportent à une population âgée en relativement bonne santé. Il faudra d’autres études pour évaluer l’effet de la fragilité sur la pharmacocinétique.

Qu'en est-il des autres populations particulières ?

Grâce à l’efficacité des antirétroviraux, les personnes vivant avec le VIH sont touchées par l'obésité à un taux comparable à celui de la population générale. Or l'obésité entraîne des changements physiologiques qui peuvent réduire l'exposition aux antirétroviraux, et nous manquons de données quant aux recommandations de dosage dans ce domaine. En utilisant la modélisation PBPK combinée aux données TDM, nous avons pu démontrer que l’élimination des médicaments est augmentée chez les personnes obèses en raison d'une augmentation des flux sanguins hépatiques et rénaux. Toutefois, nous avons pu observer que l'obésité réduit modestement l'exposition aux médicaments antirétroviraux oraux et n'est pas associée à un risque plus élevé d'échec virologique, c’est-à-dire de défaut de contrôle de la réplication virale, ce qui est rassurant. Inversement, les simulations ont montré que l'exposition au cabotégravir et à la rilpivirine à longue durée d'action était réduite dans une mesure potentiellement significative d'un point de vue clinique, ce qui peut nécessiter de raccourcir l’intervalle entre les administrations.

Dans l'ensemble, ces projets démontrent le potentiel de la modélisation PBPK. Nous avons l'intention d'appliquer cette approche pour combler les lacunes cliniques dans la prescription de médicaments anti-infectieux chez les adultes et les enfants. La question du dosage est particulièrement délicate dans le cas des anti-infectieux, qui ont une marge thérapeutique étroite, entre efficacité et toxicité. En outre, nous avons l'intention d'explorer l'utilisation de l’IA, du machine learning, pour développer des algorithmes de dosage des antibiotiques afin d'atteindre plus rapidement les concentrations cibles au début du traitement ou pendant la phase d'entretien.

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