Pierre et Christine Magistretti écrivent un roman scientifique à quatre mains pour expliquer la maladie et l’état de la recherche au grand public
L’idée du roman émerge de Venise il y a 33 ans, de l’iconique Harry's Bar précisément. Le scénario de « La Corne d’Ammon – les mystères du cerveau », ouvrage paru aux Éditions Odile Jacob en novembre 2024, compile une série d’énigmes entre neurosciences, histoire, géographie et culture. « Le grand public se pose des questions simples : pourquoi n’existe-t-il toujours pas de traitement pour la maladie d’Alzheimer ? Que peut-on faire pour un proche ? Nous nous sommes lancés dans cette aventure pour apporter de l’information claire et de qualité au grand public », explique Christine Magistretti. Selon elle, le travail devrait continuer et aborder les questions essentielles de la solitude des personnes âgées, du validisme, et des impasses de la recherche actuelle. « Au-delà de la vulgarisation scientifique et d’une critique du fonctionnement de la recherche, ce projet d’écriture commune, presque romantique, nous a aussi offert des tranches de vie à deux, stimulantes, amusantes », décrit Pierre Magistretti. Rencontre.
Pierre Magistretti est médecin et neurobiologiste, professeur émérite à l’EPFL, à l’UNIL et à l’UNIGE, chercheur mondialement reconnu pour ses travaux sur les cellules gliales notamment et Christine Magistretti est infirmière et psychologue, à l’origine du planning familial suisse et de la Fondation internationale pour la population et le développement (IFPD). Le couple offre au grand public un roman scientifique accessible pour mieux comprendre les avancées de la recherche sur la forme de démence la plus fréquente. En effet, d’après l’Office fédéral de la santé publique, quelque 153 000 personnes sont atteintes de démence en Suisse, dont 60% par la maladie d’Alzheimer.
Une intrigue scientifique au cœur des enjeux de la recherche sur la maladie d’Alzheimer
Leur roman met en scène Fred Lindemayer, un homme d’affaires frappé dans sa vie personnelle par la maladie d’Alzheimer. Déçu par les limites de l’offre médicale pour soigner son épouse, il lance un concours pour recruter le futur directeur ou la future directrice d’un institut de recherche innovant. Cinq jeunes neuroscientifiques, aux parcours aussi brillants que variés, s’affrontent autour d’énigmes scientifiques liées à des lieux historiques, tout en faisant face à un ennemi mystérieux qui complique leur course contre la montre.
« Nous avons ajouté une dose de tension dramatique, avec des éléments de suspense et un antagoniste, pour rendre le récit plus captivant et transporter les lectrices et lecteurs à travers l’Europe », explique Pierre Magistretti.
Une aventure de fiction inspirée par la réalité
Pierre et Christine Magistretti se sont inspirés de leurs parcours personnels et professionnels pour construire leurs personnages. « Beaucoup d’éléments viennent de nos propres expériences ou de celles de gens que nous avons rencontrés », confie Christine Magistretti. Le roman donne ainsi vie à des figures marquées par des dilemmes éthiques, des frustrations face à un système scientifique parfois rigide, et une pression sociale sur les scientifiques, qui peut aller jusqu’à des falsifications de résultats.
« La recherche est prise dans un cercle vicieux : on privilégie les sujets à la mode, les publications dans des journaux à fort « impact factor », et on oublie parfois des pistes prometteuses mais moins évidentes », souligne Pierre Magistretti.
L’ouvrage explore notamment les recherches scientifiques autour de l’inflammation, des cellules gliales, et du métabolisme cérébral – des pistes souvent marginalisées dans la recherche dominante. En effet, malgré des décennies de recherche et des investissements colossaux, notamment par l’industrie pharmaceutique, les avancées dans le traitement de la maladie d’Alzheimer restent très limitées. Cette stagnation résulte en partie de l’omniprésence de l’hypothèse amyloïde, qui associe la maladie à l’accumulation d’une protéine toxique dans le cerveau. Bien que largement adoptée, cette théorie a échoué à produire des traitements efficaces, entraînant une focalisation excessive au détriment d’autres directions et visions prometteuses.
Des approches alternatives émergent, notamment celles explorant deux mécanismes clés : l’hypométabolisme cérébral (réduction de la capacité du cerveau à utiliser le glucose, essentielle à son bon fonctionnement) et l’inflammation (les deux approches impliquant les cellules gliales comme les astrocytes et la microglie). Ces stratégies offrent des solutions viables pour protéger les neurones et inverser les processus dégénératifs.
Des molécules ciblant ces mécanismes sont en cours de développement, et les premières validations cliniques semblent imminentes. Ces avancées nécessitent un soutien accru de l’industrie pharmaceutique et du capital-risque pour libérer leur potentiel. L’avenir du traitement d’Alzheimer repose sur une ouverture à des pistes diversifiées et des initiatives novatrices comme celle de Fred Lindenmayer, encourageant une exploration scientifique élargie.
« On pourrait imager la maladie d’Alzheimer à un diabète de type 3 du cerveau – un manque de glucose dans le cerveau », conclut Pierre Magistretti. Alors que le cerveau ne pèse en moyenne que 2% du poids du corps, il consomme environ 25% du glucose et 20% de l’oxygène en condition normale, soit 10 fois plus que la quantité prédite par son poids. Reste à trouver l’insuline du cerveau !
Une écriture à quatre mains, reflet d’une complicité unique
Ce projet littéraire est aussi l’histoire d’une relation à la fois professionnelle et personnelle. « Nous n’avions jamais travaillé ensemble auparavant. Cette collaboration nous a permis de découvrir de nouvelles facettes l’un de l’autre, tout en consolidant notre complicité. Le ciment – la glie ! – de notre couple dès ses débuts, nous a permis de mener ce projet à bien. », raconte Christine.
Le couple, qui « vit avec les cellules gliales depuis plus de 40 ans », a trouvé dans l’écriture un moyen d’assembler ses différentes perspectives. « Écrire à quatre mains, c’est un exercice d’écoute et de compromis. Nous avons souvent discuté des personnages, des éléments de l’intrigue, jusqu’à trouver une vision commune », ajoute Pierre.
Les cellules gliales : la moitié des cellules du cerveau
Les cellules gliales jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement du cerveau humain. Autrefois vues comme de la simple « glue », elles sont en réalité très actives et essentielles. Elles nourrissent les neurones avec de l'énergie sous forme de lactate, un "carburant" indispensable pour la mémoire, et maintiennent l’environnement des neurones pour les protéger et en optimiser le fonctionnement. Elles aident aussi les neurones à mieux communiquer entre eux, ce qui renforce la mémoire et les fonctions cérébrales.
Une aventure humaine et scientifique
La Corne d’Ammon – les mystères du cerveau est plus qu’un simple roman scientifique. C’est une invitation à comprendre les complexités de la recherche, tout en s’interrogeant sur la manière dont notre société traite ses plus vulnérables. Avec ce livre, les Magistretti signent une œuvre hybride, entre polar scientifique et réflexion éthique, capable de captiver autant les passionnés de science que les amateurs de littérature.
Le couple sera présent au CHUV le vendredi 14 mars entre 16h30 et 18h pour une conférence publique dans le cadre du programme de la Semaine du cerveau.
Programme complet : www.lasemaineducerveau.ch