Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, est l'occasion de rappeler les avancées mais aussi les défis persistants en matière d'égalité des sexes. En Suisse, cette journée revêt une importance particulière, tant le pays est marqué par une longue histoire d’exclusion des femmes des sphères du pouvoir.
Depuis les années 1950, la proportion des femmes au pouvoir en Suisse a progressé, notamment dans l’administration publique, où elles occupent des postes clés comme chancelières ou secrétaires générales. Leur représentation demeure néanmoins encore fortement limitée dans la sphère économique, comme le montre le graphique établi par l'Observatoire des élites suisses de l'Université de Lausanne.
Une ascension encore élitiste
Dans ses études, l’OBELIS, qui célèbre cette année ses 10 ans, révèle en outre que les rares femmes accédant à des positions dirigeantes sont majoritairement issues de milieux privilégiés. Ces observations mettent en lumière les mécanismes structurels à l'œuvre : le genre continue de façonner profondément les opportunités professionnelles en Suisse et les femmes issues de milieux favorisés disposent de davantage de ressources pour surmonter ces inégalités.
L’exclusion politique, un frein à d’autres dispositions juridiques
Avant les années 1970, le cadre juridique suisse s'est développé dans un contexte d'exclusion politique des femmes, sans que ces dernières aient un réel pouvoir de décision. « La nécessité pour les mouvements féministes de consacrer leurs ressources et leur énergie principalement à la conquête du suffrage a considérablement ralenti l'évolution d'autres dispositions législatives concernant l'égalité des genres », souligne la chercheuse Stéphanie Ginalski, membre de l’OBELIS. Cela a renforcé les obstacles pour les femmes sur le marché du travail, l’offre de garde institutionnelle des enfants étant particulièrement sous-développée. Par exemple, le congé maternité n'a été introduit qu'en 2005, après des débats qui se sont étendus sur une période de dix ans. Il a fallu attendre 2021 pour que les pères exerçant une activité lucrative aient également droit à un congé paternité, limité à deux semaines seulement. En Suisse, les femmes restent toujours considérées comme principales responsables du soin des enfants. Les interruptions de carrière et la diminution fréquente du taux de travail des mères sont un frein très important dans leur progression professionnelle. Ces différents éléments permettent de mieux comprendre pourquoi l’on trouve si peu de femmes « cheffes » en Suisse.
Les femmes dans l’élite économique suisse
Bien que les femmes ne constituent qu’environ 22% des élites économiques suisses en 2020, leur présence a connu une forte hausse depuis les années 1950 où elles étaient encore exclues de cette sphère du pouvoir. De plus en plus de femmes réalisent des études supérieures et ont par conséquent accès aux postes à responsabilité. « Mais le progrès résulte aussi d'une nouvelle approche concernant l'accession des femmes aux postes de direction dans l'entreprise », explique Stéphanie Ginalski. « Les élites économiques ont commencé à adopter certaines idées féministes dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Intégrer quelques femmes à des postes de direction leur a permis de répondre aux critiques des mouvements féministes des années 1970 qui dénonçaient les inégalités du système économique et la domination masculine », précise la chercheuse. Désormais, presque toutes les grandes entreprises ont au moins une femme dans leur conseil d'administration, mais les femmes ne représentent encore que 21,8% des membres de ces conseils.
Le rôle des unions matrimoniales
Finalement, si les femmes sont moins présentes que les hommes dans les postes de pouvoir économique, elles jouent toutefois un rôle fondamental dans la sphère privée de la reproduction des classes supérieures. La recherche Sinergia, dirigée par André Mach, sur les élites au pouvoir dans les grandes villes suisses a démontré le rôle des unions matrimoniales dans la transmission des richesses. Elle a également montré que ces unions contribuaient au maintien du statut symbolique de certaines familles, qui ont concentré et conservé un pouvoir local tout au long du XXème siècle. Au sein des élites également, le travail domestique et relationnel des femmes reste invisibilisé mais contribue bien à la re/production des inégalités.
L’OBELIS continue de s’interroger sur les voix qui se font entendre dans l'espace public, en politique et dans les autres sphères du pouvoir. Il doit examiner pourquoi certaines voix s’imposent davantage, tandis que d'autres sont réduites au silence.