Projet de recherche et d'enseignement
Responsable du projet : Olivier Lugon (section d'histoire et esthétique du cinéma)
L’avènement de la photographie au musée et dans le marché de l’art depuis une vingtaine d’années s’est appuyé sur la prédominance d’un modèle assez figé de présentation, emprunté aux beaux-arts : des images soigneusement séparées l’une de l’autre, isolées par un cadre et un verre, accrochées à hauteur des yeux, à plat sur un mur clair apparemment plein. Si ce modèle conventionnel de mise en valeur du tableau a contribué à conférer au médium une aura et une valeur marchande inédites, il a aussi tendu à refouler une histoire très différente de l’exposition photographique, celle d’un bouillonnement d’expérimentations et d’innovations développées au fil du XXe siècle pour dépasser précisément ce modèle des beaux-arts. Des années 1920 aux années 1960 en effet, la photographie a été perçue non seulement comme une nouvelle forme de médium ou d’œuvre d’art, mais aussi comme un agent privilégié de redéfinition des techniques de présentation des images et de leur rapport à l’espace. Par sa propre souplesse matérielle – une photographie n’a pas de corps, elle peut être agrandie, rétrécie, projetée, inversée, découpée, suspendue de multiples façons –, mais surtout par son absence de valeur commerciale et symbolique, elle a favorisé une grande liberté d’usages et d’expérimentations, et stimulé de nombreuses recherches sur la spatialisation des images.
Ces recherches ont pris naissance dans la mouvance constructiviste soviétique et germanique des années 1920, dans le sillage du Bauhaus en particulier, où elles se sont chargées de fortes implications culturelles et politiques. Mais les formules développées alors ont rapidement traversé les frontières et les milieux, pour connaître une vitalité toute particulière dans les années 1940 et 1950, où maintes expositions photographiques sont devenues de véritables architectures d’images: le spectateur y était désormais appelé à déambuler entre les images, à les mettre en relation à distance, à les percevoir avec tout le dynamisme de son avancée au milieu de formats et de points de vue changeants.
A partir de l’étude d’une douzaine de manifestations clés, le présent projet de recherche entend entreprendre une histoire scénographique de la photographie moderne, en croisant histoire de la photographie, de l’architecture et de la muséographie. Il examine la façon dont la mise en espace produit elle aussi un discours, remodèle la signification et le statut des images, et il rappelle à quel point les protagonistes de la photographie moderne ont pris en compte cette malléabilité fondamentale – matérielle comme sémantique – du médium et l’importance du spectateur face à l’image.