Octobre 1941
Conçu par des parents optimistes
C’était une période difficile. Les Allemands approchaient Moscou. La Suisse était encerclée par des pays sous régime nazi ou fasciste. Mon père, ingénieur civil, construisait des fortifications pour l’armée. Ma mère Liliane s’occupait de ma sœur Michèle, 3 ans, et de mon frère Emmanuel, 2 ans.
Le 8 juin 1942
Naissance
1946
N’a plus peur du noir, parce que le soleil revient toujours – comme Copernic l’a expliqué
Pour faire simple (presque trop simple) : deux solutions s’offraient à moi. La première était de me tourner vers la foi protestante de ma mère, la seconde vers les explications logiques de mon athée de père. Plus le temps passa, et plus la seconde option me parut séduisante.
1948-55
Première partie d’une carrière scientifique expérimentale en Valais et à Lausanne (instruments : couteaux, aiguilles, ficelle, allumettes)
Mon père construisait un grand barrage, là-haut sur la montagne. Nous habitions dans un petit village où on venait d’installer l’électricité. A l’école, il y avait deux classes pour les garçons, chacune avec un poêle à feu au centre. Les garçons sages avaient le droit de s’asseoir près du poêle, tandis que les cancres devaient s’asseoir près des fenêtres. Étant donné que nous étions les fils de l’ingénieur, nous avions donc le privilège incontestable de nous asseoir près du poêle !
Nous passions les six mois des vacances d’été dans un chalet, plus haut encore sur la montagne, proche du travail de papa. Il n’y avait pas d’électricité là-haut, et pas de magasins aux alentours. Le pain de seigle devenait dur après quelques semaines. Il y avait par contre un très grand rocher (pas aussi grand qu’il ne m’apparaissait dans mon souvenir, comme je le réalisais en y revenant une fois adulte) sur lequel ma sœur et mon frère passaient des heures à grimper. Il y avait un millier d’autres terrains de jeu et d’aventures aux alentours, et plus bas près de la rivière.
Puis, nous sommes allés vivre dans la « grande ville » de Sion, et enfin dans la « mégapole » de Lausanne, où j’ai dû trouver mon chemin – ce qui ne fut pas sans difficulté – à travers le labyrinthe d’un système d’éducation plus standardisé. J’ai réussi, presque par miracle, à passer mon examen du collège (qui se fait normalement à 11 ans, mais j’avais d’ores et déjà une année de retard).
1955
Premier dyslexique officiel du canton de Vaud – ce qui a permis de justifier le fait que je sois mauvais en tout… mais aussi de comprendre les personnes en difficulté
Il n’a pas fallu longtemps à mes parents pour réaliser que mes notes n’étaient pas prometteuses. Mais, en plus de cela, ils ont constaté que mes fautes d’orthographe – tout comme celles de mon frère – étaient quelque peu hors du commun. Ils ont attiré l’attention du directeur du collège sur cette anomalie, et ont décidé de pousser leurs recherches. C’est comme cela que j’ai été reconnu premier dyslexique officiel du canton. J’ai pu ainsi passer d’une classe à l’autre malgré des notes de plus en plus catastrophiques. C’était une mauvaise période. De mauvais en orthographe, je suis rapidement devenu mauvais en tout – la dyslexie était devenue mon « coussin de paresse ».
Mais tout n’était pas complètement perdu : en suivant les instructions du livre de Jean Texereau, je construisis un télescope de 15 cm d’ouverture. Mon professeur de travaux manuels passa plus de temps à m’aider qu’il n’en passa avec le reste de la classe réunie. Le directeur du collège partit à la retraite peu avant que je termine le programme d’école obligatoire. Il ne fallut pas attendre bien longtemps avant que je sois alors renvoyé.
Toujours optimistes, et créatifs de surcroit, mes parents m’envoyèrent à l’internat de Kantonschule Trogen, au cœur de la Suisse alémanique. Le message était clair : soit j’avançais, soit je restais coincé. Un an plus tard, le professeur d’allemand me demanda de donner un exposé en classe. Je parlais de fusées, et je fus plutôt bon. Je sus que j’étais en bon chemin pour devenir un scientifique. Et ce fut la fin de l’épisode suisse-allemand.
1962
Examen de maturité fédérale
Après le réveil salutaire à Trogen, mes parents m’envoyèrent dans une école privée à Lausanne où je pus préparer l’examen d’entrée à l’Université. Ce fut une période de rattrapage intense. Je reste toujours aussi surpris de la quantité d’apprentissage que peut emmagasiner un jeune adulte ou un adolescent lorsqu’il (ou elle) est vraiment motivé. Mes connaissances en poésie, musique, histoire et géographie sont encore relativement bonnes – étant donné que ce ne sont pas des disciplines qui impliquent énormément de grammaire et d’orthographe.
Réservé et poli, mais peu sociable, mes premières expériences d’intégration se sont faites au contact d’enfants handicapés dans des foyers où ma sœur (une thérapeute du travail) m’emmenait durant les vacances. Puis, au service militaire ! J’ai encore des cauchemars de cette époque, mais je sais que j’ai appris des choses au contact régulier avec mes frères humains. Je suis devenu un officier – même si je n’avais pas vraiment le physique de l’emploi.
1967
Physicien-ingénieur à l’EPUL, avec l’intention de devenir biologiste
Je voulais comprendre le monde, le monde du vivant en particulier, et devenir un scientifique. C’était une époque où la physique était en train de définir la biologie. Watson, Crick, Kendrew et Perutz avaient remporté leurs Prix Nobel. Évidemment, je choisis d’étudier la physique à l’EPUL – Ecole polytechnique de l’Université de Lausanne – où mon père avait étudié le génie civil. Le calcul me posa des problèmes durant ma première année et, contrairement à certains de mes admirables camarades, je ne devins pas un brillant mathématicien. Néanmoins, j’appréciais énormément tout ce que j’étais en train d’apprendre. Je me sentais de plus en plus à l’aise en physique, notamment grâce à mon Professeur Jean-Pierre Borel ainsi qu’aux trois volumes des « Lectures on Physics » de Feynman.
Lors de ma deuxième année, je suis allé demander conseil à mon professeur favori : « Où est-ce que je devrais aller faire mon doctorat en biologie, une fois mon diplôme terminé ? » La réponse fusa : « Chez le Professeur Edouard Kellenberger, au Laboratoire de biophysique à Genève. » Aussitôt dit, aussitôt fait : je pris un premier rendez-vous. Edouard fut extrêmement sympathique durant ce premier entretien, et m’offra immédiatement un poste d’assistant doctorant. « Pas si vite - je dois encore compléter trois ans d’études à Lausanne. » « Alors, revenez dans trois ans. » Chose promise, chose due : trois ans plus tard, me voilà de retour à Genève. Entre-temps, Edouard était parti aux États-Unis, il s’était marié avec Cornelia, et il m’avait complètement oublié. J’eus le poste quand même.
Le Laboratoire de biophysique de l’Université de Genève était un endroit remarquable (Strasser, 2006) – ce fut l’un des endroits où la biologie moléculaire débuta en Europe. La science pratiquée là-bas était accomplie de manière enthousiaste, créative et ouverte. Les marches en montagne et l’escalade du Salève étaient nos seules dérogations aux longues heures passées à enseigner la biologie et à travailler dans le laboratoire avec mon microscope électronique – un vieil RCA EMU2.
1968
Très important
La révolution étudiante arriva. On ne pouvait pas y échapper. On ne le fit pas. Peu préparé, je suivis ce mouvement d’engagement politique dans une période de grands rebondissements. Nous étions de gauche bien entendu, bien que notre « groupe 2002 » (tel qu’il était baptisé) ne concordait pas exactement avec la prise de position générale. Nous étions très impliqués pour la protection de l’environnement. Je chéris le souvenir du moment où, du haut d’un poteau sur lequel j’avais grimpé pour y coller un poster protestant contre une exposition de voitures, je vis deux policiers souriants attendre de me récolter, lorsque je serai redescendu de ce piédestal. Cette cascade me valut une majeure partie de mon maigre salaire de l’époque.
Un ami, qui était plus engagé dans cette révolution que moi, quitta ses études et sa famille. Son père, un banquier roulant dans une belle, grande voiture noire, me dit un jour (peut-être parce que j’avais l’air de quelqu’un qui était encore raisonnable) : « Ne t’inquiète pas, il reviendra bientôt à la normale. » A ce moment-là, je me dis qu’aucun d’entre nous ne serait plus jamais « normal » - du moins pas une normalité telle que ce monsieur l’entendait.
1969
Certificat de biologie moléculaire à Genève pour devenir biophysicien. Commence à étudier la microscopie électronique de l’ADN, qui resta mon sujet principal
Mon diplôme en physique ne m’apporta pas beaucoup de connaissances en biologie. Ce certificat avait pour but de combler les lacunes entre ces deux branches afin de produire un nouveau type de scientifique : le biophysicien. En bref, des biologistes avec une logique de physiciens. Je pris des cours avec des étudiants en biologie et, chose plus importante encore, je découvris la manière de vivre de ceux qui sont dédiés à l’observation de la nature. Je me réveillais à l’aube avec eux pour observer les oiseaux, et creuser le sol pour y compter les vers.
1973
Thèse en biophysique à Genève et Bâle avec Edouard Kellenberger – qui m’enseigna la biophysique, la responsabilité éthique et l’amitié durable
Edouard Kellenberger fut mandaté de Genève à Bâle pour diriger la phase finale de construction et le début des opérations du nouveau Biocentre de l’Université de Bâle. Il amena avec lui un groupe de collègues et d’étudiants. La plupart d’entre nous étaient encore actifs en politique. Mon cheval de bataille restait la protection de l’environnement et le développement durable, mais le travail dans le laboratoire occupait la majeure partie de mon temps. Je devins le premier diplômé de philosophie II du Biocentre, avec une thèse de doctorat intitulée « Contribution to Dark-Field Electron Microscopy ». De fait, la matière sombre ne composait qu’une partie minime de mon doctorat, et la conclusion était qu’elle n’était pas très utile à l’observation en biologie.
En revanche, j’appris à manipuler un microscope électronique, et je lus énormément de choses sur le comportement étrange de la matière à une petite dimension.
1970-76
Psychanalyse : très classique
Comme d’habitude dans ce genre de cas, ma vie affective fut très intense durant ma psychanalyse. Je rencontrais Christine vers la fin de cette période. Notre deuxième rencontre fut durant une manifestation contre la construction d’une centrale nucléaire près de Bâle (le projet ne fut jamais mené à bien). Christine est une historienne de l’art venant de Bâle et de Paris. Elle enseignait dans une école d’art. On s’installa ensemble, et on se maria lorsqu’elle décida de me suivre à Heidelberg.
Qu’est-ce que je récoltais d’avoir enduré l’effort déraisonnable d’une psychanalyse ? Je me posais la question en me baladant sur les rives du Rhin après ma dernière session. La réponse qui me vint fut « je ne sais pas encore, mais dans dix ans je comprendrais. » Dix ans plus tard, je me dis que ce fut, somme toute, une bonne décision. Aujourd’hui, je réalise que ce fut l’une des deux meilleures décisions de ma vie – la seconde étant de vivre avec Christine.
1978
Chef de groupe à l’EMBL (Heidelberg). Comment gérer l’eau dans la microscopie électronique. Découverte de la vitrification et développement de la cryo-microscopie électronique
Le nouveau Laboratoire européen de biologie moléculaire, niché dans une magnifique forêt en-dessus de la ville de Heidelberg, était une sorte de paradis pour la recherche. John Kendrew, fondateur du laboratoire et premier directeur général, engagea une cohorte de jeunes scientifiques porteurs de projets ambitieux. Tout était arrangé pour que nous puissions travailler dans les meilleures conditions possibles, avec pour toute attente la production d’un savoir qui soit significatif. Mon projet consistait à apprendre comment gérer l’eau dans la cryo-microscopie électronique. Il n’a pas démarré de manière facile, mais nous avons eu de la chance par la suite. Mais ceci une autre histoire, racontée en détails ailleurs (Dubochet, 2011).
A ce moment-là, nous habitions dans un petit village au milieu de vignobles, au sud de Heidelberg. Christine mis au monde un garçon, Gilles, et 18 mois plus tard une fille, Lucy. J’avais pour habitude de partir travailler tôt le matin et de rentrer en milieu d’après-midi. J’avais ainsi l’opportunité de participer de près à ma vie de famille. Nous étions aussi entourés d’un groupe de parents partageant la garde de leurs enfants, ainsi que leur éducation. Quelle belle époque !
1987
Professeur à l’UNIL au Département d’analyse ultrasctructurale
J’étais parmi les rares privilégiés à avoir un contrat permanent à l’EMBL. Néanmoins, j’étais très attiré par l’enseignement et je doutais d’arriver à dédier toute ma vie à la recherche fondamentale uniquement. Je n’hésitais pas à accepter une offre de poste de Professeur à Lausanne – offre qui impliquait le management du centre d’électron microscopie, déjà très bien établi, avec tout ce que cela impliquait de tâches de gestion et la possibilité d’installer un laboratoire tout neuf d’analyse ultrastructurale où je pourrais poursuivre mes recherches dans de bonnes conditions. Durant mes 20 années en tant que professeur à Lausanne, j’eus également la chance d’étendre mon travail de recherche au domaine de la science dans la société. Nous avons développé un curriculum obligatoire qui a pour but d’assurer que nos élèves soient d’aussi bons citoyens qu’ils sont biologistes.
1998
Président de la Section de biologie, avec la chance de pouvoir partager cette tâche conjointement avec Nicole Galland et Pierre Hainard, et de vivre un moment où il se passait des choses intéressantes pour la biologie à Lausanne
Intéressantes, c’est le moins que l’on puisse dire. A cette époque-là eu lieu un réarrangement majeur entre l’UNIL et l’EPFL. L’idée était bonne : la biologie était exclusivement l’apanage de l’UNIL, mais les mathématiques, la physique et la chimie existaient à la fois à l’UNIL et à l’EPFL – ce qui paraissait évidemment déraisonnable. Il fut décidé de regrouper ces trois dernières disciplines à l’EPFL, et de renforcer la faculté de biologie à l’UNIL.
Mais la mise en place de cette idée simple s’avéra complexe. C’est à ce moment-là que je découvris à quel point la politique pouvait s’avérer compliquée. Le résultat, au final, fut le suivant : les mathématiques, la physique et la chimie furent bel et bien été transférées à l’EPFL, mais - coup de théâtre ! – un nouveau Département des sciences de la vie y fit également son apparition. A l’UNIL, ce qui restait de la Faculté des sciences congloméra avec la médecine pour créer la nouvelle Faculté de biologie et de médecine. Le résultat se révélera meilleur que ce qu’on aurait pu espérer au début de ces chambardements – mais quelle aventure !
2002
Fin de mon mandat. Année sabbatique en Australie, en Allemagne et à Paris
2004-2007
Maturation de CEMOVIS (cryo-electron microscopy of vitreous sections)
Le succès de la cryo-microscopie électronique dépend de l’observation de spécimens extrêmement fins, de taille moyenne sub-µm. Cette échelle est trop fine pour l’observation d’une cellule normale – et que dire alors de tissus ou d’un organisme complexe. Dès le départ, notre projet de cryo-microscopie électronique comprenait l’observation de spécimens volumineux. Pour ce faire, la stratégie consiste à vitrifier le volume le plus grand possible, puis le couper en sections vitreuses qui peuvent, elles, être observées directement au cryo-microscope.
La méthode présentait une série de difficultés que nous avions résumées avec l’acronyme SIVEMCATOR (Al-Amoudi, Studer and Dubochet, 2004), qui est, pour certains, l’expression symbolique de la tâche sans espoir que j’imposai à un certain nombre de mes collaborateurs. Je pense qu’ils ont tort. La nécessité d’une cryo-microscopie de spécimens volumineux est évidente, et CEMOVIS est le chemin le plus direct pour y arriver. Je pense que le succès de la méthode de vitrification de films fins appliquées à des complexes macromoléculaires ou à de petits organismes a décimé le groupe de ceux qui étaient près à accepter le challenge plus problématique qui est l’étude d’objets larges. Ceci changera. CEMOVIS a de beaux jours devant elle.
Juin 2007
Colloque et leçon de départ
2007 >
Hôte du Département d’écologie et d’évolution. Science et société pour les plus âgés
La retraite dans les universités suisses est obligatoire à 65 ans. Certains trouvent des solutions pour continuer le travail auquel ils ont dévolu leur vie. Je me disais que, avec un peu de chance, je ne serais pas si vieux que ça à 65 ans. Dans les statistiques, cela laisse encore une vingtaine d’années de vie créative. Je décidai de cultiver mes 4 « S ».
Le Soi, prendre soin de soi.
Le Social, et le vivre-ensemble. Je commençai à enseigner les mathématiques basiques à de jeunes migrants. La suite ne tarda pas à arriver, et je m’engageai en politique dans la commune de mon bourg – comme à l’époque, pour la protection de l’environnement.
Le troisième « S » est pour la Science, car cela reste ma passion. J’ai la chance de pouvoir continuer à y réfléchir, grâce notamment au contact direct avec mes collègues de l’Université qui m’y ont généreusement encore laissé un bureau.
Le dernier « S » signifie Service, car les fruits de l’arbre à coings sont meilleurs en confiture qu’abandonnés à pourrir à même le sol, et parce que quelqu’un doit bien mettre la vaisselle dans le lave-vaisselle. Ma sœur me donna comme conseil de passer ma première année de retraite à apprivoiser ce nouveau job. A la fin de la première année, je constatai qu’une seconde année préparatoire était nécessaire. Dix ans plus tard, cela reste une œuvre en progrès.
Les enfants ont grandi. Notre beau-fils vient de l’Inde. Ils travaillent tous pour le bien commun ou le développement. Nous ne sommes pas encore officiellement grands-parents, bien que nous soyons membres actifs de l’association « Grands-parents pour le climat » (https://www.gpclimat.ch/fr/).
4 octobre 2017
Ouch! Un Prix Nobel
Christine dit : "C’est mieux pour nous que tu l’aies obtenu tard, et que tu aies ainsi pu profiter de dix ans de retraite pour élargir tes horizons".