A propos du projet
Cette page web, réalisée en tant que projet personnel par Alessandra Garzoni dans le cadre du programme de spécialisation Master en Sciences historiques de la culture (SHC), est née à la suite d'un séminaire en Histoire ayant eu lieu à l’Université de Lausanne sous la direction de la Prof. Nelly Valsangiacomo intitulé « La politique au bout des ondes. De la radio de service public aux radios communautaires : histoire d’un media au XXe siècle ». Le but du séminaire était d’étudier l’histoire du media radiophonique et de comprendre son importance et sa fonction sociale et politique, en analysant différentes radios à travers le monde (1).
Même si ce projet se concentre sur le rôle joué par la radio sur le continent Africain pendant les années de décolonisation, il résulte du croisement de plusieurs travaux réalisés dans une perspective de recherche plus ample dans le cadre du séminaire. Plus précisément, en analysant trois études de cas liées à la décolonisation africaine et à ses implications politiques, ce projet vise à montrer l’importance du média radiophonique en relation avec l’un des phénomènes marquants de l’histoire contemporaine.
Les trois études de cas présentées par la suite montrent trois genres radiophoniques et trois utilisations différentes de la radio liées au contexte politique, ainsi que la décolonisation vue de trois angles différents. La première étude de cas nous montre comment la radio est utilisée, à partir des années 1960, par des organisations humanitaires. C’est à travers le média radiophonique que ces organisations s’adressent au continent inconnu qu’est alors l’Afrique. La deuxième étude nous montre comment le média radiophonique est utilisé, par les pouvoirs métropolitains, dans la résolution d’une situation de crise politique liée à la décolonisation. A travers la transmission radiophonique de son discours, de Gaulle a pu joindre à la fois la population française et les soldats en Algérie. La dernière étude de cas montre comment la radio, instrument utilisé par les colonisateurs, passe, durant la phase de prise de conscience politique et, par la suite, avec l’indépendance, dans les mains des politiciens autochtones.
En guise d’introduction
La radio naît au début du XXe siècle et connaît un développement et un succès très rapides dans les années 1920. En Europe occidentale et aux Etats Unis, elle participe à l’essor de la culture de masse et à la diffusion de nouveaux loisirs, mais sa vocation de nouveau media d’information ne tarde pas à s’affirmer également. Très rapidement, la radio devient un canal privilégié de la communication politique, changeant de rôle et de fonction selon les acteurs et le contexte historique.
Radio et politique en Afrique
Même si dans certaines régions d’Afrique, la radio a été introduite avant la décolonisation par des fonctionnaires coloniaux et des missions religieuses, dans la plupart des pays l’installation du média coïncide avec l’autonomie ou l’indépendance (TUDESQ 1999, 6 ; DAKHLIA et ROBINET 2016, 8). La radio devient ainsi un instrument politique des nouveaux Etats, mais elle ne touche encore qu’un faible nombre d’auditeurs (TUDESQ 1999, 6). À partir des années 1960, des organisations internationales comme la Croix Rouge contribuent à la diffusion de la radio en Afrique, dès lors qu’elle devient un outil fondamental pour servir les intérêts et les missions de ces organisations dans le continent.
Si aujourd’hui la radio demeure encore le moyen de communication le plus répandu en Afrique (2), à l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale l’importance de l’oralité parmi les populations africaines favorise la diffusion et l’utilisation du média radiophonique contrairement à celle de la presse écrite, une grande partie de la population étant encore analphabète (BET’UKANY 2007, 1). Pour la plupart de la population vivant dans des régions rurales, l’oralité et la radio constituent alors les seuls moyens d’accès à l’information, tandis que la presse écrite reste réservée à une petite minorité (BET’UKANY 2007, 11, 1-2).
Après les indépendances, dans les nouveaux Etats où, pour des raisons variées – dispersion géographique et du peuplement, réseaux de communication insuffisants et manque de tradition étatique – le pouvoir central est perçu comme lointain et incompréhensible, la voix radiodiffusée du leader devient parfois le seul signe tangible pour la population (ATLAN 2005, 13). Ce n’est donc pas un hasard si, pendant les moments de transition et de crise politique liés à la décolonisation (DAKHLIA et ROBINET 2016, 3), la radio joue un rôle décisif, soit du côté des pouvoirs coloniaux, soit dans l’intronisation d’un nouveau pouvoir. Notamment, elle devient un moyen de contrôle étatique d’une part, et de lutte et d’affirmation politique, culturelle et identitaire de groupes minoritaires d’autre part.
Vecteur de communication essentiel parce que le plus souvent sans concurrence, la radio est conçue par les nouveaux gouvernements comme un instrument de modernisation et d’unification nationale. Comme le résume Beno Sternberg-Sarel, le rapport entre radio et politique est donc plus que jamais étroit dans le cas de l’Afrique, où « la radio n’est pas un service public autonome, mais la chose du pouvoir et de la personne qui le détient » (1961, 116).