Pour compenser le fait qu’elles sont davantage visibles les nuits de pleine lune, les chouettes blanches figent les campagnols plus longtemps, pour les capturer. Cette découverte s’inscrit dans une étude du Département d’écologie et évolution de l’UNIL qui montre l’impact de la luminosité sur le comportement des oiseaux en fonction de leur couleur. Elle a été publiée le 2 septembre 2019 dans "Nature Ecology and Evolution".
En Suisse, le plumage des chouettes effraies varie du blanc au roux foncé. Quel avantage, pour une partie de ces rapaces nocturnes, à être blancs comme neige et donc d’autant plus visibles aux yeux de leurs proies, les campagnols ? La question taraudait Alexandre Roulin, chercheur au Département d’écologie et évolution (DEE) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, depuis plusieurs années. Dans une étude publiée le 2 septembre dernier dans la revue Nature Ecology and Evolution, le professeur et son postdoctorant Luis Martín San José García (premier auteur) ont montré comment le cycle de la lune, plus particulièrement la variation de luminosité, affecte le succès de chasse et la reproduction des oiseaux, en fonction de la couleur de leur plumage.
Trouille blanche
En analysant les données qu’ils ont récoltées sur le terrain au cours des vingt-cinq dernières années dans la région Morat-Lausanne-Yverdon et en réalisant un suivi GPS des volatiles, les biologistes ont constaté, sans grand étonnement, que les chouettes rousses chassent plus efficacement à la nouvelle lune, lorsque la luminosité est faible. Au contraire, lors de nuits claires, elles attrapent moins de proies et nourrissent ainsi moins leurs petits, dont le poids corporel diminue. « Chez les oiseaux blancs, plus visibles, cet effet négatif aurait dû augmenter. Or, contre-intuitivement, ils saisissent davantage de campagnols à la pleine lune, en comparaison aux nuits plus sombres ! » révèle Alexandre Roulin.
Des expériences comportementales menées en laboratoire montrent que les chouettes blanches (dans ce cas empaillées), grâce à la réflexion de la lumière sur leur plumage, figent les campagnols sur place. Et lorsque la pleine lune est simulée, l’effet est exacerbé : les rongeurs restent immobiles, comme tétanisés, deux fois plus longtemps. « Les chouettes claires tirent profit de l’aversion naturelle des campagnols à la lumière pour mieux les capturer. Un cas unique dans le règne animal », note le professeur.
Nourrir les oisillons à point nommé
La luminosité n’affecte pas seulement le comportement des chouettes effraies en matière de recherche de nourriture. Elle joue aussi un rôle dans la reproduction. Le moment où une femelle initie la ponte dépend du cycle lunaire et de la couleur du père. Si ce dernier est blanc, le premier œuf est pondu durant une nuit où plus de 50% de l’astre est éclairée. Si le père est roux, c’est le contraire. Ainsi, le moment où les jeunes auront besoin d’un maximum à manger (à deux semaines de vie) coïncide avec une période de chasse prospère pour le père, en charge de nourrir la famille : pleine lune s’il est blanc, nouvelle lune s’il est roux.
Étude au royaume de la nuit
Plus largement, cette recherche qui implique neuf biologistes du DEE montre l’interaction entre les changements lumineux et les variations de couleur chez les animaux nocturnes. Une relation encore très peu étudiée, la plupart des travaux en la matière se concentrant sur des espèces diurnes. « Un biais probablement dû au fait que nous-mêmes voyons mal dans l’obscurité », suppose Alexandre Roulin. D’après l’ornithologue, la question de la pollution lumineuse croissante, due à l’activité humaine, nécessiterait quant à elle d’être approfondie dans le cadre de recherches futures. Elle pourrait en effet interférer avec les dynamiques d’évolution liées à la coloration des espèces vivant la nuit.