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Comment les neurones interprètent les pleurs de bébés

Au cœur de notre cerveau, une structure connue pour traiter les émotions négatives orchestre les interactions entre adultes et nouveau-nés. Une étude sur ce sujet, réalisée au Département des neurosciences fondamentales de l’UNIL, a été publiée le 1er février 2023 dans la revue «Neuron».

Publié le 01 févr. 2023
Les scientifiques ont analysé l’activité cérébrale de souris lorsqu’elles approchent et prennent en charge des nouveau-nés. © Laboratoire du Pr Mameli, DNF-UNIL
Les scientifiques ont analysé l’activité cérébrale de souris lorsqu’elles approchent et prennent en charge des nouveau-nés. © Laboratoire du Pr Mameli, DNF-UNIL

Tongs aux pieds, vous patientez en attendant le décollage. Direction les tropiques. Débarque un couple avec un nourrisson s’époumonnant. Face à ces cris, une partie de vous souhaite rassurer l’enfant, le cajoler pour consoler sa peine. L’autre n’a qu’un espoir: que les sièges de cette famille se situent tout au fond de la cabine, le plus loin possible du vôtre. La détresse d’un enfant génère en nous des émotions fortes et, surtout, ambivalentes.

L’étude menée par l’équipe du professeur Manuel Mameli au Département des neurosciences fondamentales (DNF) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL montre que les soins aux nouveau-nés ne sont pas uniquement motivés par des aspects positifs (envie d’aider, satisfaction personnelle, etc.) mais aussi par la volonté de réduire le sentiment négatif ressenti face aux pleurs.

Agir pour calmer des émotions désagréables

Pour mener à bien leurs expériences, Salvatore Lecca (premier auteur de l’étude et chargé de recherche au DNF) et ses collègues ont utilisé des souris, en l’occurrence des femelles qui n’avaient encore jamais été portantes. Chacune d’entre elles a été mise en contact, successivement, avec des petits âgés de 2 à 5 jours. Ceux-ci, sortis de leur zone de confort, émettaient des vocalisations de détresse. Les scientifiques ont ensuite observé le comportement et l’activité cérébrale des adultes dans cette situation, totalement inconnue. Résultat, environ 75% des rongeurs ont approché le bébé, puis l’ont rapatrié en lieu sûr: un petit nid douillet (voir en vidéo). Les analyses montrent que, lors de cette action, l’activité des neurones de l’habenula latérale prend l’ascenseur. Or cette structure localisée au centre du cerveau, parfois surnommée «centre de la déception», joue un rôle important dans le traitement des informations et stimuli négatifs, aversifs. Elle nous aide notamment à adopter des stratégies efficaces pour affronter une menace, par exemple prendre ses jambes à son cou lorsque retentit une alarme incendie. «Le fait que l’habenula latérale soit en alerte lorsque la souris s’occupe du bébé en difficulté indique que ce comportement constitue une stratégie pour faire cesser les pleurs (stimuli aversifs) et éviter que la situation ne devienne ingérable», explique le directeur des travaux Manuel Mameli.

Dans le détail, seuls certains neurones, connectés à une zone cérébrale appelée «noyau du lit de la strie terminale», étaient particulièrement actifs. Les neuroscientifiques les ont isolés et ont découvert qu’ils renfermaient de nombreux gènes liés à des comportements sociaux et parentaux. «Il existerait donc une base génétique, située dans l’habenula latérale, qui expliquerait pourquoi les souris s’approchent et prennent en charge les petits», complète le chercheur.

Cependant, les cris seuls ne suffisent pas à expliquer l’attitude des rongeurs. En effet, exposées à des enregistrements, en particulier à des vocalisations connues pour être très aversives, les souris ont fui. En d’autres termes, sans bébé à proximité, elles se sont simplement éloignées de la source de désagrément. «Ceci est révélateur des relations complexes entre adultes et nouveau-nés, souligne Manuel Mameli. En présence d’un souriceau, il y a visiblement quelque chose d’inné qui pousse l’animal à résoudre le problème, en l’occurrence mettre le petit au calme, et à ne pas se contenter de déguerpir. Cette stratégie n'a pas été apprise, elle s’établit naturellement, instinctivement.»

Mieux comprendre le rôle du «centre de la déception»

L’article publié dans Neuron le 1er février 2023 s’inscrit dans le projet «Habenular circuits governing diversity of adult-newborn interactions», pour lequel Manuel Mameli bénéficie d’un financement du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). Pour l’instant, seules des souris femelles vierges ont été mises à contribution. L’équipe du DNF souhaite désormais comprendre, entre autres, si les circuits et mécanismes neuronaux découverts dans l’habenula latérale sont également présents et actifs chez les autres adultes (femelles mères, mâles pères et mâles vierges). «Plus largement, notre but est de mieux cerner les principes qui régissent les interactions entre adultes et nouveau-nés. Ceci aussi en cas de pathologies psychiques comme des troubles de l’humeur ou une dépression post-partum», conclut le professeur.

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