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La Prof. Marie Kondrat récompensée par la Fondation Philanthropique Famille Sandoz

Le projet de recherche de la Prof. Marie Kondrat « INVUES : image, littérature, théorie » est nommé lauréat du Programme FPFS Monique de Meuron pour la relève universitaire (2024-2027).

Publié le 28 mars 2024
Couverture d’un livre de Sophie Calle / Portrait de Marie Kondrat © Felix Ihmof
Couverture d’un livre de Sophie Calle / Portrait de Marie Kondrat © Felix Ihmof

La Fondation Philanthropique Famille Sandoz (FPFS) soutient des projets contribuant au développement d’un monde plus créatif, équitable et pérenne dans les domaines de la culture, de la formation, de l’éducation, du social, de la santé, de l’environnement et de l’humanitaire.

Cette année, le projet de recherche de la Prof. Marie Kondrat « INVUES : image, littérature, théorie » est nommé lauréat du Programme FPFS Monique de Meuron pour la relève universitaire (2024-2027).

Grâce au financement obtenu, une équipe de jeunes spécialistes en intermédialité rejoindra la Section de français et le Centre interdisciplinaire d’étude des littératures de la Faculté des lettres de l'Université de Lausanne dès la rentrée prochaine.

Marie Kondrat est la troisième chercheuse de la Faculté des lettres à recevoir ce prix, succédant à ses collègues Benoît Turquety (2015-2018), et François Vallotton (2002-2006).

Mme Kondrat, au nom de la Faculté des Lettres, toutes nos félicitations pour cet accomplissement ! Quels ont été vos premiers sentiments à l'annonce de cette bonne nouvelle ?

Cela m’a fait sourire car l’invu n’a jamais été aussi visible ! Cela fait quelques années que je songeais à fonder un groupe de réflexion autour de ces questions, je suis contente que cette idée se soit concrétisée aussi rapidement. Je suis surtout fière que cette prestigieuse distinction ait été attribuée à un projet de recherche en lettres, et plus précisément en littérature comparée et en intermédialité, qui sont mes deux principaux domaines.

Racontez-nous les prémisses de ce projet.

En tant que comparatiste, je me concentre sur les interactions entre la littérature et les arts visuels. L'une des questions qui m’intéresse est de savoir quelle place devrait être accordée à l'appareil théorique des arts visuels, et notamment du cinéma, lorsqu’on commente un texte — qu'il soit fictionnel, documentaire ou essayiste.

Je m'intéresse à la manière dont ce que nous appelons la civilisation de l'image a pu influencer le discours critique sur l'écriture narrative et sur l'expérience de la lecture tout au long du XXe siècle, avant, et jusqu'à aujourd'hui. Je cherche ainsi à défendre une certaine approche de la littérature, soucieuse des transformations sociétales et de la place du visible — du spectaculaire si l’on veut — dans ce processus.

Ce projet a une forte dimension expérimentale puisqu’il s’agit de travailler sur des outils polyvalents pour analyser les formes d'art à l'intersection du verbal et du visuel. On peut dire qu’il s’agit d’une conviction qui me guide : la nécessité de mener un travail sur les mots de la théorie, sur les notions théoriques, qui peuvent s'appliquer aussi bien aux textes qu'aux films, aux essais et à d’autres formes qui combinent les mots et les images. Je travaille beaucoup sur des œuvres, mais ce sont souvent des notions qui constituent le fil conducteur de mes travaux. Par exemple, dans mon séminaire de ce printemps je fais intervenir une monteuse, Myriam Rachmuth, qui parlera de son métier et des logiques qui animent son travail : je pressens une grande résonance avec l’expérience du montage à la lecture des textes dits « montés » par des écrivains et écrivaines.

Vous dites être particulièrement fascinée par la notion de « hors-champ », qui justement, n’est pas visible. Que vous évoque-t-elle ?

À un moment donné, toutes mes interrogations ont convergé vers ce mot : le hors-champ. Il désignait un lieu où je pouvais me reconnaître en tant que lectrice et en tant que spectatrice. Plus largement, ce terme renvoyait à des situations de toutes sortes — que ce soit dans une salle de cours ou dans la rue — où la conscience de ce qui manque comptait autant que ce qui était présent. À mon sens, le hors-champ saisit un paradoxe de notre époque qui accorde beaucoup d'importance au visible et à la présence. Ici, je ne parle pas seulement des arts visuels, mais d'un contexte culturel global où il n'y a pas un ou une spécialiste de la littérature qui puisse faire économie de l’abondante production audiovisuelle.

Et de manière plus concrète, comment se déroulera le projet de recherche ?

Je l’ai conçu comme une enquête et comme un laboratoire sur les injonctions à la visibilité. D’abord la question du pourquoi de la visibilité : de quelle manière peut-elle, ou non, devenir un horizon commun pour tous et toutes ? Il n’est pas difficile de critiquer l’hyper-visibilisation comme stratégie commerciale, au sens de présence visuelle des artistes ou des intellectuels dans les médias, mais lorsque le terme intervient comme levier des politiques d’ « affirmative action » ou même pour analyser les hauts lieux de reconnaissance symbolique, il ne peut simplement être opposé à l’« invisible ». Je pense notamment aux cas où la question de l’absence est intégrée dans l’élaboration de l’œuvre, comme c’est le cas de Sophie Calle, artiste certes très « visible » dans toute la polysémie du terme, mais qui détourne à mon sens l’exhortation à se montrer et à faire un récit de soi.

Je voudrais qu’on puisse imaginer des outils pour dépasser cette opposition entre visible et invisible, tout en interrogeant les mécanismes par lesquels elle se constitue. Mon équipe fera notamment une recherche spécifique sur un vocabulaire conceptuel issu de métaphores visuelles (notamment le « regard » ou le « point de vue » et même le terme « visible ») et les métaphores vocales (la notion de voix et de son caractère abstrait ou au contraire incarné) dans les discours critiques de la culture, dans la littérature et dans d’autres arts.

Pour terminer, quelle place envisagez-vous pour le projet au sein de vos activités d'enseignement et de la société au sens large ?

À moyen terme je cherche à stimuler le débat sur les parties cachées de l'œuvre de certaines artistes et sur la manière dont elles expriment le refus même d'être visibles, soit revendiquent une certaine non-visibilité, mais dans une démarche active. Elles sont vraiment nombreuses, je ne vois aucun intérêt à citer des noms propres ; mais je dois admettre que dans la plupart de cas leur geste de refus est indissociable de l’organisation même et de la structure des sphères où elles travaillent. Je propose d'utiliser le terme d'invu pour décrire ces phénomènes : il permet d’emblée de se situer aux confins de la visibilité comme ordre sensible, qui a une histoire, et comme idéal social, mais sans pour autant quitter immédiatement son terrain.

Mais comme je disais à l’instant, ce terme nous mène aussi vers des œuvres d'art fondées sur le manque ou la porosité — dans la mesure où elles sont inséparables de la syntaxe sociale. Sur ce point, conduire ce projet à Lausanne est particulièrement intéressant pour moi, pour la présence d'importantes institutions artistiques — notamment lorsqu'il s'agit de partager ces outils avec nos étudiantes et étudiants en littérature comparée, et même avec un public plus large de plus en plus attentif aux questions de la transmission du canon et des formes créatives de l’agir.


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