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Les statistiques d’accident à vélo : enjeux et limites

Les accidents à velo sont à l'origine de souffrances et représentent un frein majeur à l'essor du vélo. Mais quelles situations se cachent derrière ces accidents ? Que disent ces chiffres sur la sécurité à vélo, et que ne nous disent-ils pas ?

Publié le 17 avr. 2024
© AefU
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1. Les questions soulevées par les statistiques d’accidents à vélo

En 2022, les accidents à vélo ont provoqué 42 tués, 1329 blessés graves et 1371 blessés légers en Suisse (BPA, 2023). Le manque de sécurité est une problématique très importante qui est à l’origine de souffrances et qui représente aussi un frein majeur à l’essor du vélo. Mais quelles situations se cachent derrière ces accidents [1] ? Que disent ces chiffres sur la sécurité à vélo, et que ne nous disent-ils pas ?

Cet article discute des enjeux des statistiques d’accident à vélo et met en évidence leurs limites. Pour ce faire, nous décrivons tout d’abord comment ces données sont collectées et comment les accidents sont catégorisés. Sur cette base, quatre limites des statistiques d’accident sont mises en évidence : une causalité simplifiée ; l’absence de prise en compte des spécificités du vélo ; une mesure imparfaite de la sécurité ; une vision négative des cyclistes. Nous concluons en identifiant des pistes pour une nouvelle approche de la sécurité à vélo.

2. De la saisie des données d’accident aux « causes principales »

Les données d’accidents sont collectées par la police et transmises à l’Office Fédéral des Routes (OFROU). Sur les lieux de l’accident, la police remplit un constat selon un protocole précis, le procès-verbal d’accident de la route. Il se compose de 3 feuillets : le feuillet « accident » décrit la situation, le feuillet « objet » les véhicules impliqués, et le feuillet « passagers » l’identité des personnes, leur état de santé, etc.

Trois types d’accident sont distingués : les « collisions » impliquant un « usager antagoniste » (43% vélo, 35% VAE), les « pertes de maîtrise » qui ne concernent, du moins au moment de la chute, que la personne à vélo (54% vélo, 62% VAE) et une catégorie « autre » (3% vélo, 3% VAE) (BPA, 2023). Cette dernière comprend les collisions avec un animal ou encore l’emportierage (chute d’un-e cycliste en raison de l’ouverture d’une portière).

Le procès-verbal demande ensuite d’attribuer la responsabilité de l’accident. Les pertes de maîtrise sont automatiquement imputées à la personne qui a chuté. Pour les collisions impliquant un cycliste, le responsable principal est l’usager antagoniste, généralement au volant d’un véhicule motorisé, dans les deux tiers des cas et même dans 94% des collisions dans les carrefours giratoires (Transitec, OUVEMA et BPA 2023).

La police identifie ensuite une cause principale parmi une liste prédéfinie : état de la personne ; comportement de la personne ; véhicule ; infrastructure et influence externe ; cause inconnue. Le comportement fautif d’une personne peut renvoyer à l’inattention/distraction, la vitesse, l’utilisation inadéquate du véhicule, le refus de priorité ou encore à l’alcool.

Les causes des pertes de maîtrise ou chutes sont le plus souvent l’inattention/distraction (19 % à vélo, 20% en VAE), l’alcool, (16 % et 16%), la vitesse (13% et 12%) et l’utilisation inadéquate du véhicule (10% et 11%). Le reste, soit plus de 40% des cas, est classé dans la catégorie « autre ». Celle-ci regroupe notamment l’état de l’infrastructure qui ne constitue la cause principale que dans 6 % des cas mais avec une définition très restrictive comme le passage de rails à angle aigu ou le mauvais état de la route (huile, nids de poule, etc.).

3. Les limites des statistiques d’accidents à vélo

Causalité simplifiée
Une première limite du procès-verbal d’accident est de se focaliser sur la responsabilité des usagers. Ceci se justifie par son but premier qui est de déterminer la responsabilité à des fins d’assurance ou juridiques (qui doit être amendé ? qui doit payer ?) mais limite la compréhension des accidents.

Ensuite, les raisons retenues dans la nomenclature mènent à une simplification des causes d’accident. Que signifie une vitesse trop élevée à vélo ? Et un manque d’attention ? Un-e cycliste accaparé-e par son smartphone ou faisant face à une situation complexe due au manque d’infrastructure et à la cohabitation forcée avec les voitures ? En se focalisant sur le dernier facteur, cette approche néglige la complexité des accidents et la chaîne de causalité qui les provoque (rôle de l’infrastructure et des conditions de circulation, implication indirecte d’autres usagers, etc.).

Absence de prise en compte des spécificités du vélo
Les cyclistes, comme les automobilistes, sont tenus de rester maître de leur véhicule et de s’adapter aux conditions de circulation (LCR art. 31 et 32). Or, les caractéristiques du vélo et de la voiture sont fondamentalement différentes, notamment par une plus grande vulnérabilité du premier. Mais surtout, la voiture bénéficie d’un réseau routier complet et entretenu. Les besoins des automobilistes ont été intégrés dans la définition de la largeur des routes, la courbure des virages, les limitations de vitesse, le traitement des bordures, etc.

Les statistiques d’accident se basent sur l’hypothèse implicite qu’étant donné la qualité des infrastructures routières, un accident ne peut s’expliquer que par l’erreur humaine. Or, il est difficile d’appliquer telle quelle cette logique aux cyclistes. Le réseau cyclable est très lacunaire, les aménagements rares et pas toujours sécuritaires et les cyclistes doivent le plus souvent faire leur place dans une infrastructure destinée aux besoins des automobilistes.

Mesure imparfaite de la sécurité à vélo
Le nombre d’accidents n’est pas un indicateur suffisant de la sécurité à vélo. Premièrement, ce nombre doit être rapporté à l’« exposition au risque » comme le nombre de kilomètres parcourus ou d’heures passées à vélo. Sans cette exposition, il n’est pas possible de comparer les modes de transport, régions, pays ou périodes. Les communiqués de presse sur les accidents impliquant les vélos à assistance électrique négligent généralement la forte croissance de leur nombre et des kilomètres parcourus. Il est vrai que les données manquent : le Microrecensement Mobilité et Transport fournit des données tous les 5 ans mais avec une marge d’erreur non négligeable [2].

Ensuite, les accidents ne sont pas tous annoncés à la police, en particulier lorsqu’ils n’entraînent pas de conséquences graves. On estime ainsi que 90% des accidents impliquant des cyclistes ne seraient pas répertoriés. Qui plus est, nombre de situations dangereuses ne débouchent pas sur un accident (les presqu’accident). Les enquêtes auprès des cyclistes en Suisse montrent également un sentiment d’insécurité très fréquent et une insatisfaction quant aux conditions de circulation.

Vision négative des cyclistes
Enfin, la manière de construire les statistiques et surtout de les communiquer influence l’image du vélo et des cyclistes dans la société. En se concentrant souvent sur les facteurs individuels, les statistiques tendent à exagérer la responsabilité des cyclistes et à les dépeindre comme incompétents (chutes auto-provoquées, absence de maîtrise). Les mots employés – « perte de maîtrise » ou « Selbstunfall » en allemand - renforcent cette impression. Ce « victim blaming » est particulièrement présent dans les campagnes de sécurité routière avec des messages de prévention moralisateurs, axés sur la responsabilité individuelle (port du casque ou de gilets réfléchissants, attitude défensive), omettant la responsabilité des autres usagers de la route.

4. Vers un changement de perspective

Les statistiques d’accident renvoient à des définitions et méthodes qui contribuent à une vision individuelle de la sécurité routière. Or, dans ce domaine, un changement de paradigme vers une vision systémique est urgent. La vision actuelle considère le fait de se déplacer à vélo comme un choix individuel, voit dans les comportements individuels la cause des accidents mais aussi leur solution (port du casque, vêtements clairs, etc.).

Une vision systémique prend quant à elle comme point de départ la nécessité d’améliorer la sécurité des déplacements à vélo tout en visant à développer cette pratique étant donné ses avantages environnementaux, sociaux et économiques. Elle reconnait que les usagers, quel que le soit leur mode, sont faillibles et qu’il est nécessaire d’agir en amont.  Les accidents ne relèvent pas de la seule responsabilité des individus mais sont le symptôme d’un dysfonctionnement de la voirie.

Une telle perspective a pour objectif de rendre la pratique du vélo sûre en éliminant une partie des dangers par la séparation des flux motorisés et cyclistes, par des itinéraires intuitifs et par des infrastructures qui tolèrent les erreurs et en minimisent les conséquences. Il s’agirait ainsi de compléter les mesures visant les individu (comportement, formation, équipement) par des solutions collectives et structurelles (infrastructures et aménagements).

 

Cet article a été publié en allemand dans OEKOSKOP - Revue des médecins en faveur de l’environnement (AefU), 24(1).

Dimitri Marincek, Patrick Rérat

 

 

Notes

[1] Le terme « accident » a été banni par le British Medical Journal car il est vague et sous-entend que ceux-ci seraient inévitables ou dus au hasard.

[2] Dans l’édition de 2015, seuls 4000 km en VAE étaient renseignés par les 60'000 personnes interrogées sur leur mobilité le jour précédant.

 

Références

BPA (2023). Sinus 2023 – niveau de sécurité et accidents dans la circulation routière en 2022.

Transitec, OUVEMA et BPA (2023). Situation en matière de sécurité du trafic cycliste sur les routes et les carrefours. OFROU.

 

 


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