Découvrez l'interview de Matthieu Niederhauser, qui a soutenu avec succès sa thèse de doctorat, explorant la mise en œuvre du droit international au niveau infranational en Suisse.
Quel est le parcours qui vous a amené à réaliser une thèse de doctorat ?
Après avoir étudié les relations internationales, la géopolitique, et le droit international, j’ai d’abord fait un stage au Département des affaires étrangères (DFAE), puis j’ai travaillé au siège du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Genève. Réaliser une thèse de doctorat a toujours été une option dans ma tête, mais jamais une nécessité. Une annonce pour un poste de doctorant au sein d’un projet interdisciplinaire en science politique et en droit a attiré mon attention, et c’est ainsi que j’ai commencé.
Comment en êtes-vous venu à étudier ce sujet ?
Mes expériences professionnelles m’avaient fait réaliser que le droit international n’était pas grand-chose sans la collaboration des états pour le respecter. En Suisse, et dans les états fédéraux en général, il faut aussi pouvoir compter sur la collaboration des cantons (ou autres entités infranationales). Cette question était très peu étudiée et c’était l’objet du projet « Bypassing the Nation State? How Swiss Cantonal Parliaments Deal with International Obligations », que j’ai rejoint. Le sujet général de la thèse était donc décidé à mon arrivée, mais j’ai pu en choisir les questions spécifiques.
Sur quoi porte votre thèse ?
Ma thèse étudie la mise en œuvre de deux instruments de droit international en Suisse: la Convention d'Istanbul sur la violence domestique et le droit de l’UE sur la protection des données. J’observe principalement leur mise en œuvre dans quatre cantons suisses : Genève, Neuchâtel, Zurich et Schwytz. Ce nombre de cas limité me permet d’étudier les processus de mise en œuvre en profondeur, et d’avoir une forte composante comparative dans ma thèse. Je m’intéresse aux différents acteurs infranationaux impliqués dans cette mise en œuvre et je compare notamment les rôles des administrations et des parlements cantonaux.
Quels ont été les apports de votre thèse ?
La thèse montre que dans un État très décentralisé comme la Suisse, les autorités fédérales ont peu de moyens pour garantir que les entités infranationales mettent effectivement en œuvre le droit international. Je démontre que la mise en œuvre dépend fortement de quelques fonctionnaires spécialisés, comme les délégués à la violence domestique, et les préposés cantonaux à la protection des données. Dans le cas de la protection des données, la capacité des préposés à « techniciser » la mise en œuvre, permet d’en garantir une issue rapide à travers les sphères administratives, alors que dans le cas de la Convention d’Istanbul, les processus sont plus politiques et passent notamment par les parlements cantonaux. Les parlementaires cantonaux peuvent donc parfois jouer un rôle, par exemple pour mettre la mise en œuvre de traités à l’agenda politique, mais ce rôle reste marginal. Par ailleurs, je montre que la mise en œuvre n'est pas seulement un processus rigide descendant, mais peut se produire de manière ascendante, par le biais d'une variété d'acteurs infranationaux, qui sont classifiés en une typologie d’intermédiaires. En observant les rôles et motivations des fonctionnaires spécialisés dans la mise en œuvre, je démontre qu’ils soutiennent généralement les objectifs des instruments internationaux. Malgré cela, on observe régulièrement une mise en œuvre partielle ou tardive du droit international, qui s’explique notamment par des facteurs contextuels infranationaux (les cantons avec des représentants des partis de gauche au pouvoir et/ou possédant une grande administration sont généralement plus rapides dans la mise en œuvre). Ma thèse démontre enfin que l’ajout d’un niveau de gouvernance (infranational) augmente les retards dans la mise en œuvre.
Quel a été votre expérience de thèse ?
Ayant réalisé ma thèse dans le cadre d’un projet FNS, j’ai eu la chance de pouvoir beaucoup échangé avec les divers membres de l’équipe, ce qui m’a permis d’apprendre des autres et de ne pas mener ma thèse de manière trop solitaire (même si le COVID en a certainement altéré l’expérience en limitant les échanges au sein de l’Institut). Le fait de travailler avec des chercheurs et chercheuses d’autres disciplines présentaient certainement des défis : il était difficile de se mettre d’accord sur les questions de recherche auxquelles on devait répondre. Cependant, je pense que cette expérience a finalement fait grandir tous les membres de l’équipe et nous avons réussi à mener à bien de nombreuses publications. J’ai aussi eu la chance de faire une mobilité de six mois à l’University College London (UCL). Enfin, je suis heureux d’avoir pu avoir des échanges (professionnels et personnels) très riches avec de nombreux collègues de l’Institut, et plusieurs sont devenus des ami.e.s