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Pousser la recherche grâce à l’intelligence artificielle, mais sans brider la créativité

Marianna Rapsomaniki est la plus récente professeure à avoir rejoint le Centre de la science des données biomédicales du CHUV et de l’UNIL. Spécialiste en intelligence artificielle et ardente promotrice d’un leadership empreint d’empathie, elle veut développer des solutions innovantes pour dévoiler des mécanismes biologiques complexes. Son cheval de bataille : l’oncologie.

Publié le 09 sept. 2024
© Gilles Weber, CHUV 2024

Nombreux·euses sont les scientifiques qui scrutent avec un certain scepticisme l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) dans la recherche. Certes, il y a de quoi s’inquiéter en pensant aux données falsifiées, aux publications écrites par ChatGPT, ou encore aux études entièrement inventées de manière si parfaite qu’elles échappent même à la révision la plus rigoureuse par des pairs humains.

«L'IA devrait servir à automatiser les tâches banales, tout en préservant les éléments créatifs de la science», estime Marianna Rapsomaniki, bioinformaticienne et depuis le 1er mars 2024 professeure assistante en prétitularisation conditionnelle à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. L’équipe de recherche qu’elle dirige au sein du Centre de la science des données biomédicales (BDSC) du CHUV et de l’UNIL s’appelle «IA/ML pour la biomédecine». Son but est de développer des modèles d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique (machine learning, ML) pour augmenter l’analyse des données biomédicales complexes. Rencontre.

De l’ingénierie en Grèce vers les sciences de la vie en Suisse

Arrivée en Suisse en 2010 grâce à une Bourse d’excellence de la Confédération suisse obtenue pour son projet doctoral conjoint entre l’Université de Patras (Grèce) et l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), Marianna Rapsomaniki a emprunté un chemin sinueux. Née sur l’île grecque de Corfou, elle est la première dans sa famille à poursuivre une carrière académique. Ses parents ont insisté pour qu’elle étudie «quelque chose de renommé – comme la médecine, le droit, ou les sciences dites “dures”. Ces disciplines sont très compétitives en Grèce, raconte-t-elle. Je ne supporte pas trop de voir du sang, la médecine n’était donc pas une option. Mais j’ai toujours aimé les mathématiques et la biologie, c’est pourquoi je me suis orientée vers les sciences naturelles.» Ses notes à l'école lui ont permis de rejoindre l'Université de Patras pour apprendre l'ingénierie informatique.

Mais les premières années d’études n’étaient pas faciles. «Je n’ai pas trouvé ma place. L’ingénierie manquait pour moi de vision sur l’application aux êtres vivants. En plus, c’est un domaine encore très dominé par les hommes. J’ai eu de la peine à me projeter dans le futur», admet la scientifique. Tout cela change lorsqu’elle doit choisir un projet de mémoire pour son Bachelor. «Une chercheuse était venue nous présenter ses travaux en bioinformatique. J’ai vu ces trois lettres B-I-O et mes yeux se sont illuminés. De plus, c’était une jeune femme qui faisait de la recherche! J’ai su à cet instant que c’était ce que je voulais faire.» Après un Master en bioinformatique, elle entame donc une thèse portant sur l’utilisation des modèles mathématiques combinant des événements aléatoires et des comportements prévisibles pour étudier les systèmes biologiques complexes, qu’elle mène entre un laboratoire de biologie moléculaire à l’Université de Patras et un groupe de recherche en automatisation à l’EPFZ.

Académie – industrie: voyage aller-retour

Doctorat en poche, Marianna Rapsomaniki poursuit sa carrière de chercheuse chez IBM Research Europe à Zurich. C’est là qu’elle se penche sur l’oncologie, grâce à plusieurs projets autour de l’analyse des données complexes du cancer de sein. La plupart d’entre eux sont menés en collaboration avec des partenaires universitaires, et c’est le défi de développer des solutions computationnelles à des questions médico-biologiques qu’elle apprécie le plus.

Pourquoi retourne-t-elle au monde académique? «Je voulais être plus proche de la source des données, pour ainsi dire», explique la scientifique. En mars 2024, Marianna Rapsomaniki intègre le BDSC, situé justement à l’interface entre clinique et recherche. «Lausanne est un hub majeur au niveau mondial pour la recherche oncologique de pointe», s’enthousiasme-t-elle.

Avec son équipe, elle suit deux axes de recherche: développer des méthodes innovantes d’IA pour répondre à des questions de recherche existantes (comme le VirtualMultiplexer, un modèle d’IA permettant de créer des colorations de tissus virtuelles, travail récemment publié dans Nature Machine Intelligence), et collaborer avec d’autres scientifiques pour appliquer ces méthodes à des projets visant à obtenir de nouvelles connaissances sur les systèmes biologiques complexes, tels que le microenvironnement des tumeurs. «C’est là où l’IA peut être utilisée à bon escient», en est-elle convaincue.

Lutte pour l’avancement des femmes dans la science

Jeune femme, académiquement accomplie dans un domaine à prédominance masculine, avec une vie qu’elle mène entre Zurich et Lausanne, tout en s’occupant de son fils de cinq ans, Marianna Rapsomaniki peut faire figure de Wonder Woman. Mais pourquoi a-t-on toujours envie de mettre cela en évidence comme quelque chose d’extraordinaire?

À ce sujet, la chercheuse a des choses à dire. Et elle les dit sans hésiter: «Les femmes se portent très bien dans les sciences – jusqu’au moment où elles tombent enceintes.» Pour la professeure, il est évident qu’il faut des mesures concrètes pour réellement aider les femmes à avancer leurs carrières: «Pourquoi n’est-il pas possible de mettre à disposition une garde d'enfants aux congrès? Un soutien financier pour que nos partenaires puissent nous accompagner lors de voyages professionnels pour s’occuper des enfants? Ce sont des éléments qui feraient vraiment la différence.»

La prochaine génération de leaders académiques

La jeune professeure se fatigue un peu des discours courants sur la manière dont les femmes devraient se comporter pour renforcer leur position. «Les caractéristiques masculines sont souvent citées comme des qualités de dirigeant·e. On m’a dit que j’avais trop d’empathie. Mais je ne suis pas d’accord, je pense que nous avons justement besoin de plus de leaders qui comprennent les situations difficiles et qui ont la sensibilité d’agir tout en considérant les besoins des autres.»

Lorsqu’on lui demande qui est la personne qui l’a le plus marquée dans sa carrière, elle répond immédiatement: «C’est Zoi Lygerou, ma directrice de thèse. Elle m’a soutenue dès la première minute et j’ai énormément appris d’elle - sur le plan professionnel, mais aussi personnel. Sa porte était toujours ouverte, et nous sommes restées en contact ; quand j’ai des doutes, je me pose toujours d’abord la question “Qu’aurait fait Zoi ?”», raconte Marianna Rapsomaniki, soulignant l’importance de rôles modèles. Une philosophie qu’elle adopte également avec son équipe. À Lausanne, elle a l’intention de continuer à jouer ce rôle pour la prochaine génération de leaders académiques féminines.

>> Lire le communiqué sur la dernière publication de la Pre Rapsomaniki en anglais, en français et en allemand sur EurekAlert!

>> Lire le communiqué de presse de l'Université de Berne (en allemand)


Article scientifique
Pati, P., Karkampouna, S., Bonollo, F., et al. Accelerating histopathology workflows with generative AI-based virtually multiplexed tumour profiling. Nature Machine Intelligence (2024) https://doi.org/10.1038/s42256-024-00889-5

 

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