Maria Stavrinaki (Section d’histoire de l’art) obtient un financement pour son projet libre consacré à l’appropriation et la reconstruction de l’histoire de l’art par les artistes après la Deuxième Guerre mondiale.
Projet
Après la Deuxième Guerre mondiale, l’appropriation et la reconstruction par les artistes des discours, des manières et de la technologie de l’histoire de l’art forment une nouvelle épistémè aux facettes esthétiques, épistémologiques et politiques. Au moment où l’art se rapproche des multiples domaines de la recherche en sciences humaines et sociales ainsi que des sciences de la nature, leur appropriation de la discipline de l’histoire de l’art offre aux artistes une autoréflexivité accrue, qui va bien au-delà du formalisme et s’interroge sur les modes, les idéologies et les conséquences de l’écriture de l’histoire. Cette entreprise critique est souvent informée par des disciplines comme l’archéologie ou l’anthropologie, qui ont pu développer un rapport conflictuel avec l’histoire, jusqu’alors souveraine mais grandement fragilisée dans un monde globalisé aux multiples temporalités.
Dans une époque marquée par une accumulation inédite de « données », les artistes commencent à constituer leurs archives personnelles de reproductions d’œuvres d’art qu’ils et elles organisent et classifient par milliers. Ces archives se présentent souvent comme des « musées imaginaires », réalisés grâce à une multitude de médiums et de dispositifs comme la mise en exposition ou la projection. Cette dernière, notamment à travers les diaporamas, est aussi centrale dans l’élaboration des « musées imaginaires » que dans les conférences-performances ou l’enseignement de l’histoire de l’art par les artistes. L’un des thèmes principaux du monde de l’après-guerre est l’obsolescence de l’écriture au profit de l’image et de l’oralité : les « conférences » des artistes-historien·ne·s de l’art combinent ces deux techniques de communication, en faisant de la culture lettrée le substrat d’une civilisation en mutation, qui invente ses nouveaux mediums et medias. Des catégories stylistiques constitutives de la discipline, comme le maniérisme et le baroque, sont aussi systématiquement utilisées et transformées par les artistes. Ce qui n’exclut pas le recours à des échelles spatiotemporelles plus imposantes, telles que celles de l’art non-occidental, depuis l’Amérique précolombienne jusqu’à l’Asie du Sud. Enfin, les artistes s’approprient l’écriture du livre d’histoire de l’art, quitte à le substituer à l’œuvre d’art en tant que telle.
La thématique de L’artiste en historien de l’art autorise des hypothèses intéressantes sur les régimes d’historicité de l’art et de l’histoire de l’art (périodisation, plasticité anachronique, esquisse d’une temporalité posthistorique). L’histoire de l’art écrite, montrée, projetée, proférée, performée et exposée par les artistes sera étudiée dans sa généalogie, ses contradictions constitutives (entre objectivité et fictionnalité) et ses stratégies de légitimation. Ce projet se fonde sur une approche pluridisciplinaire, forgeant ses hypothèses et constituant son savoir grâce à des acquis issus de l’histoire, de la philosophie, de l’anthropologie, ainsi que de l’histoire des sciences et de la sociologie. Il procède de l’observation attentive aussi bien des textes que des pratiques, des œuvres d’art et des dispositifs technologiques, performatifs et muséographiques qui, ne se limitant pas à organiser les œuvres d’art, vont jusqu’à s’y substituer.
Le travail sera fondé sur une étude de l’historiographie, des enquêtes dans les archives et des entretiens. Les résultats seront diffusés sous la forme de publications, d’une base de données et d’une exposition.
Direction du projet
Équipe de recherche
Durée du projet