Lionel Marquis & Ursina Kuhn, "Causal attributions of poverty. The influence of individual characteristics and the fatalistic Zeitgeist"
Les « attributions causales de la pauvreté » renvoient aux différentes manières dont les citoyens ordinaires expliquent les causes de la pauvreté. Nous utilisons les données longitudinales du Panel Suisse de Ménages de 2019 à 2021, qui incluent une classification quadripartite des attributions de la pauvreté distinguant entre la responsabilité individuelle (« paresse »), la fatalité individuelle (« malchance »), la responsabilité sociale (« injustice sociale ») et la fatalité sociale (« inévitabilité »). Chaque explication est mesurée de manière séparée, permettant ainsi aux répondantsd’exprimer une position ambivalente. Notre analyse procède en trois étapes. En premier lieu, nous décrivons l’évolution temporelle des attributions de la pauvreté au niveau de la population totale. Alors que trois des quatre types d’attribution (i.e., paresse, injustice, inévitabilité) demeurent relativement stables, la progression remarquable de l’explication de la fatalité individuelle (malchance) suggère un essor du mode de raisonnement fataliste durant la pandémie de Covid-19. Deuxièmement, suivant une approche transversale, nous estimons des modèles de régression linéaire avec les quatre attributions de pauvreté des individus comme variables dépendantes. Nous adoptons une perspective large, montrant les relations entre ces attributions et les caractéristiques socio-économiques, religieuses, politiques et psychologiques des individus, ainsi qu’avec leur bien-être et les événements de vie. Ainsi, par exemple, les individus avec un niveau d’éducation tertiaire sont plus susceptibles de percevoir les personnes pauvres comme les victimes d’injustices sociales ou de coups du sort (et moins susceptibles de les blâmer pour leur paresse), en comparaison des individus avec un moindre niveau d’éducation. Troisièmement, nous examinons le changement des attributions de pauvreté au niveau individuel — un aspect largement négligé à ce jour. En contradiction avec l’idée que ces attributions sont stables, nous observons une variation substantielle à l’échelle des individus. Au moyen de modèles à effets fixes (fixed effects models), nous montrons que cette variance ne s’explique que très partiellement par les événements et les changements de conditions qui ponctuent la vie des individus. Ceci suggère que les variations dans les attributions de la pauvreté (en particulier celle de la « malchance ») sont redevables à un « esprit du temps » qu’il est difficile de saisir avec des approches causales.