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Moduler les rouages des cellules pour les comprendre

Spécialiste en biologie synthétique, Yolanda Schaerli a dans son viseur les réseaux de gènes qui orchestrent les fonctions des cellules. Mais aussi la relève scientifique.

Publié le 27 févr. 2025
Yolanda Schaerli, professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine.
Yolanda Schaerli, professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine. © Felix Imhof | UNIL

La biologie synthétique, c’est le point de rencontre entre l’ingénierie et la biologie. Derrière ce nom en apparence paradoxal se cache une discipline qui vise à comprendre les rouages internes des cellules pour les modifier et ainsi doter les organismes vivants de nouvelles propriétés.

Professeure associée au Département de microbiologie fondamentale de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’Université de Lausanne, Yolanda Schaerli est fascinée par les perspectives qu’offre la modulation du vivant grâce à l'ingénierie. «Les applications vont du traitement des déchets par des micro-organismes à la création de nouveaux matériaux, en passant par des thérapies médicales innovantes», détaille-t-elle, les yeux étincelants.

Elle aime citer le physicien américain Richard Feynman: «Ce que je ne peux pas créer, je ne le comprends pas.» Une phrase qui, selon la chercheuse, capture l’essence de la biologie synthétique. «Nous apprenons sur le fonctionnement interne de la cellule en reconstituant des parties de celle-ci, par exemple des réseaux de régulation des gènes», explique-t-elle. Pour illustrer son travail, elle recourt à une métaphore ludique: celle des Lego. «Nous assemblons et réarrangeons des briques de circuits génétiques, puis nous observons comment ces modifications influencent les cellules – et si nous parvenons à leur créer de nouvelles fonctions.»

Du Zürisee au Léman, en survolant l’Atlantique et la Méditerranée

La biologiste a débuté son parcours scientifique dans sa région natale, en Suisse alémanique. Après un master en biologie moléculaire et biochimie à l’École polytechnique fédérale de Zurich, Yolanda Schaerli s’envole pour le Royaume-Uni. À l’Université de Cambridge, elle réalise un doctorat en chimie biologique ce qui lui permet d'approfondir sa compréhension des interactions biomoléculaires et de s’initier aux outils de bioingénierie.

Son postdoctorat la mène ensuite à Barcelone, au Centre for Genomic Regulation. «C’est là que j’ai découvert la beauté des réseaux qui régulent l’expression des gènes. Le début de ma plongée dans la biologie synthétique», raconte-t-elle. De retour en Suisse, la scientifique décroche une bourse Ambizione du Fonds national suisse à l’Université de Zurich avant de franchir le Röstigraben pour rejoindre l’UNIL, en 2017, en tant que professeure assistante en prétitularisation conditionnelle. En 2023, elle est promue professeure associée.

Lumière sur les circuits génétiques

Depuis, Yolanda Schaerli consacre ses recherches aux réseaux régulateurs qui orchestrent l’expression des gènes. Son outil? Les bactéries. «Faciles à modifier génétiquement», remarque-t-elle avec un sourire complice. La construction de circuits dans un organisme simple permet ensuite de comprendre les principes à l'œuvre dans des organismes plus complexes, tels que les cellules humaines.

Elle s’intéresse particulièrement à la dynamique du contrôle de l'expression des gènes dans le temps et l’espace. «Les oscillations temporelles et la formation de motifs spatiaux au sein des tissus sont des phénomènes fascinants. Ils jouent un rôle clé dans beaucoup de processus biologiques, par exemple dans le développement des organismes où c’est crucial d’allumer et d’éteindre l’activité des gènes à des moments précis.» Ces motifs donnent par exemple des instructions de positionnement aux cellules – un processus essentiel à la formation des organes.

Yolanda Schaerli et son équipe ont apporté une avancée majeure dans l'étude de ces mécanismes génétiques: l’utilisation de CRISPR-CasI (CRISPR interference) pour reconstituer précisément de réseaux de gènes. Contrairement à CRISPR-Cas9, qui a beaucoup fait parler de lui ces dernières années et qui coupe l’ADN, CRISPR-CasI agit comme un interrupteur. En utilisant une protéine Cas qui se fixe à l’ADN, cette méthode permet de bloquer temporairement l’expression de gènes sans les modifier. «Avant, nous étions limités à l’ingénierie de réseaux composés de trois gènes interconnectés. Grâce à cette technologie, nous pouvons désormais construire des circuits plus complexes», se réjouit la chercheuse.

Cette découverte reste fidèle à la vocation première de la biologiste: la recherche fondamentale. Car même si les applications pratiques de la biologie synthétique sont nombreuses, Yolanda Schaerli insiste: «Mon objectif principal est de programmer ces réseaux génétiques chez les bactéries.» À l’avenir, elle aimerait néanmoins étendre ses explorations à des perspectives plus appliquées, par exemple à travers ses collaborations au sein du Pôle de recherche national Microbiomes.

Le mentorat au cœur de la mission académique

Sur une étagère au-dessus de son bureau trônent deux trophées, témoins d’une autre facette de l’engagement de la professeure: la transmission du savoir. En 2022, elle reçoit le Outstanding Undergraduate Teaching Award de la FBM pour l'enseignement qu’elle donne aux étudiant·es de Bachelor en biologie. Deux ans plus tard, en 2024, elle est récompensée par le Outstanding Mentoring Award –  In recognition for her exceptional contribution to the training of young talents and for her commitment to the new generation of academics. «C’est une belle reconnaissance, ça montre que le mentorat n'est pas réservé aux professeur·es plus avancé·es dans leur carrière», confie-t-elle.

En effet, la biologiste dédie une grande partie de son activité à la relève académique. Depuis 2020, elle encadre des étudiant·es lors du concours international de biologie synthétique iGEM (International Genetically Engineered Machine), compétition qui encourage à développer des projets innovants pour répondre à des défis concrets. Parmi les projets développés par les équipes de la FBM: En 2021, inspiré·es par les vergers valaisans, les étudiant·es développent des méthodes pour protéger les fleurs d’abricotiers du gel (Aprifreeze). En 2024, un autre groupe explore des stratégies pour lutter contre les guêpes invasives (V.E.S.P.A.). «Les idées viennent toujours des étudiant·es. On brainstorme ensemble, mais ce sont elles et eux qui prennent les décisions», précise la professeure.

Tout au long d’une année académique, les étudiant·es conçoivent, pipettent et analysent. Mais la vulgarisation scientifique joue également un rôle clé dans le concours. À travers un site web, les jeunes chercheur·euses expliquent leurs démarches à un large public, développant ainsi leur capacité à communiquer la science de manière claire et visuelle.

Année après année, les équipes encadrées par Yolanda Schaerli accumulent les distinctions: médailles d'or, prix du meilleur projet Alimentation et nutrition pour Aprifreeze, ou encore récompense pour la meilleure mesure témoignent de l'originalité et de la rigueur de leurs travaux. «Ce qui nous manquent encore c’est la suite, j'aimerais voir un jour un de ces projets se concrétiser, peut-être en start-up», rêve-t-elle. Un espoir réaliste, plus de 250 start-ups sont nées du concours iGEM, et l’UNIL dispose d’un tremplin avec le programme UCreate du HUB Entrepreneuriat & Innovation.

Peut-être en 2025? L’équipe est déjà en place, et les cerveaux en ébullition. Avec l’enthousiasme et le soutien de leur professeure, les huit étudiant·es de bachelor et les six de master en biologie sont prêt·es à relever le défi.

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