Maître d'enseignement et de recherche à la Faculté de théologie et de sciences des religions, Jean-François Bert vient de publier une "Histoire de la fiche érudite". Cet ouvrage ouvre les portes des manufactures de la connaissance, avec de nombreuses questions à la clé.
Depuis le XVIIe siècle et jusqu’à nos jours, les lettrés ont consigné leurs notes de lecture, leurs idées, des faits glanés et des définitions utiles à leurs yeux sur des « fiches érudites ». L’histoire étonnante de ces quadrilatères de papier ou de bristol, rangés par (centaine de) milliers dans des tiroirs, des coffres et des armoires ad hoc, fait l’objet d’un ouvrage passionnant et original. Guidés par la plume alerte de Jean-François Bert, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut religions, cultures, modernité, les lecteurs s’invitent dans l’atelier des savants.
Travail manuel et routinier, parfois abrutissant, voire pathologique, la rédaction de fiches et leur organisation dans l’espace débouchent rapidement sur les questions fondamentales de la création, de la conservation et de la diffusion de la connaissance. Dans sa préface, l’historien Christian Jacob relève l’analogie entre le fichier érudit et la carte géographique : l’un et l’autre permettent de ramener un monde trop vaste à une échelle humaine, « maîtrisable par l’œil et la mémoire ».
Plusieurs débats méconnus, présentés par Jean-François Bert, ont animé la communauté scientifique ces derniers siècles. Certains semblent triviaux : quel est le meilleur format pour une fiche ? Au-delà, la qualité d’un savant se mesure-t-elle à la quantité de fiches qu’il a produites ? La production de celles-ci, et leur mise en relation par leur proximité à la fois physique et thématique dans des fichiers soigneusement classés, permet-elle le jaillissement de connaissances et d’idées nouvelles ? Ou au contraire, leur sécheresse informative, leur objectivité et leur standardisation, qui se développent dès la fin du XIXe siècle, ne débouche-t-elle que sur des recherches ennuyeuses et vaines, truffées de détails inutiles ? Est-ce que déléguer la mémoire humaine à des meubles en bois remplis de fiches, ou aujourd’hui à un smartphone et à Wikipédia, ne constitue pas un danger ? Ainsi, par l’histoire matérielle, c’est tout un pan des sciences sociales qui est mis en lumière.
A la fin de son texte, Jean-François Bert traite des méthodes de « mise en fiches » parfois sophistiquées – et informatisées – de quelques chercheurs, comme Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss, mais également Jörg Stolz, professeur à l’UNIL. Un voyage étonnant dans les coulisses de la fabrication du savoir.
Une histoire de la fiche érudite. Par Jean-François Bert. Enssib (2017), 143 p.