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Art et littérature

Devenir un traître

L’histoire de Johann Eugen Corrodi pourrait inspirer un cinéaste suisse en quête de sujets héroïques. Sauf que cet officier a été un anti-héros même pas tragique…

Publié le 17 déc. 2018

François Wisard a obtenu une licence en Lettres et un doctorat en sciences politiques à l’UNIL. Il dirige aujourd’hui le Service historique du Département fédéral des affaires étrangères et nous livre un petit récit surprenant – pas toujours facile à suivre mais l’effort en vaut la peine – intitulé Un officier suisse dans la SS (Éditions Livreo-Alphil, 2018).

Il s’agit d’abord d’une recherche historique (bibliographie et documentation en annexe) qui dessine peu à peu la figure d’un homme sans qualité. Ce médiocre Helvète était parvenu à diriger un commerce de vêtements féminins et à grimper dans l’armée suisse, pas assez cependant à son goût. Le major Corrodi se réinventa alors en comte von Elfenau, Oberführer dans cette « armée parallèle multinationale » que fut la Waffen-SS, autrement dit la troisième instance, parmi dix autres, dont les membres devaient être arrêtés selon les Alliés. Juste avant, on trouvait les dignitaires du parti national-socialiste et la Gestapo.

Actif sur le front de l’Est et en Italie, entre 1941 et 1945, Corrodi ne fut pas arrêté et contrevint à l’ordre de se rendre aux Alliés, donné par son supérieur Karl Wolff, inquiet d’une « destruction trop importante de l’Allemagne et de l’Italie du Nord » et d’une « extension de la mainmise soviétique ». Wolff avait secrètement négocié (contre les directives du Führer) cette opération Sunrise sur sol helvétique avec le chef du service de renseignements américain en Suisse. Alors chef de l’état major du général SS Wolff, Johann Eugen Corrodi, apparemment sûr de son bon droit, décida de fuir pour rentrer, le 2 mai 1945 et comme si de rien n’était, dans sa patrie.

Auparavant, il avait été impliqué dans un trafic de diamants en Italie, avait écrit pas mal d’idioties dans son journal et, surtout, avait donné des ordres en phase avec la « guerre de destruction totale » voulue par Hitler. Le livre de François Wisard relate en détail les jugements – le premier par coutumace, le dernier en octobre 1945 – que Corrodi, apparemment expert en victimisation, ne cessa de dénoncer. Le contexte analysé par Wisard est passionnant : on y découvre des personnes choquées par la légèreté de la peine infligée à ce anti-héros et d’autres banalisant l’antisémitisme à l’extrême. Car Corrodi avait donné la preuve de sa haine des juifs bien avant sa fuite en Allemagne nazie…

Il faut encore mentionner Marie-Louise. L’épouse vaudoise de Corrodi ferait elle aussi fureur (sans mauvais jeu de mot) dans un film où on la suivrait à Berlin, à Vienne et à Milan, lors de voyages effectués soi-disant pour garnir en vêtements féminins sa petite boutique suisse. Espionne de pacotille, Marie-Louise mourut neuf ans après son mari commerçant, qui décéda en 1980. Durant plusieurs années, le couple s’était tenu à carreau, après un ultime esclandre en 1948, quand Corrodi se présenta comme le général de brigade SS von Elfenau alors qu’il était venu avec sa femme séjourner dans un hôtel de Bad Ragaz. Quel cinéma !

François Wisard, Un officier suisse dans la SS, Éditions Livreo-Alphil, 168 pages.

 

 


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