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Un modèle pour déchiffrer la complexité de la régulation des gènes

Plus que les gènes eux-mêmes, comment, où et quand ils s’expriment déterminent nos traits biologiques – nos phénotypes. Si l’expression des gènes est contrôlée par de nombreux éléments de régulation, qu’est-ce qui, en fin de compte, contrôle ces derniers ? Comment les variations génétiques les affectent-elles ?

Publié le 02 mai 2019
Alexandre Reymond, professeur au Centre de génomique intégrative de la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL. © UNIL
Alexandre Reymond, professeur au Centre de génomique intégrative de la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL. © UNIL

Le projet SysGenetiX, mené par l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l’Université de Lausanne (UNIL), vise précisément à étudier ces éléments de régulation, ainsi que les multiples interactions entre eux et avec les gènes. L’objectif ? Comprendre les mécanismes qui rendent des personnes plus prédisposées que d’autres à la manifestation de certaines maladies. En étudiant les modifications de la chromatine (ou comment le génome est «empaqueté») dans les cellules d’environ 300 individus, les scientifiques genevois et lausannois ont non seulement identifié la structure même de ces éléments régulateurs, mais ils ont également pu modéliser comment leurs interactions sur l’ensemble du génome influencent la régulation des gènes et le risque de maladie. Une approche pionnière, à lire dans le journal Science, qui façonnera la médecine de précision de demain.

Emmanouil Dermitzakis, professeur au Département de médecine génétique et de développement de la Faculté de médecine de l’UNIGE, directeur du Centre de génomique Health 2030 et responsable du projet SysGenetiX, est un spécialiste de la variation génétique de la régulation des gènes. Il explique l’approche novatrice de ce travail : «Au lieu d’étudier uniquement les niveaux d’expression des gènes – une stratégie qui ne donne qu’une image partielle de la question – nous avons décidé de nous concentrer sur la chromatine, qui semble être une composante moléculaire médiatrice de la régulation.» La chromatine, un complexe fait d’ADN, d’ARN et de protéines, joue un rôle important dans la protection de l’ADN pendant les phases cruciales du cycle cellulaire. Les modifications de la chromatine agissent donc sur les effets des facteurs d’expression pour, au final, réguler l’expression des gènes. En mesurant l’activité des éléments régulateurs dans les profils de chromatine, les scientifiques ont donc pu mesurer les niveaux d’activité de la plupart des éléments régulateurs.

«Lors de précédentes études, nous avions testé notre approche dans des contextes plus ciblés,» indique Olivier Delaneau, chercheur au laboratoire du professeur Dermitzakis et premier auteur de cet article. «Cette fois-ci, nous voulions étudier les profils de chromatine sur de grands échantillons afin de comprendre, d’un point de vue populationnel, comment la variation génétique influence la variabilité de la chromatine, qui à son tour transmet cette variabilité à l’expression des gènes. Ces données nous ont permis de construire des modèles fiables des mécanismes d’activation et des réseaux de régulation pour comprendre ce qui affecte ou non l’expression des gènes.»

Les éléments constitutifs de notre génome

Grâce à l’analyse des profils de chromatine, les scientifiques ont fait une première découverte importante. «L’activité de régulation semble être organisée en blocs totalement indépendants, où les éléments régulateurs de la même région génomique sont tous soit hauts soit bas en même temps,» détaille Alexandre Reymond, professeur au Centre de génomique intégrative de la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL, qui codirige ce travail. «Comme si les  éléments régulateurs étaient en fait des sortes de blocs Lego génomiques!» D’autres équipes ont par le passé identifié des structures assez grandes – appelées «domaine associatif topologique» ou TAD – qui jouent un rôle dans la régulation des gènes. Cependant, les «blocs» identifiés ici – appelés CRD – sont de taille beaucoup plus petite, ce qui permet de définir une carte à résolution beaucoup plus fine de l’expression des gènes.

Pour comprendre leur fonction, les scientifiques ont construit des modèles spécifiques permettant de mesurer l’impact des variations génétiques sur ces structures qui augmentent ou diminuent leur activité. En incluant plusieurs centaines d’échantillons, les scientifiques ont identifié des variants génétiques qui non seulement augmentent ou diminuent l’expression des gènes, mais qui ont aussi le pouvoir de modifier la structure même de ces blocs, par exemple en divisant un bloc en deux structures complètement séparées. Ce faisant, ils modifient le paysage de la régulation, et donc l’expression des gènes.

Agir localement pour un impact global

«L’ADN n’est pas une structure bidimensionnelle. Il faut le concevoir en trois dimensions (ou plus !),» souligne Emmanouil Dermitzakis. «Selon un modèle communément accepté de la régulation des gènes, un amplificateur doit être situé près du gène, sur la même région génomique. Notre modèle montre cependant l’inverse : les éléments régulateurs peuvent en effet très bien se trouver sur un autre chromosome. En raison de la structure en 3D du noyau, qui rapproche certaines régions les unes des autres, un «dialogue» peut se produire dans n’importe lequel de nos 23 chromosomes, et donner naissance à des «hubs de régulation» affectant n’importe quel gène.»

Selon ce principe, les généticiens ont créé des modèles statistiques montrant quel variant génétique influence quel bloc de chromatine qui, à son tour, affecte plusieurs gènes sur le génome. De plus, si l’identification des mutations génétiques est relativement facile à observer, il n’en va pas de même pour les éléments régulateurs – situés dans l’ADN non-codant. «En effet, comme nous ne comprenons pas leur «grammaire», il est difficile d’identifier si les mutations auront une influence, positive ou négative. En les analysant ensemble, notre méthode permet de rechercher des variants rares dans ces régions non-codantes,» explique Olivier Delaneau. «Pour la première fois, nous proposons un cadre d’analyse des variants rares du fardeau que constituent les maladies complexes dans l’ADN non codant.»

Construire des modèles pour déchiffrer la complexité

Ces travaux, menés par les équipes des Professeurs Dermitzakis et Reymond, avec la collaboration de l’équipe du Professeur Stylianos Antonarakis à la Faculté de médecine de l’UNIGE, constituent un tournant dans l’analyse de la régulation des gènes. En incorporant la complexité du génome dans un modèle unique, les scientifiques fournissent en effet un arbre de corrélations de tous les éléments régulateurs sur l’ensemble du génome. «Chaque noeud de cet arbre peut ensuite être analysé afin de déterminer ses effets, ainsi que la variabilité de tous les éléments régulateurs situés en-dessous de ce noeud qui pourraient avoir un impact sur un phénotype donné,» indique Alexandre Reymond. Cette approche permet de réduire le nombre d’hypothèses et ouvre des perspectives entièrement nouvelles dans l’étude de l’effet de la variation génétique sur la fonction du génome. De plus, modéliser la complexité pour déterminer comment des facteurs spécifiques – génétiques ou environnementaux – contribuent au risque ou à la manifestation d’une maladie est exactement ce que signifie la «médecine de précision». «Plus nous démêlons la complexité, plus il est facile de découvrir ce que nous recherchons,» concluent les auteurs.

Ce projet s’inscrit dans le cadre de SystemsX (Initiative suisse de recherche en biologie systémique), une grande initiative de recherche publique de recherche fondamentale en biologie.

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