Chanatporn Limprapoowiwattana est docteure en science politique depuis le 24 juin dernier. Venue de Thaïlande pour préparer une thèse sur l’agriculture biologique du riz, elle revient sur plus de trois ans d’expérience au sein de l’Institut d’études politiques (IEP).
«Se connecter aux autres, et à la nature en général, c’est se connecter à soi-même.» C’est ainsi que la jeune graduée résume sa philosophie. De son objet à son terrain de recherche en passant par son expérience helvétique ou ses liens avec ses collègues et ses ami.e.s, Chana – comme elle préfère être appelée – est sans cesse dans une quête de connexion avec le monde qui l’entoure.
Un parcours transnational
Originaire de Thaïlande, Chana a décidé de postuler pour une Bourse d’excellence après une rencontre avec un membre de l’ambassade de Suisse à Bangkok, lors de l‘«International Education Fair». Elle prend alors contact avec Jean-Christophe Graz, professeur au Centre d’Histoire Internationale et d’études politiques de la Mondialisation (CRHIM) pour obtenir une lettre de recommandation. Quelque mois plus tard, il deviendra son directeur de thèse, ici à Lausanne. «Nous avons négocié et reformulé la proposition de thèse pour faire coïncider nos intérêts», glisse la jeune femme.
La voici alors partie pour la Suisse. Un pays bien connu des Thaïlandais.es, explique-t-elle. En effet, l’ancien monarque Rama IX a effectué ses études… à l’Unil! Mais au-delà des clichés de carte postale, Chana voyait là surtout l’occasion d’accéder à une forme d’immersion et de «voir comment les gens vivent en Suisse. Ce n’était pas juste pour la recherche!».
Le riz bio en Thaïlande
Sa bourse étant acceptée, Chana s’est installée en terres helvètes pour entamer sa thèse. Mais son terrain, lui, restait ancré en Thaïlande, puisqu’elle s’est intéressée notamment à la façon dont les producteur.rice.s de riz biologique de la région se situent dans le réseau mondial de cette économie, où de multiples acteur.rice.s au niveau local, national et international, entrent en jeu. «L’agriculture, plus particulièrement la production rizière, est un des premiers secteurs du pays, détaille la chercheuse. La Thaïlande est aussi un des plus gros exportateurs de riz au monde.»
Mais Chana était surtout intéressée à observer «le riz non pas seulement comme un produit, standardisé pour la vente, mais aussi comme quelque chose de plus. La nourriture reflète l’âme des gens, souligne-t-elle. Comme celle des producteurs.» C’est pourquoi elle s’est principalement penchée sur des producteur.rice.s de riz biologique, leur mentalité, et sur la façon dont ils et elles «interprètent la nourriture différemment». Aussi, comment, avec cette vision, ils et elles s’adaptent aux contraintes propres à ce milieu, entre les difficultés de rentabilité des premières années, la pression de l’environnement ou encore la variété des acteur.rice.s en interaction, comme celles et ceux qui accordent les labels de qualité.
Plus fondamentalement, Chana a analysé la façon dont ces personnes se connectent avec l’espace de leur production et avec le monde, en interrogeant notamment la place de la philosophie bouddhiste. «Le bouddhisme promeut une attention particulière au monde, au soi intérieur et au moment présent, dans le but d’obtenir cette connexion», développe-t-elle.
Déconnexion et reconnexion
Pour effectuer ses recherches, Chana s’est rendue presque deux mois sur place pour réaliser des interviews, des observations et de la recherche documentaire. «C’était intéressant de se déconnecter d’un endroit auquel je me sentais appartenir et me reconnecter avec cet espace d’une nouvelle façon. De l’observer avec un regard nouveau. J’ai beaucoup appris», relate la chercheuse.
Sur place, elle y a rencontré des spécialistes et des producteur.rice.s, avec qui elle a fait des discussions de groupe. «Quasi tout s’est déroulé comme prévu. Seul un groupe avec lequel j’avais un entretien ne s’est pas présenté, concède Chana. Il était difficile pour ces gens d’allouer du temps à ma recherche.»
Une soutenance confinée
Par chance, la doctorante a pu rendre son manuscrit, intitulé «Transnational Standardisation and the Global Production Network of Organic Rice: A Case Study of Thai Buddhist Connectivity», avant que ne soit déclaré le semi-confinement. Certes, ce dernier a provoqué pour elle beaucoup d’incertitudes, surtout concernant sa famille en Thaïlande. «Mais heureusement, j’ai eu du support financier de l’IEP et obtenu une prolongation de mon statut de doctorante. Cela m’a soulagée.»
D’ailleurs, elle ne tarit pas de remerciements pour l’institut. «J’aimerais remercier la Confédération Suisse, mon directeur de thèse le professeur Jean-Christophe Graz, l’Unil, l’IEP, le CRHIM, la fondation Erna Hamburger, la Société Académique Vaudoise, mes collègues et tous les gens qui m’ont soutenue et m’ont permis de passer ces années très spéciales à vivre dans ce très beau pays.»
Elle décrit enfin aussi le cheminement personnel qu’a constitué sa thèse. «Grâce aux espaces de travail et aux séminaires organisés par l’IEP et le CRHIM, j’ai pu tous les jours me connecter avec les gens, discuter avec les collègues et développer mon français, une si belle langue!». Une expérience qui lui est chère et qui lui remémore une citation de Nelson Mandela: «Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, le message va à son cerveau. Si vous lui parlez dans sa langue maternelle, il va dans son cœur.»