Formation aussi passionnante qu’exigeante, le MD-PhD attire de plus en plus de médecins désireux de mener de front clinique et recherche. Les points de vue de Lucia Mazzolai, présidente de la Commission MD-PhD Lausanne, et de Samuel Jones, qui effectue actuellement son doctorat dans cette filière.
Lucia Mazzolai a pris les commandes de la Commission MD-PhD en août 2020… en pleine crise du COVID. La professeure de la FBM, par ailleurs cheffe du Département cœur-vaisseaux du CHUV, a dû faire la preuve de son dynamisme et de sa pugnacité par vents contraires. Et les résultats sont là : en juillet 2022, ce sont quatre candidats présentés par la Commission MD-PhD lausannoise (UNIL et EPFL) qui ont obtenu une bourse de Berne, sur treize récipiendaires au total. Un très beau résultat, puisque la chasse aux subsides du FNS et de l’ASSM pour les médecins désireux de se lancer dans un doctorat en sciences de la vie est très compétitive.
L’angiologue reste modeste : « Nous avons avant tout un rôle de facilitateur, nous n’y sommes finalement pas pour grand-chose si nous avons les bons candidats ou candidates, avec la motivation, le bon sujet. » Reste que dès son arrivée à la présidence de la Commission, Lucia Mazzolai a compris que l’argent était le nerf de la guerre : « J’ai donc pris mon bâton de pèlerin, et j’ai négocié deux bourses MD-PhD avec l’EPFL et deux autres avec la FBM. » Quatre subsides qui s’ajoutent à ceux apparus sous la présidence d’Ivan Stamenkovic, à qui elle a succédé : une bourse de l’ISREC et la bourse Theodor et Gabriela Kummer, distribuée une année sur deux.
Dès lors, les « recalés » de Berne peuvent encore bénéficier de plusieurs bourses locales, et ce sont théoriquement une petite dizaine de doctorantes et de doctorants MD-PhD lausannois qui peuvent obtenir un subside, sans compter les financements au sein des services. « Nous effectuons un ranking de nos candidats, au nombre d’une quinzaine habituellement. Nous envoyons les cinq meilleurs à Berne, et ceux qui n’auront pas obtenu de bourses du FNS ou de l’ASSM peuvent compter sur une bourse locale, ainsi qu’une partie des viennent-ensuite », explique Lucia Mazzolai.
Sensibiliser très tôt à la recherche
Reste à trouver les bons candidats, autrement dit à susciter les vocations. « Les détenteurs d’un MD-PhD sont la relève de demain pour les hôpitaux universitaires qui ont des ambitions académiques. Plus globalement, ils sont l’avenir de la médecine, de la santé publique. » Avoir un MD-PhD ouvre aussi beaucoup de portes.
Mais il faut sensibiliser très tôt les étudiantes et les étudiants en médecine à la recherche, dès la seconde année selon la professeure. Et casser certains clichés : « Il faut faire évoluer la vision des étudiants. Tout d’abord, la recherche, ce n’est pas que du labo, on peut faire une très belle recherche clinique, et a fortiori translationnelle. » Les détentrices et détenteurs d’un MD-PhD sont même dans une position idéale : « Ce sont des ponts entre les deux mondes : ils côtoient les malades, ce qui leur permet de générer leurs propres hypothèses, qu’ils savent comment traduire en laboratoire, et ils sont ensuite capables de transposer leurs résultats en clinique. »
Il y a ensuite ceux – et celles - qui craignent d’entamer un sacerdoce : « Au contraire, par rapport à la clinique, les horaires du labo sont moins contraignants et permettent une organisation plus flexible. Cette liberté tient d’ailleurs à la nature du travail, puisqu’il faut favoriser la créativité de nos doctorants et doctorantes. C’est un message que je tiens particulièrement à faire passer auprès des femmes, qui hésitent souvent à se lancer : il faut qu’elles puissent se projeter dans le monde de la recherche. »
Booster la communication
Le message porte puisqu’un nombre grandissant d’étudiantes et d’étudiants marquent leur intérêt. Toutefois, la prise de conscience ne concerne pas que les étudiants, mais aussi… les chefs de service du CHUV : « Le risque, c’est qu’une fois leur MD-PhD en poche, quand nos doctorants reviennent en clinique, ils arrêtent de faire de la recherche, faute de temps. » Un MD-PhD prend entre 3 et 4 ans, à 100%, qu’on le fasse directement à la fin de ses études, avant de commencer son assistanat (Track 1), ou plus tard (Track 2). « Il est capital que les chefs de service aménagent du temps à leurs MD-PhD : c’est une richesse à faire fructifier, une valeur ajoutée pour un service qu’il faut savoir exploiter. Sinon pourquoi investir autant de temps et d’énergie ? »
Lucia Mazzolai, secondée par Thérèse Liechti, coordinatrice de la Commission MD-PhD au sein de l’Ecole doctorale, a ainsi cherché à dynamiser sa communication : à commencer par un site web plus actif, augmenté notamment d’une liste des laboratoires d’accueil. Et elles ont organisé le 4 octobre dernier un événement « Former le futur » pour promouvoir le MD-PhD, qui a attiré plus d’une centaine d’étudiants.
« Lors de cet événement, nous avions fait le choix d’inviter des orateurs de différents horizons, des chercheurs de différents domaines, mais aussi des musiciens, un auteur, une cheffe cuisinière. Or sans concertation, j’ai trouvé remarquable que tous les orateurs en arrivent aux mêmes messages essentiels. » Il y a d’abord l’importance du travail, de l’investissement, de la motivation. « Pour acquérir des compétences, pour être bon dans ce que l’on fait, il faut bosser ! » Ensuite, la vertu des échecs : « Il faut toujours voir le côté positif des échecs, les transformer en opportunités – et apprendre à voir ces opportunités. La vie n’est pas linéaire, elle comprend de nombreux détours. Globalement, nos étudiantes et étudiants doivent sortir de leur zone de confort : s’ils ne tentent rien, comment savoir ce qu’elles ou ils peuvent accomplir ? »
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Participer à la création des connaissances
En juillet 2022, alors qu’il était en 2e année de MD-PhD, Samuel Jones a décroché l’une des bourses nationales MD-PhD attribuées par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM). Au sein du Laboratoire de neuroimmunologie/sclérose en plaques (LNIS) du Pr Renaud Du Pasquier, il travaille sur l’identification et la caractérisation des lymphocytes T CD8, dits « cytoxiques », qui jouent très probablement un rôle dans la sclérose en plaques en s’attaquant aux tissus sains du cerveau. Interview.
Qu’est-ce qui vous a motivé à faire un MD-PhD ?
J’ai toujours été de nature curieuse. Au gymnase, j’ai choisi latin-grec-philosophie, car j’étais intéressé par l’origine des mots. Je retrouve la même impulsion en médecine : j’aime comprendre les mécanismes qui sont derrière les symptômes, l’origine des maladies. Je n’aurais jamais été satisfait d’agir uniquement en tant que praticien de la médecine ; en effet, j’ai toujours voulu aussi contribuer à créer de la connaissance, de la science. J’ai choisi de faire mon MD-PhD directement après mes études de médecine (Track 1) sur les conseils de mes mentors : si l’on débute par la clinique, on est déjà lancé, et cela peut être délicat ensuite de revenir à un statut d’étudiant, avec un salaire inférieur. On pourrait avoir l’impression de faire un pas en arrière.
Passer de la médecine à la recherche fondamentale, c’est difficile ?
En 1ère année de MD-PhD, il faut se familiariser avec beaucoup de nouveaux éléments, cela passe par l’apprentissage d’un panel de compétences différent de celui enseigné pendant notre cursus de médecine. Il y a donc un certain rattrapage à faire si l’on se compare avec nos pairs ayant fait biologie. Mais au bout de six mois, voire une année, on devient relativement à l’aise. Faire de la recherche fondamentale, cela signifie aussi générer ses propres données, et c’est motivant ; mais en tant que médecin, je garde toujours une optique très appliquée, translationnelle.
S’imaginer revenir à la clinique après 3 ou 4 ans de labo, c’est un stress ?
Un peu. Il faudra sans doute rafraîchir mes connaissances, réétudier un peu. Si je me base sur les dires de mes prédécesseurs, je m’attends à un premier mois assez costaud ! Mais tout est déjà là, dans ma tête, il suffira juste de rouvrir la boîte. Faire un MD-PhD, cela ne signifie pas être un meilleur clinicien que les cliniciens, ni un meilleur chercheur que les chercheurs. En revanche, grâce à cette formation hybride, on aura développé cette capacité assez unique à faire des liens entre les deux domaines.
La recherche, ce n’est pas non plus un long fleuve tranquille, il y a des échecs, des découragements…
Lorsque l’on travaille dans la recherche, les choses se passent rarement comme on l’avait prévu, soit que l’on obtienne un résultat négatif, soit un résultat auquel on ne s’attendait pas. Mais à travers ces échecs, on apprend énormément sur notre thématique de recherche et sur la recherche en général. C’est un peu paradoxal, mais des résultats négatifs obligent à creuser plus en détail notre sujet et à décortiquer les mécanismes à l’œuvre pour réellement devenir un expert dans notre domaine.