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Une mutation peut en contrebalancer une autre

Dans la plupart des maladies dues à un seul gène, la mutation délétère pourrait être corrigée par une autre mutation, appelée «suppresseur génétique». C’est ce qu’ont découvert des chercheuses de l’UNIL, sous la direction de Jolanda van Leeuwen, défrichant de potentielles nouvelles pistes thérapeutiques.

Publié le 12 oct. 2023
Une mutation délétère, représentée ici par une coupure dans un processus biologique (en orange), peut être compensée et donc secourue par une mutation appelée «suppresseur» (en rose). © andries.ch
Une mutation délétère, représentée ici par une coupure dans un processus biologique (en orange), peut être compensée et donc secourue par une mutation appelée «suppresseur» (en rose). © andries.ch

Des mutations génétiques apparaissent constamment dans l’ADN de nos cellules. Chez l’être humain, le taux de mutation est inférieur à 1% mais n’atteint jamais zéro. Ces mutations n’ont pas forcément des conséquences pathologiques, mais elles peuvent avoir des effets délétères sur le fonctionnement de nos gènes, entraînant dans certains cas le développement de maladies.

Cependant la Nature est bien faite: des mutations, appelées «suppresseurs génétiques», peuvent compenser l’effet néfaste des premières. Ces données sont bien connues pour certaines maladies génétiques, telles que la drépanocytose (affection du sang) et la mucoviscidose (atteinte des voies respiratoires et digestives). Mais qu’en est-il d’autres pathologies? L’équipe de Jolanda van Leeuwen, professeure assistante au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne a répondu à cette question en collaboration avec un groupe de recherche de Barcelone, en Espagne. Leurs résultats sont parus le 12 octobre 2023 dans Genome Medicine.

Les chercheuses et les chercheurs ont investigué les suppresseurs génétiques de façon systématique. Des mots-clés spécifiques ont été soumis à diverses bases de données, 2400 articles scientifiques y ont été trouvés puis décortiqués. Près de 500 d’entre eux référençaient des cas de maladies génétiques humaines pour lesquelles des suppresseurs ont été identifiés. La moitié des 1000 interactions identifiées étaient uniques, avec pour la grande majorité un seul gène suppresseur en lien avec une seule mutation délétère. Cette sélection de la littérature biomédicale traitait exclusivement de l’espèce humaine, soit des cultures de cellules humaines pour plus de 60% des articles, contre presque 40% d’études in vivo, sur des patient·e·s.

Par ailleurs, en se situant au niveau de la comparaison entre espèces, les scientifiques ont détecté une conservation élevée des gènes suppresseurs, témoignant ainsi de leur importance pour la survie des cellules et la bonne santé.

De la levure à l'être humain

Dans une précédente publication de mai 2021 (voir l’actualité) du groupe de recherche de Jolanda van Leeuwen, les mécanismes à l’origine du rôle protecteur des suppresseurs avaient été décrits chez les levures. Leur nouveau jeu de données leur a permis de confirmer que les mêmes processus étaient à l’œuvre chez l’être humain. Deux catégories ont été mises en évidence. «D’une part, l’action peut être directe et le défaut introduit par la mutation est alors directement corrigé», explique Betül Ünlü, copremière auteure et ancienne postdoctorante dans le laboratoire de Jolanda van Leeuwen. Par exemple, la drépanocytose, ou anémie falciforme, touche les globules rouges et se caractérise par une mutation dans l’hémoglobine qui ne peut alors plus transporter l’oxygène normalement dans le sang. Un suppresseur est capable de contrer ce dysfonctionnement grâce au remplacement de la partie anormale de l’hémoglobine par une autre, fonctionnelle. «D’autre part, le mécanisme peut être indirect, c’est-à-dire en ciblant d’autres voies biologiques que celle affectée directement par la mutation», complète Betül Ünlü. La mucoviscidose, marquée par un mucus respiratoire et digestif défaillant, illustre bien cette deuxième classe. À l’origine de cette défectuosité, des mutations dans un récepteur responsable du transport du chlore à travers les membranes cellulaires provoquent sa dégradation. Dans cet exemple de processus indirect, le gène suppresseur empêche le récepteur d’être dégradé.

En comparaison avec celles des levures, l’étude dans Genome Medicine montre que la fréquence et la diversité des mécanismes indirects étaient plus élevées chez les humains. «Ceci est sans doute dû à une plus grande complexité de notre organisme, et notamment à l’existence de notre système immunitaire, que ne possèdent pas les levures», ajoute Jolanda van Leeuwen, dernière auteure de l’article.

D’in silico à in vitro, de l’ordinateur à la paillasse

Grâce à des modèles mathématiques appliqués au génome humain entier, les biologistes de Lausanne et de Barcelone sont parvenu·e·s à prédire des suppresseurs pour d’autres pathologies monogéniques (dues à un seul gène), telles que l’anémie de Fanconi, une maladie génétique rare qui affecte la réparation de l’ADN et qui est notamment caractérisée par un risque accru de développer des cancers.

Ensuite, les suppresseurs présumés ont été investigués grâce à des expériences en laboratoire. «J’ai muté un gène associé à l’anémie de Fanconi, dans une lignée cellulaire. Puis j’ai analysé son effet par paire avec plus de 18'000 autres gènes mutés. J’en ai trouvé trois qui réussissent à secourir les cellules et qui avaient été prédits par bioinformatique», explique Amandine Batté, postdoctorante au sein du groupe de recherche de Jolanda van Leeuwen.

Pour améliorer les modèles mathématiques, plus d’exemples de suppresseurs génétiques sont nécessaires. Plusieurs projets de l’équipe de l’UNIL se focalisent déjà sur cet axe de recherche. Finalement, les résultats de l’article récemment parus suggèrent qu’il existerait des mutations salvatrices pour presque toutes les maladies génétiques connues. Cette connaissance exhaustive pourrait aider à mieux comprendre les processus responsables de chacune de ces pathologies. «L’identification de ces suppresseurs ouvre le chemin vers de nouvelles pistes thérapeutiques potentielles», espère Jolanda van Leeuwen.

 

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