Comment vous sentez-vous lorsqu’un·e ami·e ou votre partenaire utilise son smartphone en votre présence? Si la plupart des études existantes soulèvent que le fait de détourner son attention de son interlocutrice·teur en faveur de son portable (phénomène qualifié de «phubbing») peut réduire la qualité des conversations, induire un sentiment de rejet social ou porter atteinte aux relations interpersonnelles, de récentes études menées à l’Université de Lausanne (UNIL) invitent à nuancer ce discours dominant.
L’étude publiée dans Mobile Media & Communication remet en question l’idée largement répandue selon laquelle la présence d’un smartphone dans un couple serait intrinsèquement nuisible à la relation. Selon ses résultats, une majorité des participant·es (55%) considèrent l’utilisation du téléphone mobile comme neutre dans la vie de couple. «Pour ces personnes, les smartphones sont paradoxalement devenus «invisibles» et n’ont pas d’impact sur la relation du couple», souligne Michal Frackowiak, principal auteur et coordinateur de trois recherches sur le «phubbing» menées dans le cadre de sa thèse au CARLA à l’Institut de psychologie à l’UNIL.
Un autre résultat de l’étude, tout aussi surprenant, montre que 30% des participant·es perçoivent des aspects positifs dans l’usage des portables en présence de leur partenaire. Qu’il s’agisse de planifier des activités communes, de rechercher des informations ou de renforcer les liens mutuels, ces appareils électroniques apparaissent comme des alliés dans la cohabitation et jouent un rôle de coopération dans les relations. En revanche, 15% des participant·es estiment leur usage comme négatif. Selon eux, cela perturbe les moments partagés, par exemple lorsqu’un·e partenaire est moins réceptif, qu’une attention totale est attendue lors d’une conversation en face-à-face ou que l’utilisation du téléphone empêche de s’engager dans une activité, comme le visionnage d’un film. Ainsi, les réactions des partenaires face à l’utilisation des smartphones varient largement en fonction du contexte.
Par ailleurs, une autre étude publiée dans Current Psychology souligne que la plupart des participant·es ne se sentent pas ignoré·es lorsque leur partenaire utilise un smartphone. Les conflits liés à son usage sont aussi faibles et la qualité des relations reste globalement élevée. Toutefois, les hommes qui ressentent du «phubbing» signalent une diminution de la qualité relationnelle, ce qui n’est pas le cas pour les femmes.
L’impact du «phubbing» face à des inconnu·es
Une troisième étude, publiée dans Social Influence, analyse le «phubbing» lors d’interactions avec des inconnu·es. Deux expériences y ont été menées et ont impliqué des participant·es interagissant avec une confédérée qu’ils ne connaissaient pas et qui avait reçu l'instruction d'utiliser son téléphone portable selon un protocole prédéfini. Résultat: l’impact du «phubbing» n’est pas homogène. Dans la première expérience, les participant·es ont trouvé la confédérée moins fiable, attentive et immédiate dans l’exercice d’une tâche, lorsqu'elle utilisait son téléphone. Néanmoins, ils étaient moins attirés socialement par elle, uniquement lorsqu’ils pensaient que son utilisation du téléphone transgressait les attentes sociales. Dans la seconde expérience, les chercheur·es ont testé l'intensité du «phubbing». Il en ressort que les participant·es avaient une meilleure relation et interaction avec la confédérée, lorsque son utilisation du téléphone était moindre. Les chercheur·es ont aussi voulu vérifier si le fait d'annoncer à l’avance l'utilisation du téléphone atténuait les effets négatifs de l'interaction. Cependant, cela n'a pas été le cas. En revanche, l'annonce préalable du «phubbing» a augmenté la qualité de la relation avec la confédérée.
Vers une vision plus nuancée
Les résultats des trois études invitent à repenser le discours dominant sur le «phubbing», selon lequel l'utilisation conjointe des smartphones serait exclusivement associée à des conséquences négatives. Plutôt que de stigmatiser l'usage des téléphones portables, il s'agirait d'explorer dans les recherches futures comment ils peuvent enrichir ou, au minimum, coexister harmonieusement avec les interactions de couple et plus largement dans les interactions sociales.
Consulter les trois articles publiés dans Mobile Media & Communication, Current Psychology et Social Influence.