Colloque du CIEL 2022
Raviver l'eau : pour une écopoétique comparatiste
Lieu: Université de Lausanne, bâtiments Géopolis (salles 2121 & 1612) et Anthropole (4030)
Dates: 9, 10 et 11 novembre 2022
Organisation: Alain Ausoni (CIEL) et Olivier Thévenaz (CIEL)
Argumentaire:
La crise écologique qui caractérise le temps présent nous invite à considérer notre condition selon une temporalité très longue et à faire le point sur la dimension écologique de l’humain, c’est-à-dire sur "la recomposition permanente de nos modes de vie à l’épreuve des conditions extérieures, et en retour, la modification de ces conditions" (Charbonnier 2022, 32). L’émergence puis le succès depuis une vingtaine d’années du terme anthropocène signale la conscience, voire l’angoisse (Cavallin 2021, §1), du télescopage entre histoire humaine et histoire planétaire (Bourg et Papaux 2015, 92).
Consciente de ces enjeux, et pionnière il y a dix ans avec la création d’un dicastère dédié à la transition écologique, l’Université de Lausanne s’est dotée en 2019 d’un Centre de compétences en durabilité (CCD). Conçue comme "un fonctionnement des sociétés humaines, en particulier dans leur relation à l’environnement naturel, qui assure leur stabilité à long terme et rend possible l’épanouissement humain au travers des générations", la durabilité s’étudie alors à la faveur de "la mise en relation des savoirs environnementaux, sociaux et économiques qui permettent d’atteindre ce but". Dans cette perspective, l’analyse des récits et imaginaires structurant les rapports des êtres humains à leur environnement naturel est apparue comme une priorité qui appelle l’expertise des sciences humaines, et des Lettres en particulier.
En effet, si "l’insertion humaine dans des interdépendances écologiques ne concerne pas seulement ses pratiques de subsistance, sa façon de gérer l’accès aux ressources, mais aussi et tout autant son comportement symbolique et social" (Charbonnier 2022, 34), on peut penser, d’une part, que l’effort de transition écologique profiterait d’une mise au point sur les représentations de ces interdépendances et, d’autre part, que la littérature constitue un terrain privilégié pour enquêter sur les dimensions sociales et symboliques de la relation entre humain et nature. Ces dernières années, la question de déterminer quels sont les "savoirs" de la littérature dans ce domaine a participé de l’essor des approches écocritiques et écopoétiques (voir récemment, en français, Schoentjes 2020, Posthumus 2021). Pour son colloque annuel de 2022, le Centre interdisciplinaire d’étude des littératures (CIEL) de l’UNIL entend mettre à profit regards croisés et approches comparatistes pour s’engager sur ces questions en étudiant en particulier les représentations littéraires du rapport des humains à l’eau.
Pour garantir la stabilité de nos écosystèmes et des conditions sûres d’habitabilité sur terre, un large consensus scientifique – fondé sur des observations et mesures enregistrant avec toujours plus de précision la marque des activités humaines sur la trajectoire des évolutions du vivant et la composition des sols et des eaux – préconise de contenir l’impact des activités humaines de manière à respecter un plafond écologique déterminé par des limites planétaires (Steffen et al. 2015). Or une bonne part de ces limites planétaires – notamment l’utilisation de l’eau douce, l’acidification des océans, l’appauvrissement de la biodiversité et la pollution chimique – concernent directement notre impact sur les milieux aquatiques et notre gestion de l’eau.
Comme Olivier Rey (2021) lisant Francis Ponge, on peut dès lors penser qu’il est urgent de "réparer l’eau", de remotiver son symbolisme pour envisager de nouveaux rapports avec elle. Omniprésente, la symbolique de l’eau a structuré de nombreuses formes de cosmos. Notre familiarité avec cet élément explique qu’il se soit trouvé ensuite au fondement de plusieurs unités de mesure de la science moderne (le kilogramme, le degré Celsius, la calorie). Puis, dans les sociétés consuméristes et productivistes nourries par l’usage intensif de technologies industrielles, l’eau se conçoit désormais volontiers comme une ressource, à rentabiliser ou à préserver.
Pour rendre symboliquement à l’eau sa force vive, on pourra par exemple étudier les manières dont s’expriment dans des corpus littéraires de tous horizons le pouvoir vital et mortel de l’eau, ou ses liens avec les idées de pureté et souillure. On pourra aussi considérer la façon dont les sources, flux et étendues aquatiques organisent notre espace vital et culturel, voire influencent notre conception même de la littérature et des arts. On pourra s’intéresser aux rapports de l’eau avec les questions du temps et du devenir ("on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve"), ou à tout autre sujet lié à l’eau qu’on considérera pertinent dans ce contexte. Il s’agira en somme dans ce colloque de se jeter à l’eau pour considérer des réponses littéraires à la question que Claude Lorius (2011) tient pour celle de notre temps : "que voulons-nous faire de ce monde dont nous sommes devenus dans le même temps les fossoyeurs et les gardiens ?"
Bibliographie:
- BOURG, Dominique & PAPAUX, Alain (éds.), Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, PUF, 2015.
- CAVALLIN, Jean-Christophe, "Vers une écologie littéraire", dans Fabula-LhT, n°27, "Écopoétique pour des temps extrêmes", dir. J.-C. Cavallin et A. Romestaing, novembre 2021. URL : https://www.fabula.org/lht/27/cavallin.html.
- CHARBONNIER, Pierre, Culture écologique, Paris, Presses de Sciences Po, 2022.
- LORIUS, Claude, Voyage dans l'anthropocène, Arles, Actes Sud, 2011.
- POSTHUMUS, Stephanie, "État présent. L'écocritique est-elle encore possible?", trad. J.-C. Cavallin dans Fabula-LhT, n°27, "Écopoétique pour des temps extrêmes", dir. J.-C. Cavallin et A. Romestaing, novembre 2021. URL : https://www.fabula.org/lht/27/cavallin.html. §14.
- REY, Olivier, Réparer l'eau, Paris, Stock, 2021.
- SCHOENTJES, Pierre, Littérature et écologie, Paris, José Corti, 2020.
- STEFFEN, Will et. al., "Planetary Boundaries: Guiding Human Development on a Changing Planet", Science, 347, 2015.