Plusieurs membres du centre ont effectué des séjours de terrain de recherche soutenus par le CIHSR. Sur cette page vous trouverez quelques rapports écrits par nos chercheuses et chercheurs.
Plusieurs membres du centre ont effectué des séjours de terrain de recherche soutenus par le CIHSR. Sur cette page vous trouverez quelques rapports écrits par nos chercheuses et chercheurs.
Cette fouille archéologique d'un village en Galilée (Israël) a eu lieu 12 août-1er septembre 2019 et a été organisée par David Hamidovic, professeur à l’Université de Lausanne, en partenariat avec le Kinnereth College of Galilee. Cette fouille a été partiellement soutenue par le CIHSR.
Présentation du site
Lors de sept campagnes de fouille archéologique sur la colline naturelle de Yodfat de 1992 à 1998 et en 2000, les archéologues ont mis au jour un village à l’habitat continu depuis l’époque hellénistique (IVe siècle avant l’ère chrétienne) à sa destruction au début de l’époque romaine (milieu du Ier siècle de l’ère chrétienne).
Le site de Yodfat est situé au nord-ouest de la Galilée inférieure, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nazareth. La colline est entourée d’autres collines plus hautes et il était à l’écart des voies romaines (comme on peut le voir sur la carte).
Le site est de taille modeste : une centaine de mètres carrés. L’importance de ce site et sa réputation depuis l’Antiquité tardive lui viennent des mentions dans l’œuvre de l’historien juif Flavius Josèphe qui écrit à la fin du Ier siècle de l’ère chrétienne. Celui-ci prit le maquis avec d’autres juifs en révolte contre l’occupant romain à partir de 66 de l’ère chrétienne. Il se chargea de fortifier dix-neuf sites en Galilée et sur le plateau du Golan (Guerre des Juifs 2,573-576 ; Autobiographie 187-188). Seuls les sites de Yodfat, Yapha, Migdal/Magdala, Gamla et le mont Tabor connurent la confrontation militaire. Le siège et la bataille de Yodfat à l’été 67 sont narrés en détail dans son livre Guerre des Juifs 3,145-288.316-339. La fouille archéologique a confirmé en grande partie le déroulement, ses détails et ajouter des précisions aussi intéressantes que surprenantes.
Fouille du village au pied de la colline
La fouille de la colline est (presque) terminée, mais il reste une partie du site qui n’a reçu, à ce jour, aucune attention particulière de la part des archéologues, si bien qu’aucun sondage archéologique n’a été effectué. Pourtant, il existe une bande de 200 mètres sur 50 mètres, au pied de la colline, qui était habitée. Il reste en surface des pierres d’habitations en ruine. Il a existé un village à l’époque mamelouke, au Moyen Âge, mais des indices (pierres taillées en réemploi, fragments de poterie) laissent deviner un habitat plus ancien. On ne sait de quelle(s) époque(s), il s’est agi.
Objectifs de la fouille
On pense qu’il a existé un village quelques décennies ou siècles après la destruction du village sur la colline. S’agit-il d’habitants revenus sur leur lieu de vie quelques années après la destruction ? S’il s’agit de cela, il ne pouvait effectivement pas revenir habiter sur la colline car les Romains avaient jeté des cadavres humains et animaux dans les citernes. L’impureté maximale du site était ainsi garantie. S’agit-il d’autres personnes s’installant plus tardivement et sans lien avec les événements de la révolte contre les Romains ? La mémoire vive de ce lieu entretenue par les écrits de Flavius Josèphe rend difficile cette hypothèse. À ce stade, on imagine un lien potentiel avec les événements tragiques, mais lequel ? La fouille a pour but de livrer quelques indications.
Cette année, avec Mordechai Aviam du Kinneret College Institute et Kate Raphael, nous visons principalement à fouiller un lieu précis : celui que nous pensons être un ancien bâtiment à usage collectif, peut-être une synagogue.
La connaissance des premières synagogues échappe encore en grande partie. S’il s’agit d’une synagogue antérieure au IIIe s. de l’ère chrétienne, il s’agira vraisemblablement d’une structure avec des bancs en pierre adossés aux murs, orientée vers Jérusalem, et sans décoration conformément au précepte juif interdisant les représentations. S’il s’agit d’une synagogue postérieure au IIIe s. de l’ère chrétienne, il se peut qu’elle soit décorée de mosaïques comme celles magnifiques découvertes ces dernières années dans la région, et qu’elle soit dotée d’une structure pour recevoir le rouleau de la Torah. En l’état, nous n’avons aucune indication sur la datation de cette couche stratigraphique ; nous ne sommes même pas sûrs qu’il s’agisse bien d’une synagogue. Par ailleurs, le nom de ce lieu est inconnu : est-ce le même que Yodfat en hébreu/araméen ou Jotapata en grec ? En bref, beaucoup de questions basiques demeurent avant la fouille.
Résultats de la première saison de fouille
Grâce aux étudiants de l’UNIL notamment, nous avons dégagé une grande partie du bâtiment aux époques mamelouke, croisée et byzantine. Ces datations ont été permises grâce à des monnaies et des tessons de poterie. Le bâtiment rectangulaire mesure 10,80m X 15,70m selon un plan basilical simple. Les murs solides de 80-85 cm d’épaisseur pouvaient soutenir un second étage. Le bâtiment est orienté selon un axe Nord-Sud et son entrée matérialisée par un seuil massif est au centre du mur méridional. Des fragments de pierres servant de pavements sont situés devant le seuil, ce qui suggère une large cour ou une esplanade. Le bâtiment a eu aussi une entrée plus petite dans le mur occidental ; l’entrée est bloquée et scellée aux époques fouillées. Prof. Georgina King de l’UNIL/FGSE a effectué des prélèvements du seuil et sur d’autres endroits du bâtiment en vue d’une datation par thermoluminescence. Aux époques fouillées, le bâtiment a été subdivisé en cloisons et des traces d’occupation mamelouke (type squatters) ont été repérées. Des futs de colonne et des piédestaux ont été utilisés en réemploi, certains ont été réemployés aux époques fouillées, d’autres sont plus anciens. Il s’agit probablement de spolia de la colline attenante car aucun fut ou piédestal ne semble correspondre à un autre fut ou piédestal. Il est, par ailleurs, difficile de voir des colonnes effondrées, ce qui peut suggérer un réemploi pour un appareillage avec d’autre pierres et/ou avec des poteaux en bois. La fouille des strates inférieures s’avère donc primordiale pour comprendre la fonction originelle du bâtiment.
Par ailleurs, nous avons procédé à des photographies par drone du village entier grâce à Francis Mobio (FTSR) et à des repérages in situ avec Régis Aligon (FTSR) afin d’établir une première cartographie du village.
We keep on dancing. A film de Sara Wiederkehr, Federica Moretti et Daniel Grabher, avec la collaboration de Manfredo Hans Bani Eberle. Bande originale de A.R.K. Vienne, 2019
Les doctorantes Federica Moretti et Sara Wiederkehr ont participé, dans le mois de mai 2019, à un atelier de film ethnographique organisé dans le cadre de l’Ethnocineca International Documentary Film Festival, in Vienne. Ce cours a abouti à la réalisation d’un court métrage ethnographique dont le titre est We keep on dancing. Ce court métrage a été produit avec la collaboration de Daniel Grabher et Manfredo Hans Bani Eberle.
We keep on dancing a été présenté le 28 mai 2019 au Votiv Kino, comme partie de la programmation de l’EthnocinecaInternational Documentary Film Festival. L’édition 2019 était dédiée au thème At Risk in the City.
We keep on dancing narre l’histoire de Bani, un Colombien qui habite à Vienne. Sa vie a été touchée par plusieurs expériences de violence et c’est dans la musique et la danse qu’il a su se crée un abri loin de difficultés de la vie.
Son histoire commence avec un rêve, qu’il a eu pendant son enfance et dans lequel il a rencontré une chamane. Après l’avoir raconté à son père, celui-ci lui révèle que sa grand-mère était une chamane et qu’il a été adopté.
Dans ce court métrage, réel et onirique se rencontrent créant un dialogue entre héritage chamanique et vie occidentale, épreuves de la migration et violence. We keep on dancing invite à une réflexion sur les contradictions de la vie moderne, en se concentrant sur la capacité de réagir aux difficultés rencontrées grâce à un engagement artistique qui, dans ce cas, prend la forme de la musique et de la danse.
Le projet a pu être abouti grâce au précieux soutien du CIHSR (Centre interdisciplinaire en histoire et sciences des religions) et de l’ISSR (Institut de Sciences Sociales des Religions) de l’Université de Lausanne.
This project has received funding from the European Research Council (ERC) under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme (ARTIVISM - grant agreement No 681880)
Pratiques populaires de l’espace urbain et rural dans deux formes dévotionnelles du Mexique contemporain : les cultes de la Santa Muerte et du Seigneur de Chalma
Prof. Silvia Mancini
Mes recherches portant sur le Mexique prolongent un questionnement soulevé il y a plusieurs années sur la relation à trois termes : efficacité symbolique, dispositif rituel, et états hypnotiques, relation envisagée dans le contexte de la religiosité populaire mexicaine étudiée aussi bien dans le cadre rural que urbain. L’étape de la recherche effectuée en 2019 coïncidait avec le retour sur un premier terrain, réalisé en 2010, ayant pour objet le pèlerinage vers un sanctuaire situé en l’État de Mexico, dans la zone archéologique de Cuauhtinchàn, à une centaine de Km de Mexico City. Le lieu de culte est plongé dans un décor naturel profondément rural, presque sauvage. Depuis le XVIème siècle, on vénère ici l’image d’un Christ Noir crucifié, le Señor de Chalma. Le sanctuaire est situé juste à l'ouest du centre-ville, sur une colline appelée Cerro de los Idolos, qui s'élève à 215 mètres au-dessus de Malinalco.
Il s’agit d’une région parsemée de grottes, habitée par des populations Nahuatl, le même groupe ethnique duquel les Mexicas ou Aztèques sont issus. Dans cette région, avant l’arrivée des Espagnols, un culte resté longtemps pratiqué, en l’honneur du dieu Oxtotéotl (le Seigneur obscur des grottes), probablement la personnification d’un aspect de Tezcatlipoca – divinité préhispanique aux traits d’un humain de couleur noir, crédité de pouvoirs thaumaturgiques.
La recherche menée en 2019 avait pour but de brosser une première comparaison entre certaines pratiques correctives, de nature rituelle, déjà observées à Mexico City dans le cadre de deux cultes urbains (à savoir, d’une part, le culte de la Santa Muerte ainsi qu’une pratique non institutionnalisé, de type spiritualiste, à vocation thérapeutique); d’autre part, la ritualité, inscrite dans la dévotion formellement chrétienne mais destinée à assurer aux dévots des formes de protection ‘magique’ observées dans des zones de montagne ou dans les campagnes péri-urbaines.
La comparaison a porté sur deux points particuliers : d’une part, l’usage, de la part de dévots, de transporter avec soi, à l’instar d’un ‘double’ rituel, l’image sacrée objet de culte jusqu’au centre où a lieu la célébration en l’honneur de celle-ci, d’une part; d’autre part, l’état psychique légèrement dissocié ou semi-hypnotique dans lequel plongent les acteurs de l’acte rituel efficace. L’étude menée jusqu’ici sur le pèlerinage à Chalma a été abordée à partir de quatre aspects qui m’ont paru centraux dans cette pratique dévotionnelle. À savoir : a) la présence d’un substrat culturel autochtone, d’origine préchrétienne, à vocation thaumaturgique; b) la pérégrination réalisée en compagnie de l’image sacrée ; c) l’effort physique, assorti de mortifications corporelles associées souvent à l’usage de stimulants puissants (alcool, champignons hallucinogènes, marijuana) ; d) la présence de la musique et de la danse, censées contribuer à exaucer les requêtes des impétrants.
Le sak yant sublime les compétences
Stéphane Barelli
La Thaïlande est un pays de tradition bouddhiste Theravada. Inclusive et accueillante, la Doctrine des Anciens a évolué au sein d’une multitude de cultures et d’influences. Des siècles de pluralité ont profondément modelé le paysage religieux thaïlandais. Le bouddhisme, l’animisme et l’hindouisme ne s’y sont jamais développés de manières complètement autonomes, se nourrissant mutuellement d’éléments de pensées et d’usages composant un métissage des formes de foi {1}. Ces trois traditions se sont alliées dans ce que l’on appelle le bouddhisme thaïlandais.
{1} Kitiarsa (P.). 2005. Beyond Syncretism: Hybridization of Popular Religion in
Contemporary Thailand. Journal of Southeast Asian Studies 36, no. 03. 484.
La tradition des tatouages apotropaïques, fut probablement importée par les peuples thaïs venus du nord {2}. Elle a reçu dans le creuset de la civilisation des khmers, une transformation très profonde dont la trace la plus manifeste est l’adoption de l’alphabet khmer. La forme artistique et religieuse des tatouages sacrés, appelés sak yant, permet d’illustrer l’hybridation des croyances thaïlandaises.
{2} Bernon (O.). 1998. Yantra et mantra. Catalogue d’exposition du Centre culturel de Phnom Penh, Cambodge.
La forme artistique et religieuse des tatouages sacrés, appelés sak yant, permet d’illustrer l’hybridation des croyances thaïlandaises. Le mot « sak » peut se traduire par « taper sur » et « yant » signifie « prières sacrées ». Ce terme désigne dans le contexte du tatouage la méthode employée (tatouage au bambou) pour faire entrer l’encre sous la peau.
Un yant est un dessin géométrique sacré contenant des écritures qui sont des psaumes bouddhistes ou des formules magiques. Les signes, lignes et symboles représentent des séquences de lois de la nature, misent en codes. Elles ont été transcrites par des ascètes au terme de longues périodes de méditation. Certains parlent du fruit de révélations d’êtres célestes.
Les maitres (ajan) tatoueurs questionnés, s’accordent pour dire que les yants sont d’essences divines. Tout yant possède sa propre structure, inaltérable qui existe en tant que principe élémentaire. Un dessin peut être découvert par un maître qui, à force de méditation, acquière une compréhension supérieure des lois de causalités universelles. Mais il ne peut créer quelque chose d’immanent, le yant existe « en soi ». Cette compréhension métaphysique des influences de divers éléments sur d’autres, permet de pirater le court naturel des événements. Toutefois les dessins (yant) ne sont pas des éléments suffisants pour que le pouvoir magique contenu dans les figures géométriques sacrées, fasse effet. Pour les activer, le maître qui inscrit le dessin, doit chanter un kata (autrement appelé mantra) puis le souffler dans le dessin en invoquant des forces sacrées et les éléments particuliers intrinsèques au tatouage. Les yants, une fois activés par le pouvoir spirituel du maitre, peuvent considérablement influencer les aptitudes humaines. Ces tatouages sont un assemblage de sutras bouddhistes, de pictogrammes et de sorts magiques et d’une parcelle de la substance spirituelle du maître tatoueur.
Les lignes dessinées dans le yant sont traditionnellement perçues comme les os du dessin. Elles représentent le cordon ombilical de Bouddha. Il en existe des formes variées : circulaire, triangulaire, quadrilatéral et pictural. Les yantras sont remplis de prières et de sorts en lettrages sacrés qui en augmenteront la puissance. Ils sont plutôt complexes, parsemés de symbolismes géométriques, de mantra et de codes numériques variés.
Il y a un yant pour chaque raison possible ; pour éviter les flèches ; pour la récolte des fermiers et repousser les parasites sur les animaux ; pour éviter d’être piétiné par un éléphant ; pour repousser les voleurs ; pour les marchands et les pêcheurs ou même pour gagner aux jeux de hasard. La liste des Yants et ses applications sont presque sans fin.
Image : Selon ajan Nat, ce yant tracé sur le front de la tête d’un bovin fixé sur les piliers de la maison où il a vécu a pour effet de la protéger. Il continuera à la servir en temps qu’esprit.
Prof. Raphael Rousseleau
De janvier à mars 2020, j’ai effectué un terrain ethnographique de trois mois en Inde. Ce moment a été l’occasion de participer comme invité à une conférence organisée par un grand collectif d’intellectuels adivasi ou autochtones de l’Inde, dans la capitale de l’Etat indien du Jharkhand, puis de revisiter mon terrain de thèse chez les Jodia Poraja, en Odisha.
La conférence, tout d’abord, réunissait surtout des intellectuels Adivasi et indigènes de toute l’Inde, à Ranchi, dans un Etat à forte population Adivasi, autour du thème fédérateur d’une «Indigenous philosophy» (Adivasi darshan) à définir. La conférence a été inaugurée par le Chief minister de l’Etat, lui-même Adivasi, et a fait l’objet d’une forte couverture médiatique régionale. De mon côté, ce fut l’occasion de prendre contact avec un réseau de militants et écrivains indigènes, utilisant notamment les réseaux sociaux et Internet pour unifier leurs revendications dans un mouvement pan-indien en formation. Suite à l’enthousiasme des participants, une seconde édition du colloque était déjà lancée, mais la Covid en a malheureusement ruiné la possibilité pour le moment. J’ai entre-temps déposé un projet fns sur ces réseaux, leur histoire et leurs discours, pour lequel j’attends le résultat en septembre 2021.
Je me suis ensuite rendu en Odisha, dans un contexte cette fois totalement villageois, chez les Jodia Porja, un groupe adivasi des hautes terres de l’Odisha cultivant surtout le riz et le millet. J’y ai participé à la longue fête de la « mère du millet », la divinité (devata) principale des Jodia, qui n’a aucun autel visible mais est célébrée et ‘incarnée’ périodiquement à la fois dans une jeune fille, dans un panier de grains et dans une petite effigie représentant une reine termite !
(voir la photo, montrant la jeune fille, le panier qu’elle porte, et la termitière, dont la terre servira à confectionner l’effigie)
Ce terrain m’a permis de confirmer ces points que je n’avais pu voir auparavant, et d’approfondir la ‘pragmatique du mythe’ de cette déesse, en m’inspirant des écrits de Claude Calame. Une brève description du rituel a été publiée, mais l’analyse élaborée fera l’objet d’une publication, dès que l’enseignement me le permettra…
(photo ci-dessous du dessin sur le mur derrière le panier de millet, donnant à voir les divinités convoquées, avec les chanteurs au premier plan)
Le reste du temps a permis d’approfondir mes enquêtes antérieures sur les rituels thérapeutiques jodia, mettant en œuvre des « maîtresses » (gurumai) de possession dont les actions et discours sont aussi proches du chamanisme (voir photo).
Là encore, un second terrain prévu en janvier 2021 devait me permettre de documenter une fête complémentaire, mais la Covid-19 a tout annulé.
Vu les conditions, et avec l’accord du directeur du CIHSR, les fonds épargnés pour ce deuxième voyage ont été utilisés comme contribution à la coopérative paysanne locale à laquelle les villageois avec lesquels j’ai travaillé sont affiliés.
Par Kristóf Szitár, Section de langues et civilisations de l’Asie du Sud
La recherche de terrain que j'ai effectué en août 2021 en Ouzbékistan m'a permis d'établir des contacts professionnels pour une conférence internationale prospective, et de compléter une critique du livre sur cette région. Mon projet de doctorat se concentre sur les œuvres rassemblées (dīvān) de ʿUnṣurī, qui était un poète persophone du XIe siècle. Plusieurs aspects de sa vie restent opaques ; cependant, il est certain qu'il jouissait d'un prestige financier et social unique et exerça un impact considérable sur la vie de cour de Ghazna (Afghanistan) sous les sultans Maḥmūd (r. 998-1030), Muḥammad (r. 1030) et Masʿūd (r. 1030 -40). Au XIe siècle, ʿUnṣurī et ses mécènes ont été témoins de changements sans précédent déclenchés par leurs conquêtes en Asie centrale et sud.
L'histoire de l'Ouzbékistan d'aujourd'hui et des Ghaznavides est connecté de deux manières importantes. Premièrement, avant leur émancipation, les prédécesseurs des Ghaznavides avaient été des esclaves d'élite au service de la dynastie samanide basée à Boukhara et Samarkand (r. 819-1005). Deuxièmement, les Samanides et les Ghaznavides ont alloué d'immenses ressources pour revigorer et promouvoir la culture persane. La poésie samanide a également laissé son empreinte reconnaissable sur ʿUnṣurī qui a commenté les conflits intra-islamiques de ses mécènes ainsi que l'islamisation de l'Asie du Sud dans sa poésie. Visiter les sources architecturales, artistiques et textuelles des Samanides à Boukhara et à Samarcande et observer la fusion des pratiques culturelles préislamiques et islamiques en Ouzbékistan m'a poussé à interpréter différemment les propos de ʿUnṣurī sur l'islamisation.
À l'époque préislamique, l'Ouzbékistan abritait trois grands groupes de langue iranienne orientale appelés Khwarezmiens, Sogdiens et Bactriens. Les Khwarezmiens étaient basés dans les parties occidentales et ont nourri des intellectuels tels que le polymathe Al-Bīrūnī. Les parties centrales et orientales de l'Ouzbékistan, y compris les villes de Boukhara, Samarkand, Tachkent et la Vallée de Ferghana, étaient dominées par les Sogdiens connus pour leur extraordinaire aptitude au commerce. Les peintures murales conservées au Musée d'histoire d'Afrasiab á Samarcande représentant des Sogdiens parmi les Chinois Tang, les Turcs Karluk et les Indiens soulignent à la fois le volume des contacts diplomatiques et culturels entre ces groupes et font allusion aux préférences culturelles cosmopolites de leurs commissaires. Enfin, les parties méridionales étaient habitées par les Bactriens. ʿUnṣurī était originaire de cette région située entre les parties sud de l'Ouzbékistan et du Tadjikistan et les parties nord-ouest de l'Afghanistan. Grâce au financement du Centre des sciences historiques de la culture, j'ai pu visiter Termez et ses sites bouddhistes et islamiques situés à la frontière afghano-ouzbèke.
L'empiètement de l'islam et de la langue et de la culture persanes a coïncidé dans l'Asie centrale médiévale et a provoqué une interaction accrue entre ses différentes communautés religieuses. Au cours du voyage de recherche, j'ai consulté de nombreuses sources textuelles et archéologiques qui révèlent que les nouveaux musulmans persophones de l'Asie centrale médiévale ont absorbé plusieurs pratiques religieuses préislamiques. Le culte préislamique de Siyāvash, par exemple, a persisté sous une forme modifiée dans l'oasis de Boukhara (voir L’Histoire de Boukhara écrit par Iṣtakhrī) et sa figure a été incorporée dans le récit du monumental Livre des Rois (Shāhnāma) de Firdausī. Celles-ci suggèrent que l'islamisation était un processus graduel et de longue haleine qui a joué un rôle important dans la revitalisation de la langue persane.
La mémoire historique du Bābur de la dynastie Moghole (r. 1526-30) qui a passé ses premières années dans la vallée de Ferghana dans l'est de l'Ouzbékistan et a régné sur une grande partie de l'Asie du Sud relie également les deux régions. Dans la ville d'Andijan j'ai contacté la Fondation Babur pour une future collaboration. Pour commémorer la fondation de la dynastie et apporter un éclairage critique sur les relations entre l'Asie centrale et l'Asie du Sud au XVIe siècle, je m'efforce d'organiser une conférence internationale à Lausanne. Enfin, j'ai réalisé une recension de la première étude monographique anglaise sur les histoires des Tadjiks et des Ouzbeks pour une revue multidisciplinaire consacrée aux études sur la Route de la Soie et l'Asie centrale.
Journal de terrain (Rio de Janeiro, août-octobre 2022) par Dr. Christophe Monnot. Ce terrain a été soutenue par le CIHSR.
Dans le cadre de mon séjour à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, avec mon collègue, nous avons pu faire plusieurs sensibilisations à la diversité spirituelle, aux représentations métissées et aux bâtiments et places qui soulignent certains pouvoirs religieux et contre-pouvoirs en ville historique de Rio de Janeiro.
Le professeur Toniol organise avec ses étudiants de l’institut de sociologie des tours de quartiers pour monter et enseigner sur la profusion de présence du spirituel. Il faut d’abord signaler que le bâtiment de l’Institut de philosophie et de sciences sociales est lui-même construit sur une place qui était initialement prévue pour une Eglise, qui s’est finalement construite à côté sur pression de l’Eglise. On observe ainsi le pouvoir du catholicisme au Brésil. Détrônée par un projet d’institut universitaire, l’Eglise parviendra tout de même à imposer un bâtiment dans le voisinage immédiat de la place.
Le pouvoir social du spiritisme est une autre particularité du Brésil. Ici, lors d’une des visites des lieux de pouvoir religieux, une étudiante donne l’historique du bâtiment qui a pignon sur rue devant le centre de la Fédération spirite du Brésil.
Si le pouvoir spirituel s’est inscrit dans des bâtiments visibles, des contre-pouvoirs sont perceptibles à l’intérieur même des Eglises. Par exemple cette représentation d’Anastacia (photo3), une sainte populaire, esclave mal traitée par son maître, est reconnaissable par sa bouche recouverte d’une protection de fer imposée par son maître. Cette bouche couverte devait l’empêcher de prêcher les croyances traditionnelles africaines au Brésil selon ses admirateurs ou simplement brider le charme extraordinaire qu’aurait eu cette femme, selon d’autres. Cette dévotion populaire avec ses racines africaines est toujours vive. Elle se pratique à l’intérieur de l’Eglise catholique, jouant sur les deux tableaux : une reconnaissance de la sainte, mais culte souvent parallèle ou « underground ».
Ces représentations d’une spiritualité aux origines africaines débordent d’ailleurs des bâtiments ecclésiaux pour se manifester dans la rue (photo4), ainsi que le questionne cette affiche placardée sur un mur du centre historique de la ville de Rio.
On observe dans cette contrée une effervescence de revendications spirituelles qui questionnent les pouvoirs religieux. Ces revendications s’inscrivent dans la durée au Brésil et sont devenues plus visibles lors de la présidence de Bolsonaro. En effet, plusieurs responsables évangéliques ont profité de sa présidence pour asseoir leur pouvoir. On le constate les pouvoir et contre-pouvoir se font et se défont au gré des circonstances et ce n’est pas la période des élections du parlement et du président à laquelle j’ai assisté qui viendront le contredire !