Rome (22-23 mai 2008)
Nouvelles histoires ; nouveaux enjeux
Gaëtane Maës (Maître de conférences d'Histoire d'art, Université de Lille III)
De la tradition antiquaire à l'histoire de l'art : les «vies» d'artistes vers 1750.
A quelques années d'intervalle, Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville et Jean-Baptiste Descamps publient les deux plus importants recueils français de vies d'artistes : Abrégé de la vie des plus fameux peintres (Paris, 1745-1752, 3 vol.) pour le premier, et La vie des peintres flamands, allemands et hollandois (Paris, 1753-1763, 4 vol.) pour le second. Bien qu'héritiers de la tradition vasarienne, les deux ouvrages marquent un changement du regard sur la peinture puisque celui de Dezallier est le premier à donner davantage de place aux Ecoles septentrionales au détriment de l'art italien et français, tandis que celui de Descamps choisit de s'y consacrer entièrement. Ce changement s'accompagne d'une remise en question du modèle antique et par conséquent du discours sur l'art tel qu'il était élaboré depuis la Renaissance. Ce basculement mérite l'attention car jusqu'à présent, les recueils de vies ont toujours été présentés comme de simples compilations des écrits antérieurs et leurs auteurs ont constamment été décriés pour leur inaptitude supposée à intégrer la moindre nouveauté. Or, dans les années 1730-1750, Dezallier et Descamps ont observé les mutations profondes du contexte artistique français conduisant, entre autres, à l'épanouissement des expositions et à la naissance de la critique d'art. Pour répondre aux attentes d'un public récemment élargi, ils ont dû rompre avec le discours traditionnel sur les oeuvres afin de renouveler certains questionnements anciens et formuler de nouvelles interrogations. Ainsi, le rôle de l'historien est-il de faire connaître les grands maîtres ou bien tous les peintres ? La vie de l'artiste est-elle indispensable pour parler des oeuvres ? Comment évoquer celles-ci ? Par le mode descriptif ou explicatif ? Doit-on évoquer la manière de dessiner d'un peintre pour rendre compte de ses tableaux? Quel statut occupe la gravure originale ou d'interprétation par rapport à l'oeuvre peint ? En passant d'un collectionneur à l'autre, l'oeuvre possède-t-elle aussi une vie propre ? Enfin et surtout, comment articuler ces différents éléments les uns par rapport aux autres ?...
Apporter des éléments de réponse à ces questions qui se posent encore à l'historien d'art d'aujourd'hui, revient à faire l'étude des enjeux, des moyens et des fins des recueils de Dezallier et de Descamps. A travers cette analyse, il s'agira alors de montrer que les écrivains-biographes des années 1750 ont su exploiter la tradition antiquaire de manière novatrice et constructive et qu'à leur manière, ils ont, eux aussi, contribué à l'élaboration de l'Histoire de l'Art comme discipline.