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Brigitte Studer et François Vallotton (éd.), Sozialgeschichte und Arbeiterbewegung 1848-1998 - Histoire sociale et mouvement ouvrier 1848-1998, Chronos, Zürich, 1997.
25 ans après le premier bilan dressé par Marc Vuilleumier («Quelques jalons pour une historiographie du mouvement ouvrier en Suisse», Revue européenne de sciences sociales et Cahiers Vilfredo Pareto, n. 29, 1973), le champ nouveau dont l'article dessinait les contours et appelait au défrichage est aujourd'hui largement construit. Autrefois un champ de bataille, le territoire s'est largement apaisé à mesure que le mouvement ouvrier se rapprochait, selon le constat lapidaire de Brigitte Studer, de sa «quasi-disparition en tant qu'acteur social». Bonne nouvelle, en théorie, pour l'historien-ne, car il est «plus aisé d'historiciser ce qui semble définitivement appartenir au passé». Mais qui s'intéresse à ce qui n'appartient qu'au passé? Pour Bernard Degen l'histoire du mouvement ouvrier suscite à la fois moins de résistances institutionnelles et moins d'intérêt depuis qu'elle a perdu sa force de rupture politique des années '60 et '70. Intégrée à l'histoire nationale depuis les années '80, elle se trouve menacée selon Hans Ulrich Jost d'une nouvelle marginalisation face à la «toute-puissance actuelle du néolibéralisme». Lieu de réflexion et outil de travail, ce nouveau bilan en forme de puzzle est donc aussi un appel à la résistance.
Au-delà de ces constats sombres qui planent sur l'entreprise, la visite guidée des chantiers ouverts depuis les années '70 se révèle très réjouissante. Nouveaux objets: après les événements majeurs – la grève générale, la paix du travail –, les grandes organisations – la Première internationale, le PS, l'USS – et les grands hommes, c'est le fourmillement de la petitesse – courants mineurs, événements locaux, petites gens – qui élargit le champ de vision de l'historienne. Nouvelles approches: de l'histoire de la construction des organisations ouvrières on est passé à l'étude de l'identité collective – culture, conscience, valeurs –, du milieu et du mode de vie. Nouvelles problématiques: les travaux sur la consommation révèlent des formes de changement socio-culturel venant d'en bas, l'étude des relations industrielles éclaire le rôle joué par le mouvement ouvrier dans la constitution d'un capitalisme organisé, l'examen de la culture ouvrière fait apparaître un liant jusqu'ici négligé dans le processus de cohésion sociétal. De l'histoire – essentiellement institutionnelle – du mouvement ouvrier on est ainsi passé à une histoire sociale qu'on appellera désormais, pour marquer le tournant epistémologique, histoire ouvrière.
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