Dans le champ cinématographique, les films portant sur la vie de Jésus ont été recensés par Roy KINNARD et Tim DAVIS dans l'ouvrage Divine Images : A History of Jesus on the Screen (1992), ou sur des sites Internet offrant un inventaire encore plus détaillé, comme par exemple: http://www.postfun.com/pfp/features/98/mar/chronlist.html, http://www.flickerings.com/2004/films/jesusmovies/index.htm ou http://us.imdb.com/find?q=jesus;s=tt. Ces recensements dénombrent quelque trois cents titres. Toutefois, comme ils ne donnent lieu qu'à des analyses cursives dépourvues de bases méthodologiques, le travail qui consiste à effectuer des comparaisons, à établir une typologie et à discuter la répartition géopolitique et historique des variantes reste à faire.
Un certain nombre de collectifs se consacrent aux connotations christiques dans des univers filmiques qui ne sont pas ancrés dans l'époque de Jésus, à l'instar du numéro 10-11 des Etudes cinématographiques, dirigé par Michel ESTEVE et consacré à La Passion du Christ comme thème cinématographique (1961) et de Spuren des Religiösen im Film. Meilensteine aus 100 Jahren Filmgeschichte dirigé par Peter HASENBERG, Wolfgang LULEY et Charles MARTIG (1995). Matthew MCEVER examine cette tendance méthodologique dans «The Messianic Figure in Film : Beyond the Biblical Epic», Journal of Religion and Film 2/2, 1998.
Quant aux films qui présentent le personnage de Jésus dans son époque, ils ont été très peu traités par les historiens du cinéma. Hormis l'ouvrage d'Henri AGEL, Le Visage du Christ à l'écran (1985), ce n'est guère que dans les sous-chapitres des études sur le genre du péplum - elles-mêmes rares parce que consacrées à un genre généralement mésestimé par les historiens du cinéma - que l'on peut trouver des analyses proprement filmiques. Voir : Bruce BABINGTON & Peter William EVANS, Sacred Narrative in the Hollywood Cinema (1993) (« The Lives of Christ : The Greatest Story ever screened »: p.98-109), Gerald E. FORSHEY, American Religious and Biblical Spectaculars (1992) (« The Jesus Cycle », p.83-121), Jon SOLOMON, The Ancient World in the Cinema (1978) (« The New Testament and Tales of the Christ », p.176-223).
Cependant, la question de la représentation filmique de Jésus a fait l'objet de nombreuses études dans le domaine de la théologie, ainsi qu'en témoignent de façon significative les sites Internet traitant de notre problématique qui comprennent exclusivement des textes rédigés par des théologiens : http://post.queensu.ca/~rsa/Real2Reel/realreel.htm, http://www.ntgateway.com/film, http://www.jesusfilme.uni-tuebingen.de/links.htm. Si, en France, Pierre Prigent est presque le seul à avoir traité ce thème - dans Jésus au cinéma (1997) - un grand nombre de théologiens anglophones (et tout spécialement américains) y ont travaillé. Voir : Lloyd BAUGH, Imaging the Divine: Jesus and Christ-Figures in Film (1997), et, du même, « La rappresentazione di Gesù nel cinema : problemi teologici, problemi estetici », Gregorianum, II, n°82 (2001) ; Peter FRASER, Images of the Passion. The Sacramental Mode in Film (1998) ; Peter MALONE, Movie Christs and Antichrists (1988) ; Richard C. STERN, Clayton JEFFORD & Guerric DEBONA, Savior on the Silver Screen (1999) ; W. Barnes TATUM, Jesus at the Movies: A Guide to the First Hundred Years (1998) ; William R. TELFORD, « Jesus Christ Movie Star : The Depiction of Jesus in the Cinema », in Explorations in Theology and Film (1997) ; et Richard WALSH, Reading the Gospels in the Dark : Portrayals of Jesus in Film (2003).
Mais ce sont principalement les théologiens allemands qui ont exploré la question des représentations cinématographiques de Jésus, notamment dans des recueils, comme Hermann GERBER & Dietmar SCHMIDT, Christus im Film: Beiträge zu einer umstrittenen Frage (1967) ; Karl-Eugen HAGMANN & Peter HASENBERG, Jesus in der Hauptrolle : Zur Geschichte und Ästhetik der Jesus-Filme (Film-dienst EXTRA, nov. 1992). Dans l'espace germanique, ces recherches ont été surtout menées sous l'impulsion du théologien Reinhold ZWICK qui s'est spécialisé dans l'analyse du genre des « films de Jésus », en publiant plusieurs articles et ouvrages et en dirigeant des publications collectives. Dans ses études, il adopte des axes d'analyse variés. On peut notamment citer: « Entmythologisierung versus Imitatio Jesu. Thematisierungen des Evangeliums in Denys Arcands Film Jesus von Montreal », Communicatio Socialis, XXIII, n°2 (1990) ; « Christusfiguren im Musikvideo», Kunst und Kirche, n°57 (1994) ; « Die Ressourcen sind nicht erschöpft. Die Jesusfigur im zeitgenössischen Film », Herder Korrespondenz, n°49 (1995) ; Evangelienrezeption im Jesusfilm. Ein Beitrag zur intermedialen Wirkungsgeschichte des Neuen Testaments (1997); Von Oberammergau nach Hollywood. Wege der Darstellung Jesu im Film (1999) (dirigé avec Otto HUBER) ; « Oberammergau, die Vierzigste. Zur Neuinszenierung des Passionsspiels », Herder Korrespondenz, n°54 (2000) ; « Jesus im Plural. Ein Streifzug durch das Kino der letzten Dekade », in Weltreligionen im Film. Christentum, Islam, Judentum, Hinduismus, Buddhismus (2002). Reinhold Zwick vient par ailleurs de publier, avec Thomas Lentes, un ouvrage relatif au film La Passion du Christ de Mel Gibson intitulé Die Passion Christi. Der Film von Mel Gibson und seine theologischen und kunstgeschichtlichen Kontexte (2004).
Le film de Gibson a en effet déclenché une inflation bibliographique considérable en ce qui concerne la représentation cinématographique de Jésus. Cet engouement atteste d'un renouvellement de l'intérêt pour notre problématique non seulement auprès des théologiens - voir notamment Kathleen E. CORLEY & Robert L. WEBB, Jesus and Mel Gibson's "The Passion of the Christ": The Film, the Gospels and the Claims of History (2004) ; ou le huitième numéro du Journal of Religion and Film, entièrement consacré à Exploring Mel Gibson's The Passion of the Christ (2004) - mais également auprès du grand public - l'article du New-York Times du vendredi 30 janvier 2004, « On Jesus Films », signé par A. O. SCOTT, en est emblématique.
Cet intérêt existe également en Suisse ; en témoignent, outre les travaux des théologiens Charles MARTIG, Thomas BINOTTO ou Matthias LORETAN, le reportage TV de Martin GOODSMITH (Jésus-Christ, star de cinéma, SRG-TSR1, 2.4.1999), le mémoire de licence de Véronique YERSIN (Inri : l'image de la Crucifixion au cinéma, 2002) ou celui de Beata BALOGHOVA (Vom Buch der Bücher zum Film der Filme ? Zur Darstellung Jesu Christi im Film anhand von drei Beispielen, 2003).
En ce qui concerne plus spécifiquement la question de la fonction des Passions filmées du cinéma des premiers temps, beaucoup d'articles récents lui sont consacrés: notamment les nombreuses études de l'historien Charles MUSSER - The Emergence of cinema : the American Screen to 1907 (1990); Before the Nickelodeon : Edwin S. Porter and the Edison Manufacturing Company (1991); «La Passion et les Mystères de la Passion aux Etats-Unis 1880-1900 » in Une invention du diable ? Cinéma des premiers temps et religion (1990) - ou des textes comme:Noël BURCH, chapitre « Passions, poursuites : d'une certaine linéarisation » dans La Lucarne de l'infini (1990); Roland COSANDEY, André GAUDREAULT & Tom GUNNING, Une invention du diable ? Cinéma des premiers temps et religion (1992) ; Thomas ELSAESSER (éd.), Early Cinema : Space, Frame, Narrative (1990); André GAUDREAULT, Catherine RUSSEL & Pierre VERRONNEAU (éd.), Le Cinématographe, nouvelle technologie du XXe siècle (2004) ; Pierre GUIBBERT (dir.), Les Premiers ans du cinéma français (1985). Les thèses soutenues mériteraient cependant d'être éprouvées sur les bandes elles-mêmes et, pour la fin de la période, confrontées aux textes des scénarios (qui ont été déposés entre 1907 et 1914 à la Bibliothèque Nationale de Paris par les firmes Gaumont et Pathé). Toute avancée dans ce domaine ne peut que fournir un apport capital pour l'histoire et la théorie du cinéma, puisque plusieurs postulats importants sont issus de ce contexte.
Cet état de la recherche exclut les ouvrages monographiques qui n'abordent qu'un seul film - visant généralement à inscrire le film dans la carrière d'un cinéaste, obéissant ainsi à un objectif inverse du nôtre -, ni les ouvrages généraux sur l'histoire du cinéma, ni les multiples articles de presse proposant une critique de films particuliers (à moins que ceux-ci n'aient soulevé une polémique). Ces textes ou passages d'ouvrages devront néanmoins faire l'objet d'un dépouillement raisonné afin d'obtenir des informations paratextuelles sur les films (lieux de tournages, motivation du choix de l'acteur, etc.) et de définir, en les historicisant, les grands paradigmes qui ont régi la réception des films sur le Christ.
En conclusion, on peut considérer qu'à ce jour notre problématique est principalement la propriété de chercheurs issus de la théologie. Nous constatons donc une carence en approches qui envisageraient une majorité des oeuvres du corpus dans une perspective esthétique tout en les inscrivant dans l'histoire socioculturelle (notamment à travers une analyse de la réception) et technologique du médium. En recourant aux acquis récents de la théorie du cinéma, nous entendons fournir à cet égard des bases rigoureuses. En outre, les études de cas conduites dans une optique interdisciplinaire permettront de rediscuter certaines notions, nourrissant ainsi en retour la théorie du cinéma.