Clinique et interventions

Soutien à l’emploi pour les personnes souffrant de troubles de la personnalité

L’accès ou le retour à l’emploi constitue un défi difficile à relever pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale, alors même qu’il peut représenter un facteur de rétablissement important. On sait aujourd’hui qu’il est probablement plus utile pour la réinsertion professionnelle des individus sujets à des troubles psychologiques sévères de soutenir les efforts allant vers un retour à l’emploi rapide (modèle du Working First ou Place then Train), plutôt que d’attendre un rétablissement symptomatique et fonctionnel (modèle classique du Train then Place, p.ex. ateliers protégés). Pour les personnes souffrant de troubles de la personnalité, réintégrer le marché de l’emploi compétitif peut s’avérer en comparaison relativement aisé. Par contre, maintenir sa place de travail sur une longue période se révèle souvent très problématique, car les dysfonctionnements relationnels sévères qui accompagnent ce type de pathologies affectent négativement les rapports avec les collègues et employeurs souvent démunis face à ce type de difficultés. S’ensuivent licenciements ou démissions qui émaillent toute la carrière.

Des programmes comme IPS (Individual Placement and Support) proposent un soutien à l’emploi de type « Place then Train » sans condition d’admission autre que le souhait de travailler. La recherche évaluative a bien documenté l’intérêt de ce type de programme auprès des populations souffrant de troubles mentaux sévères. Par contre, leur portée semble plus limitée pour les individus présentant des personnalités pathologiques, sans doute parce que leurs difficultés relationnelles affectent également l’alliance et la collaboration avec les intervenants, tels les job coaches. Des méthodes de soutien à l’emploi inscrites dans la mouvance du Working First, comme l’IPS, se révèlent donc souvent insuffisantes pour aider les acteurs de terrain à mieux composer avec ces sujets difficiles.

Nos projets de recherche dans ce domaine, réalisés en collaboration avec le Service de psychiatrie communautaire du Département de psychiatrie CHUV (PCO) et aussi le Centre de recherche en psychologie du conseil et de l’orientation de l’Institut de psychologie (Cepco, UNIL) visent à mieux comprendre les aléas professionnels des personnes présentant des personnalités problématiques, et à développer puis valider des moyens d’évaluation et d’intervention qui complètent l’offre des programmes de soutien à l’emploi comme IPS.

Évaluation des difficultés, besoins et ressources

La plupart des modèles étiopathogéniques actuels des troubles mentaux se réfèrent au modèle générique diathèse-stress. Ce modèle suppose que le développement des troubles, leur chronicisation ou le rétablissement de la santé mentale, répondent à des équations complexes mêlant vulnérabilité psychobiologique, facteurs de stress internes ou externes, et ressources individuelles et sociales.

Si l’évaluation objective de ces paramètres reste incontournable pour la compréhension des difficultés psychiques et la mise en œuvre de traitements efficaces, l’auto-évaluation subjective s’avère également très utile et ne devrait pas être négligée. D’une part, les modèles du rétablissement montrent que les notions de bien-être et de croissance personnelle ne sont plus forcément synonymes de réduction des symptômes ; d’autre part, il paraît difficile d’envisager des suivis thérapeutiques qui ne prennent pas en considération la perception subjective des difficultés, besoins et ressources de la personne en souffrance.

Nous avons développé dans ce domaine deux outils d’auto-évaluation basés sur un système de tri de cartes et d’entretiens semi-directifs : les Échelles lausannoises d’auto-évaluation des difficultés et des besoins ELADEB, et l’Auto-évaluation des ressources AERES. Dans le champ de la réhabilitation psychosociale des patients psychiatriques, ces deux outils, qui peuvent être utilisés de manière indépendante, dressent un profil général des difficultés, besoins et ressources qui pourra être pris en considération dans l’élaboration d’une stratégie de suivi thérapeutique plus en écho avec les attentes des patients.

Déjà répandus au sein de multiples institutions psychiatriques et psychosociales en Suisse et en France, ces outils commencent à susciter également de l’intérêt en dehors du champ de la psychiatrie ou de la psychologie clinique, comme la psychologie du sport (ELADEB version sport), l’orientation scolaire et professionnelle (AERES, version Transition professionnelle), ou la psychologie de la santé. Des versions en ligne sont également à l’étude, tout comme le développement de modules complémentaires pour AERES visant à associer aux résultats de l’auto-évaluation des propositions d’intervention simples basées sur la psychologie positive.

Liens :

 

Interventions par internet

De nombreuses données suggèrent que les interventions par Internet sont tout aussi efficaces que les thérapies en face -à-face (Andersson, 2018 ; Andersson et al., 2019). Cependant, les recherches portant à la fois sur le potentiel de cette prestation de services moderne et sur la disponibilité d'interventions sur Internet validées empiriquement sont encore très rares dans les pays francophones.

Un domaine de recherche que le CARLA est en train de développer est celui des interventions sur Internet dans le domaine du deuil et de la perte. Il est connu que la perte d'un être cher, que ce soit par décès, divorce ou séparation, est à la fois une expérience courante et particulièrement stressante. Certaines personnes éprouvent en effet de grandes difficultés à faire face à un tel événement qui peut entraîner une augmentation des problèmes de santé mentale. L'équipe collabore avec les universités de Berne et de Zürich pour développer différentes interventions innovantes sur Internet, avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique et de LIVES (le centre suisse d'expertise en recherche sur les parcours de vie).

Plus d'informations sont disponibles ici : www.psyconsultonline.ch et ici.

Modules d’autoformation en techniques d’intervention comportementales et cognitives
La thérapie comportementale et cognitive réunit un ensemble de plus en plus étendu et varié de techniques d’intervention. Or en-deçà de leur usage en psychothérapie, ces techniques sont également employées par des psychologues cliniciens, des conseillers mais aussi d’autres professionnels de la santé mentale. Même si l’expérience directe et supervisée de ces techniques lors des séances d’intervention reste le moyen privilégié de développer et asseoir sa compétence, l’apprentissage de ces techniques peut être facilité, notamment pour les étudiant∙e∙s universitaires qui ont peu accès aux milieux cliniques, par des exercices spécifiques. Nous mettons progressivement en place et évaluons des modules d’autoformation en ligne complémentaires à un cours de master d’introduction aux techniques d’intervention comportementales et cognitives.
Addictions comportementales

Nous menons des recherches approfondies sur la conceptualisation et le diagnostic des dépendances comportementales (aussi appelées comportements addictifs non liés à une substance, tels que troubles liés au jeux vidéo et au jeux de hasard), ainsi que sur l'étude des mécanismes psychologiques impliqués dans l'apparition, le maintien et la rechute de ces troubles (par ex., les traits de personnalité, déficits et biais cognitifs). Nous nous intéressons également à la recherche épidémiologique sur les comportements de dépendance en ligne (ou cyberdépendances) et conduisons des recherches visant à développer et à valider (a) des outils de dépistage pour identifier les dépendances comportementales (par exemple, la consommation de pornographie) ou (b) des questionnaires mesurant des dimensions psychologiques sous-jacentes aux dépendances comportementales (par ex., croyances dysfonctionnelles, « craving », les motivations liées au jeu en ligne).

Résultats de recherche représentatifs et publications connexes :

Notre groupe a été le premier à élaborer ce qui est maintenant décrit comme "l'approche confirmatoire des dépendances comportementales". En bref, l’approche confirmatoire fait référence à des situations où des comportements potentiellement excessifs (par ex., travailler, manger, jouer) sont a priori conceptualisés comme de véritables addictions et évalués selon des critères transposés des connaissances issues des recherches menées sur les troubles liés à la consommation de substances (SUD). Nous avons critiqué cette approche dominante en montrant qu'elle néglige potentiellement d'autres étiologies potentielles(par ex., les phénomènes de coping inadaptés) et participe à un sur-diagnostic et à une pathologisation inappropriée. Notre article de référence sur cette question a été publié en 2015 dans le Journal of Behavioral Addictions.

Billieux, J., Schimmenti, A., Khazaal, Y., Maurage, P., & Heeren, A. (2015). Are we overpathologizing everyday life? A tenable blueprint for behavioral addiction research. Journal of Behavioral Addictions, 4(3), 119-123. https://doi.org/10.1556/2006.4.2015.009

Kardefelt-Winther, D., Heeren, A., Schimmenti, A., van Rooij, A., Maurage, P., Carras, M., Edman, J., Blaszczynski, A., Khazaal, Y., & Billieux, J. (2017). How can we conceptualize behavioral addiction without pathologizing common behaviors? Addiction, 112, 1709-1715. https://doi.org/10.1111/add.13763

Perales, J.C., King, D.L., Navas, J.C., Schimmenti, A., Sescousse, G., Starcevic, V., van Holst, R., & Billieux, J. (2020). Learning to lose control: A process-based account of behavioral addiction. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 108, 771-780. https://doi.org/10.1016/j.neubiorev.2019.12.025

Nous avons également proposé le premier modèle psychologique des facteurs impliqués dans l’utilisation addictive du téléphone portable. Ce modèle, qui décrit différents (pathways) menant à l’utilisation addictive du téléphone portable, est devenu dominant dans le champ et a été la base d’un nombre important de recherche empirique internationales.

Billieux, J. (2012). Problematic Mobile Phone Use: A literature review and a pathways model. Current Psychiatry Reviews, 8, 299-307. https://doi.org/10.2174/157340012803520522

Billieux, J., Maurage, P., Lopez-Fernandez, O., Kuss, D.J., & Griffiths, M.D. (2015). Can disordered mobile phone use be considered a behavioral addiction? An update on current evidence and a comprehensive model for future research. Current Addiction Reports, 2; 156-162. https://doi.org/10.1007/s40429-015-0054-y

 

Problématique des TICs

Avec l’avènement des technologies de vidéo à la demande (p.ex., Netflix, Amazon prime, ou Hulu), la pratique du binge-watching (visionnage boulimique ou en « rafale » de plusieurs épisodes de séries TV à la fois) s’est largement popularisée ces dernières années. L’augmentation de cette tendance dans les comportements de visionnage a toutefois soulevé l’inquiétude des universitaires et cliniciens concernant le potentiel nuisible, voire addictif, de cette conduite d’allure excessive. Notre recherche porte sur la compréhension de la psychologie du binge-watching sain et problématique. Nous nous intéressons aussi particulièrement à l’analyse des caractéristiques structurelles des séries TV pouvant faciliter l’initiation, le développement et le maintien des comportements de binge-watching.

Résultats de recherche représentatifs et publications liées:

Nous avons mené des travaux pionniers dans ce champ de recherche émergeant pouvant ouvrir la voie à de futures recherches sur le binge-watching qui soient éclairées sur le plan théorique et psychométrique. Plus spécifiquement, nous avons apporté (1) des instruments de mesure valables et solides pour explorer ce nouveau phénomène comportemental parmi un vaste éventail de cultures; (2) des premières clarifications concernant les processus psychologiques sous-tendant un engagement élevé - mais sain - et un engagement problématique dans le binge-watching; et (3) une conceptualisation alternative impliquant des stratégies de coping ou de régulation émotionnelle maladaptées dans l’étiologie et le maintien d’un comportement problématique de binge-watching.

Flayelle, M., Canale, N., Maurage, P., Vögele, C., Karila, L., & Billieux, J. (2019). Assessing binge-watching behaviors: Development of the « Watching TV Series Motives » and the « Binge-Watching Engagement » questionnaires. Computers in Human Behavior, 90, 26-36.

Flayelle, M., Maurage, P., Karila, L., Vögele, C., & Billieux, J. (2019). Overcoming the unitary exploration of binge-watching: A cluster analytical approach. Journal of Behavioral Addictions, 8, 586-602.

Flayelle, M., Maurage, P., Vögele, C., Karila, L., Billieux, J. (2019). Time for a plot twist: Beyond confirmatory approaches to binge-watching research. Psychology of Popular Media Culture, 8, 308-318.

Flayelle, M., Castro-Calvo, J., Vögele, C., Astur, R., Ballester-Arnal, R., Challet-Bouju, G., Brand, M., Cárdenas, G., Devos, G., Elkholy, H., Grall-Bronnec, M., James, R., Jiménez Martínez, M., Khazaal, Y., King, D., Liu, Y., Lochner, C., Steins-Loeber, S., Long, J., Potenza, M., Rahmatizadeh, S., Schimmenti, A., Stein, D., Tóth-Király, I., Tunney, R., Valizadeh-Haghi, S., Wang, Y., Wei Zhai, Z., Maurage, P., & Billieux, J. (2020). Towards a cross-cultural assessment of binge-watching: psychometric evaluation of the « Watching TV Series Motives » and « Binge-Watching Engagement and Symptoms » questionnaires across nine languages. Computers in Human Behavior, 111, 106410.

La représentation au cinéma des troubles psychologiques et de leur traitement

Les films ou séries télévisées participent auprès du public à la construction de sa représentation d’une réalité qu’il lui est plutôt méconnue, comme une profession ou un domaine scientifique particuliers. Les films de fiction, contrairement aux documentaires, n’ont pas vocation d’être aux yeux du public des miroirs de la réalité puisqu’ils doivent également répondre à un certain nombre de règles scénaristiques ou esthétiques en général bien connues et attendues. On peut ainsi toujours se demander ce qui prime dans la façon de montrer la réalité au cinéma, à savoir la vérité documentaire, la représentation sociale plus générale véhiculée par les mass-médias, ou les règles inhérentes à l’art cinématographique sur le plan du scénario, de la mise en scène ou d’autres aspects esthétiques. La représentation au cinéma des troubles mentaux, de la psychothérapie ou des professionnels de la santé mentale a longtemps laissé s’imposer les figures caricaturales d’un thérapeute diabolique, farfelu ou romantique, souvent psychiatre, avec une prédilection pour les thérapies psychanalytiques ou l’hypnose (et des traitements somatiques, comme les électrochocs, la neurochirurgie ou la pharmacothérapie). Au cours des deux dernières décennies la vision cinématographique des professionnels de la santé mentale et de leurs activités apparaît plus nuancée, mais n’est pas exempte de stéréotypes peut-être plus subtils ou moins limités que par le passé.

Nous cherchons à mettre en évidence les éléments clés de la représentation des troubles mentaux et de leurs thérapies au cinéma et dans les séries télévisées en nous appuyons notamment sur l’analyse détaillée d’extraits illustrant par exemple des séquences de psychothérapie ou montrant des personnes qui extériorisent signes et symptômes de certains troubles mentaux. Ces extraits sont décodés à partir de grilles d’observation utilisées en psychologie clinique et adaptées au matériel filmique. Elles permettent d’identifier les stéréotypes et à en explorer la fréquence et la nature. Nous cherchons entre autres à savoir si ceux-ci reflètent l'adhésion des auteurs à certaines représentations sociales répandues, ou s'ils semblent résulter de règles et de codes spécifiques liés à un genre particulier ou à l'esthétique propre des réalisateurs.

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