Caterina Franco

Caterina Franco, Dr en architecture, est post-doctorante depuis mai 2021 au sein de l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne-site de Sion et au sein du Centre interdisciplinaire de recherche sur la montagne. Son travail de recherche porte sur la trajectoire et l’obsolescence des infrastructures et des établissements touristiques.

 

Interview du 20 juin 2022

 

Mélanie Clivaz (MC): Qu’est-ce qui t’as amenée vers l’architecture ?

 

Caterina Franco (CF) : Ce que m’intéresse dans l’architecture, et dans l’histoire de l’architecture en particulier, c’est comprendre comment l’homme habite et a habité la Terre, à l’échelle de l’édifice, de la ville et du territoire.

 

 

MC : Dans ta recherche post-doctorale, tu t’intéresses à la trajectoire et aux enjeux actuels des stations touristiques hivernales. Peux-tu nous en dire plus sur tes axes de recherche ?

 

CF : Depuis ma thèse de doctorat, je travaille sur l’histoire des stations de sports d’hiver construites dans les années 1960-70 à haute altitude. Après des recherches menées sur les Alpes franco-italiennes, je m’attache, dans le cadre de ce post-doctorat, à étudier le contexte valaisan. Je suis convaincue que la compréhension du passé est nécessaire à la connaissance profonde de notre présent. Par exemple, on a tendance à se contenter d’une définition de ces établissements comme étant implantés dans des sites dits « vierges » ; pourtant, l'étude des relations entre ces projets et les composantes environnementales, historiques, culturelles des sites de haute montagne permet d’éclaircir l’origine d’une série de problématiques actuelles, notamment autour de l’exploitation des ressources foncières ou naturelles…

 

 

MC : Tu utilises des méthodes de l’histoire environnementale ?  Quelles sont-elles ?

CF : Je me réfère à certains historiens de l’environnement, dont William Cronon. Je suis fascinée par l’idée de « réintroduire la nature dans le flux de l’histoire ». Il s’agit pour moi de construire un récit à partir des interactions entre homme et nature, voire entre projets d’aménagement et environnement. Cette ambition entraine l’élargissement des cadres spatiaux et temporels. Il s’agit de passer de l'étude de la construction d’un édifice, à la compréhension d'un long processus de mise en tourisme d’un territoire. Cela implique notamment d’accepter une multiplication de sources (archives textuelles, cartes anciennes, presse locale, images, dessins de projets, plans...)

 

MC : Qu’est-ce que l’obsolescence des infrastructures/établissements touristiques ?
 

CF : On pourrait partir du sens général du mot « obsolescence », qui pour moi signifie la non-adéquation d’un certain objet (matériel ou immatériel) au mode de relations à la fois économiques, sociales, culturelles qui construisent le sens et garantissent l’usage de l’objet lui-même.

Je pense qu’on pourrait élargir notre réflexion autour des infrastructures et établissements touristiques en regardant l’obsolescence comme une phase dans une trajectoire territoriale (comme Claude Raffestin nous le rappelle, en écrivant autour du concept de « friche »). Cela nous met dans la position de considérer des scénarios futurs, de nous interroger autour de la préservation de l’objet devenu obsolète, pour la mémoire historique qu’il porte, d’en envisager une refonctionnarisation ou une régénération, voire d’interroger la place de la « ruine touristique » dans notre société. Je pense qu’il faut aller au-delà d’un discours qui demande l’effacement de tout objet obsolète de la montagne, car la montagne comme d’autres environnements porte depuis toujours la marque de l’homme.

 

MC : Comment une infrastructure/établissement touristique devient-elle obsolète ?
CF : Dans le cadre des stations de sports d’hiver, on pose souvent le changement climatique et le manque de neige qui en résulte, comme la raison principale entrainant l’obsolescence d’une série de centres construits aux altitudes moins élevées. C’est notamment le cas dans les Alpes italiennes, dans plusieurs villages qui se sont développés comme stations hivernales dans les années 1950 et 1960, ou de quelques projets de stations de troisième génération autour de Cuneo. En France, le chercheur Pierre Alexandre Métral compte environ 170 stations fantômes dans les montagnes françaises.

On pourrait aussi poser l’hypothèse d’une inadaptation au contexte actuel des stations intégrées, conçues dans les années 1960-70 pour une fréquentation de la montagne basée sur des séjours longs dans des appartements-studios. La demande semble en effet glisser vers des temporalités et des spatialités différentes. D’autres facteurs peuvent accélérer le processus d’obsolescence, comme le contexte normatif concernant des standards écologiques ou énergétiques dans la rénovation de l’immobilier ou dans le renouvellement des concessions des remontées mécaniques.

Toutefois, je pense que chaque cas et chaque contexte demandent une étude ad hoc, pour comprendre l’origine de ces dynamiques à l’intérieur d’une histoire géographique, culturelle, économique, environnementale qui lui est propre.

 

 

MC : Quels sont tes sites d’étude ? 
 

CF : Je m’intéresse en particulier aux stations valaisannes d’Aminona, sur la commune de Crans-Montana et de Thyon 2000, sur la commune de Vex. Il s’agit de stations dites « intégrées », mais dont l’histoire révèle d’autres aspects : les deux représentent les restes de projets d’envergure non aboutis, et témoignent d’une fragmentation d’initiatives et d’acteurs qui est très loin de l’idée française du « promoteur unique » qui régit l’exploitation à la fois de l’immobilier et du domaine skiable. Ces deux exemples nous amènent aussi à questionner l’obsolescence d’un modèle touristique. Même si les deux stations sont en activité et les domaines skiables autour demeurent assez fréquentés, on peut quand même y retrouver des signes de « vétusté », que ça soit dans le traitement des espaces extérieurs, dans la sous-occupation des lits, dans la fermeture des remontées mécaniques ou des espaces commerciaux (dans le cas d’Aminona).

 

 

MC : Quels sont tes premiers résultats  ? 

 

CF :  Jusqu’au présent, je me suis attachée à construire une histoire de ces deux lieux, travaillant plusieurs mois aux Archives de l'État du Valais et sur la presse ancienne locale. J'ai essayé de montrer les relations entre l’évolution (controversée) des projets entre 1960 et 1980 et les caractères environnementaux et historiques des sites. Cela m’amène de plus en plus à réfléchir aux relations entre tourisme hivernal et ressources locales, dans l’histoire et aujourd’hui.

 

 

MC : Comment éviter l’obsolescence  ? 

 

CF : Avant de répondre à cette question, je pense qu’on devrait en poser une autre : est-il possible d’éviter l’obsolescence dans notre société ?

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