Nicolas Meylan

Nicolas Meylan est Maître d'enseignement et de recherche à l'Institut d'histoire et anthropologie des religions (IHAR) de l'Université de Lausanne. Historien des religions, ses recherches portent sur l’épistémologie des sciences religieuses et sur l’histoire religieuse de la Scandinavie médiévale.


Interview du 16 janvier 2024
 

Jeanne Fournier (JF) : Quels sont les principaux axes de recherche que vous poursuivez ? 

Nicolas Meylan (NM) : Il y en a deux, que j’essaie d’intégrer. Le premier porte sur l’Islande et la Norvège médiévales. J’explore leur littérature – notamment les sagas – pour comprendre comment on pensait la royauté, et plus particulièrement pour voir si – et comment – on attaquait cette institution (l’Islande jusqu’au milieu du XIIIe siècle n’a pas de roi, mieux elle se comprend comme une société contre le roi). Or, un moyen pour articuler les critiques consiste à mobiliser des discours religieux (magie, paganisme, etc.). Le second axe est davantage historiographique et théorique : qu’est-ce que c’est que l’histoire des religions ? Comment la refonder suite au tournant postmoderne et sa critique dévastatrice du concept même de “religion” ?  

  

JF : Pouvez-vous partager une découverte ou un aspect fascinant de votre recherche qui a particulièrement retenu votre attention récemment ?  

NM : Travaillant sur le concept de royauté sacrée, je m’étais dit que Jeanne d’Arc serait sûrement une figure intéressante à prendre en compte. De fil en aiguille j’en suis arrivé à la Jeanne de Shakespeare (1 Henry VI) – sans doute un personnage fascinant, qui pose bien des questions et qui me permet de reprendre l’analyse de ce concept anthropologique sous un angle différent. 

  

JF : Pouvez-vous nous donner un aperçu des méthodologies ou des approches spécifiques que vous employez dans votre travail de recherche en histoire des religions ? 

NM : Je pourrais répondre ici que j’emploie une approche critique, mobilisant l’analyse discursive ainsi que la comparaison (de variantes surtout), mais peut-être que la meilleure façon de présenter mon travail est de simplement dire que je cherche à lire des textes avec le plus d’attention possible.  

  

JF : L'interdisciplinarité joue-t-elle un rôle significatif dans votre recherche en histoire des religions ? Pouvez-vous expliquer en quoi cela enrichit vos analyses ? 

NM : Oui, l’interdisciplinarité a une grande importance pour mon travail, et je crois plus généralement pour la discipline, peut-être du fait qu’elle a de la peine à se trouver une identité stable. J’ai ainsi intégré des questionnements et des outils issus notamment de la linguistique et de l’anthropologie à mes travaux sur l’Islande médiévale – un domaine largement dominé par les approches philologiques et historiques. Plus généralement, cette dimension interdisciplinaire répond à une injonction théorique de l’histoire des religions : constituer le terrain historique en exemple, en cas, de sorte qu’il permette d’éclairer un problème plus général en sciences humaines et sociales. 

  

JF : Comment envisagez-vous l’application pratique de vos résultats de recherche dans la société contemporaine ?  

NM : Travailler sur des discours religieux d’autres sociétés – c’est-à-dire des discours qui prétendent parler de choses plus qu’humaines avec une autorité elle aussi plus qu’humaine – c’est travailler sur des formes particulièrement puissantes d’idéologie et qui présentent l’avantage de ne pas exiger de défamiliarisation. Leur étude critique s’en trouve facilitée, et les leçons que l’on en tirera risquent fort bien de trouver application chez nous, et ce malgré notre prétention à évoluer dans un monde désenchanté. 

  

JF : Quels sont, selon vous, les défis majeurs lorsqu'il s'agit de communiquer les résultats de vos recherches à un public non spécialisé ? Et comment pouvez-vous les surmonter ?  

NM : Pour moi, le défi majeur est de vulgariser la théorie. C’est une chose de décrire, pour un journal ou une émission radio, un bateau viking ou de présenter les montagnes de la mythologie scandinave, c’est en est une autre d’expliquer que le paganisme scandinave est un phénomène fondamentalement discursif, qui se constitue dans et par des textes des XIIe et XIIIe siècles (donc longtemps après la conversion au christianisme). Et c’est pourtant la seconde qui me paraît plus importante à transmettre. Comment surmonter ce défi ? Le secret consiste sûrement à donner à cela une forme narrative attrayante, mais je ne peux pas dire que j’en aie trouvé la clef !  

  

JF : Dans quelle mesure pensez-vous que la collaboration avec le CIRM pourrait bénéficier à l'Institut d'histoire et anthropologie des religions ? Quels apports spécifiques envisagez-vous grâce à cette collaboration ? 

NM : Le CIRM propose un objet commun qui a le grand avantage d’être fédérateur. Nous avons toutes et tous des montagnes dans nos corpus, même si nos questions, méthodes, et théories varient fortement. Il y a là au minimum une invitation à la discussion. Or, en ouvrant la discussion à des collègues au-delà de nos cercles usuels, nous allons nécessairement nous créer des surprises. Nous n’avons en effet pas l’habitude de comparer le Mont Meru – l’axe du monde dans la cosmographie indienne – aux Diablerets ou au Mont Tendre ! Encore moins de réfléchir à la géologie des montagnes sacrées. Ce qui nous ramène à votre question sur l’interdisciplinarité. 

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