Séverine Trouilloud
Séverine Trouilloud, médiatrice scientifique, est chargée de projet au Service Culture et Médiation scientifique (SCMS). Elle collabore avec le CIRM sur le projet Val d’Hérens 1950-2050 - Vies, images et pratiques d’un territoire en mutation pour lequel elle est cheffe de projet.
Entretien du 17 septembre 2021
Mélanie Clivaz (MC) : Tu es médiatrice scientifique. A quoi cela consiste-t-il ?
Séverine Trouilloud (ST) : Être médiatrice scientifique au Service de Culture et Médiation scientifique de l'UNIL consiste à être à l'interface entre les chercheur·e·s de l'UNIL et la société, entre sciences et société. À traduire et rendre accessibles les savoirs à chacun·e, mais aussi proposer des dispositifs de médiation aux publics qui permettent de débattre des enjeux de société contemporains touchant aux sciences, d'échanger avec des scientifiques, voire même de participer à la production des connaissances comme dans le projet Val d'Hérens 1950/2050.
Au sein de notre service, nous organisons des activités de différents formats (ateliers, rencontres, repas de sciences, projets de sciences participatives, blogs, expositions, etc.). Nous avons également un laboratoire sur le campus, L'éprouvette, qui est dédié à ces activités de médiation scientifique. Les publics peuvent ainsi venir pratiquer les sciences avec des instruments ou des méthodes utilisés dans les laboratoires de recherche, ce qui nous permet de saisir une réalité du travail scientifique pour ensuite la mettre en dialogue et en perspectives plus larges.
MC : Comment devient-on médiateur·trice scientifique ? Quel est ton parcours ?
ST : J'ai étudié les sciences de la vie, jusqu'au niveau du master, mais à l'issue de mes études je savais que je ne voulais pas faire de recherche. Durant mes études, j'avais effectué du gardiennage d'œuvres d'art contemporain lors de vernissages, comme job d'étudiante; cela a été mon premier contact avec la médiation culturelle. J'ai alors réalisé un master 2 en "Conception et réalisation d'expositions à caractère scientifique et technique", en alternance. Une façon pour moi d'allier le monde scientifique et de la culture. J'avais une semaine par mois de cours théoriques, et le reste du temps j'étais en stage en musée, pour travailler avec les équipes des musées sur la conception d'expositions. J'ai réalisé mes stages dans deux centres de sciences parisiens, l'Exploradôme et le Palais de la découverte. Travailler à la conception d'expositions dans ces deux musées fut une expérience formidablement intéressante, qui m'a beaucoup appris. Lors de ces stages, je travaillais aussi en tant que vacataire pour faire de la médiation scientifique au Palais de la découverte, pour présenter un film en 3D intitulé "Voyage au centre de la cellule". Nous avions des discussions passionnantes sur les enjeux de la génétique, l'origine de la vie, les OGMs, etc. Ces expériences m'ont lancée sur la voie de la médiation des sciences, que je n'ai plus quittée depuis.
Mais beaucoup de médiateurs·trices scientifiques ont des parcours scientifiques plus avancés que moi, ils·elles ont fait des thèses, des post-docs, puis ne souhaitent pas continuer dans la recherche. En Suisse, ils·elles se forment généralement en travaillant dans des structures de médiation scientifique, sur le tas comme on dit, car il n'y a pas de formation en médiation scientifique.
MC : Quel est ton rôle dans le projet Val d’Hérens 1950/2050 ?
ST : Avec toi, responsable de la communication et de la médiation pour le CIRM, mais également chercheuse, nous coordonnons le projet. En tant que médiatrices, nous avons participé à l'élaboration de celui-ci, et maintenant nous sommes à l'interface entre les chercheur·e·s et la population du Val d'Hérens, pour la partie de recherches participatives. Nous avons mis sur pieds le projet en collaboration étroite avec Emmanuel Reynard, directeur du CIRM, et les chercheur·e·s impliqués, les différents partenaires comme les communes du Val d'Hérens, le jardin botanique Flore-Alpe, l'EDHEA. Nous avons conçu la plateforme web qui permet de suivre et participer au projet, réalisé la communication, et nous organisons aussi les événements de médiation scientifique qui accompagnent le projet pour avoir des espaces d'échanges et de réflexion. Nous organiserons notamment des événements pour un partage à la population des avancées du projet et des résultats des recherches participatives dans lesquelles ils se sont impliqués.
MC : Quels enjeux de médiation vois-tu pour le projet Val d’Hérens 1950/2050 ?
ST : Le sujet du changement climatique est un sujet passionnant, mais avec pas mal de challenges pour les activités de médiation. C'est un sujet complexe, qui touche aux sciences, et il nous faut trouver comment permettre aux habitant·e·s et participant·e·s de se dire qu'ils peuvent collaborer à un projet de recherches participatives, qu'ils savent des choses, qu'eux aussi peuvent contribuer à produire des connaissances. C'est aussi un sujet qui est très impliquant. Il s'agit du futur des habitant·e·s du Val d'Hérens dont nous allons parler et que nous allons explorer dans ce projet, mais aussi des responsabilités de chacun·e, des institutions, des politiques menées, de l'avancée des sciences que nous allons questionner.
Une autre des problématiques lorsqu'on aborde la question du climat, c'est aussi de ne pas déprimer et décourager les participant·e·s, avec un état des lieux qui est plus qu'alarmant. Comment interroger la question du changement climatique en montagne, de façon réaliste mais en restant positif sur les moyens d'action et les perspectives ? Marjolaine Gros-Balthazard souhaite réaliser des focus-groupes intergénérationnels sur la question du futur du Val d'Hérens du point de vue socio-économique, et il sera très intéressant de voir comment le dispositif que nous mettrons en place permettra aux participant·e·s de se projeter : comment voit-on le futur, que pourrait-on faire, quelles sont les limites et les leviers d'actions ? Un des enjeux de médiation face à ces thématiques est donc aussi la place des émotions que l'on peut ressentir face au sujet. Il me semble qu'on doit pouvoir laisser une place aux émotions que ces discussions suscitent.
Et enfin, un point délicat pourrait aussi être les positions climato-sceptiques que nous pourrions rencontrer. Et c'est une grande question en médiation que de savoir comment dialoguer dans ce contexte, sur laquelle je serai ravie d'échanger avec les scientifiques du CIRM car elle m'interroge beaucoup.
MC : Comment se passe la collaboration avec les chercheur·e·s du CIRM ?
ST : Très bien, c'est une grande chance d'avoir ces chercheur·e·s impliqué·e·s dans le projet, pour aborder de façon interdisciplinaire le sujet du climat et des transitions écologique et numérique. C'est toute la richesse d'une structure comme le CIRM que de réunir des chercheur·e·s de tous horizons autour de la question de la montagne, et pour un projet comme celui du Val d'Hérens 1950/2050, cela prend tout son sens.
MC : Que t’apporte cette collaboration ?
ST : En tant que médiatrice, je traduis les savoirs et les mets en dialogue avec les publics, mais je ne suis pas moi-même spécialiste des questions abordées. Les apports des chercheur·e·s et des participant·e·s sont les clefs de voûte du projet de recherche participative et de médiation. Le CIRM et la collaboration sur ce projet permet tout simplement que le projet prenne forme, ait du sens; nous n'aurions jamais pu le réaliser sans le CIRM. Et pour ma part, d'un point de vue personnel, je vois mon métier comme une grande source d'apprentissages, que ce soit en sciences mais aussi dans ma pratique de médiatrice, et la collaboration avec le CIRM me permet tout cela de façon très stimulante et nourrissante.